Society (France)

Série: les imposteurs

- PAR JOACHIM BARBIER ET MAXIME JACOB / ILLUSTRATI­ONS: IRIS HATZFELD POUR SOCIETY

Elle a débarqué à Hénin-beaumont en clamant qu’elle était une rescapée de l’attentat de Nice. C’était faux: comme tout ce qui s’est passé dans sa vie avant. Voici la folle histoire de Sophie Fessard.

Elle a dit avoir perdu des membres de sa famille lors de l’attentat de Nice et même avoir été écrasée par le camion tueur. Elle a frayé avec des associatio­ns évangéliqu­es, abusé le Secours populaire, infiltré Greenpeace pour les Renseignem­ents généraux, harcelé un pasteur et un fan de dauphins. Elle a même traqué un chanteur de variété très connu prénommé Daniel. Elle s’appelle Sophie Fessard, et voici sa vie.

Mais où est passée Sophie Fessard? Depuis le début du mois de juillet, la Rouennaise de 49 ans a disparu. Son compte Facebook? Désactivé. Son téléphone? Éteint. À croire qu’elle a décidé de se faire oublier après le ramdam suscité par sa dernière sortie, le 30 juin dernier, au conseil municipal d’hénin-beaumont. Ce jourlà, introduite par Steeve Briois, le maire FN de la ville des Hauts-de-france, Sophie s’extirpe de l’espace réservé au public et vient solennelle­ment prendre la parole depuis son fauteuil roulant pour témoigner: “Je suis une rescapée de l’attentat de Nice. J’ai perdu ma famille, mes amis. Aujourd’hui, je suis paralysée des membres inférieurs. Si les policiers municipaux avaient été armés à Nice, le terroriste ne m’aurait pas roulé dessus.” La salle se lève et applaudit Sophie. Une standing ovation pour célébrer le courage d’une femme, la douleur de l’épreuve, le poids des mots, le lien établi entre l’attaque lâche et la riposte attendue du citoyen. Pourtant, quelque chose cloche. La journalist­e de La Voix du Nord qui assiste au conseil, tout comme les élus de l’opposition, ne met que quelques heures à questionne­r la personnali­té de cette Rouennaise tombée du ciel. “Qui est Sophie Fessard?” titre ainsi le quotidien le 4 juillet en mettant en doute la véracité de son statut de victime et en retraçant la trajectoir­e en dérapage contrôlé de celle qui est arrivée quelques semaines plus tôt dans la région. Comme souvent au conseil municipal d’héninbeaum­ont depuis que le FN a pris la mairie en 2014, les débats ont été animés ce jour-là. “Ils portaient sur la prise en charge financière de la défense juridique de deux policiers municipaux victimes d’outrage. Le débat a dévié sur la pertinence de l’armement de la police municipale, amenant l’interventi­on de Sophie Fessard. Ce qui était assez hallucinan­t vu que cette personne n’est pas élue”, se rappelle Marine Tondelier, de l’opposition Europe Écologie Les Verts. Après le conseil, elle appelle d’ailleurs Sophie Fessard: “Elle m’avoue qu’elle est venue ici parce que quelqu’un lui a promis un logement. Elle me raconte aussi que Gilbert Collard est son avocat.”

Sophie arrive donc dans le Nord avec un statut et de solides références. Quelques mois auparavant, elle a confié à un proche vouloir se rapprocher du Front national. Il l’a mise en garde: “Ils vont te manipuler.” Elle a répondu: “Non, c’est moi qui vais les manipuler.” En ce printemps 2017, elle loge temporaire­ment à Mantes-la-ville, qui, fait du hasard, est une autre commune gérée par le parti frontiste. Avec son conjoint, elle a rejoint son fils, qui y occupe un logement dans une résidence étudiante. Elle se rend à un meeting de Marine Le Pen organisé à Paris. Après le discours de cette dernière, Sophie s’avance dans son fauteuil roulant vers le cordon de sécurité. On la laisse s’approcher de Marine Le Pen et de Gilbert Collard. Elle se présente comme une victime des attentats de Nice. Quelques selfies avec les deux responsabl­es du FN. Puis quelques mots échangés avec l’ancien avocat. Elle parle de son “problème de logement”. Le flou persiste quant à savoir si un ou une représenta­nte du parti frontiste lui a conseillé de se rendre à Hénin-beaumont pour obtenir cet appartemen­t dont elle a besoin. Toujours est-il que Sophie Fessard quitte la région parisienne pour les Hauts-de-france. Elle dépose une demande de logement auprès du bailleur ICF Habitat, une filiale de la SNCF, qui lui octroie un appartemen­t dans la commune de Montigny-en-gohelle, limitrophe d’héninbeaum­ont. Problème: Sophie et son compagnon n’ont rien pour meubler ce nouveau logement. Alors, ils font appel au Secours populaire. “Elle est arrivée le 26 juin en nous demandant de l’aide, signale Dorothée Fizazi, responsabl­e de l’antenne locale de l’associatio­n. Elle était dans une sorte de lit médicalisé. Nous a expliqué que le camion avait écrasé l’un de ses amis à Nice, qu’elle était restée quatre mois dans le coma, qu’elle avait un hématome à la moelle épinière.” Selon Dorothée Fizazi, “tous les bénévoles se sont mis en quatre pour l’aider. On a trouvé des meubles, une télé, une plaque chauffante, des jeux de société pour son fils, et puis des denrées alimentair­es”. Sophie et ses proches emménagent. Bruno Yard, le maire socialiste de Montigny-en-gohelle, s’émeut: “J’étais prêt à écrire à la préfecture pour expliquer qu’il était inconcevab­le d’attribuer un logement non adapté à une personne handicapée.” Seulement voilà: Sophie Fessard semble avoir retrouvé ses jambes, au moins quand ça l’arrange. Dorothée Fizazi: “On avait déjà quelques doutes. On avait vu sur Internet qu’elle était miraculée d’un évangélist­e. Et puis, quelques jours après, ma fille l’a vue marcher à Kiabi.” La responsabl­e du Secours populaire n’entendra plus parler de Sophie Fessard: “Après l’article dans La Voix du Nord, elle a disparu. On s’est tous fait berner.” L’usage des jambes retrouvé au contact des rayons de Kiabi n’est que l’une des innombrabl­es guérisons miracles de l’existence en dents de scie de Sophie. Comme celle qui avait été observée près de Rouen, deux ans auparavant, en convoquant l’expertise d’un spécialist­e: Dieu. En 2015, alors qu’elle dîne dans un restaurant asiatique de Sotteville-lès-rouen, elle rencontre par hasard un couple qui fréquente l’église pentecôtis­te Parole de vie. Installée seule dans son fauteuil roulant à sa table, elle inspire la pitié au couple de croyants. Parce que c’est leur mission “d’évangélise­r”, les fidèles l’abordent et lui proposent de venir suivre l’un des cultes de l’associatio­n évangéliqu­e. Le pasteur star Daniel Vindigni, en charge des offices, et sa famille accueillen­t Sophie, qui se déplace toujours en fauteuil, certificat­s médicaux à la main. Elle devient rapidement populaire au sein de la communauté, qui loue son courage. “Elle est handicapée et présente des symptômes, ses jambes sont gonflées. Apparemmen­t, sa maladie serait due à une bactérie logée dans la moelle épinière. On avait essayé de la lever de son fauteuil mais c’était vraiment impossible”, raconte Daniel Vindigni, dont la page Facebook rassemble près de 120 000 fidèles. Et puis, à la fin de l’été 2015, lors d’un prêche, Sophie Fessard se libère de sa chaise roulante et se met à courir frénétique­ment autour de la salle de prière, sous les applaudiss­ements du public. Le pasteur croit à la sincérité de l’événement, preuve, pense-t-il, de la force du Tout Puissant. “On est croyants et donc on croit aux miracles.” Dans l’euphorie, elle enlace son “sauveur” et tente de l’embrasser. “Mais je l’ai repoussée”, explique-t-il aujourd’hui, devant une tasse de café, aux côtés de son épouse et de sa fille. Un geste qui sonne comme le début des ennuis pour le pasteur et sa famille. En façade, Sophie Fessard s’accroche à cet homme de Dieu qui l’a hélitreuil­lée de son fauteuil roulant par la force de ses prières. Lors d’un autre prêche consacré à l’homosexual­ité, la miraculée l’inonde de questions sur le sujet. Excédé, le pasteur Vindigni, qui s’efforce d’expliquer qu’il est opposé à l’homosexual­ité mais qu’il n’a pas la prétention de juger les homosexuel­s, finit par lâcher: “Moi, si j’étais laïc et si j’avais envie de me taper un mec, je m’en foutrais de savoir qu’un pasteur me l’interdit.” Des propos publics que Sophie Fessard enregistre sur dictaphone. En rentrant chez elle, la Rouennaise “effectue un montage qui laisse penser que [le pasteur] avoue [s]on homosexual­ité”. Elle poste sur les réseaux sociaux l’enregistre­ment du supposé coming out de cet homme qui s’affiche avec sa famille. Puis, un soir de septembre 2015, avec un groupe de fidèles remontés contre leur guide, elle se poste devant son logement et diffuse, grâce à une enceinte, l’enregistre­ment des aveux. “Elle nous a fait beaucoup de mal. Elle est habitée par les forces des ténèbres”, résume le pasteur.

À l’été 2015, lors d’un prêche, Sophie se libère de sa chaise roulante et se met à courir frénétique­ment autour de la salle de prière, sous les applaudiss­ements du public

Le chanteur Daniel et les dauphins

Sophie Fessard n’en est alors pas à sa première irruption au royaume de Dieu. Dix-sept ans plus tôt, en 1998, elle échoue dans la région d’annecy et entre en contact avec une église évangéliqu­e de Seynod, en périphérie de la préfecture de la Haute-savoie. Dans la salle de prière de l’église du Plein Évangile, arrive une femme discrète, enceinte, accompagné­e de son mari, “beaucoup plus âgé qu’elle et presque aveugle”, selon Christian Servettaz, qui assure les offices. “Ils sont restés deux ou trois mois, une période pendant laquelle leur relation avec les autorités a été compliquée, on les a un peu accompagné­s”, poursuit le pasteur, qui assure qu’elle se

déplaçait, à ce moment-là, sans fauteuil roulant. Le 29 avril, Sophie Fessard accouche et décide d’organiser un grand buffet à la clinique pour fêter l’événement. La famille Fessard emménage alors dans un logement social. Toujours d’après Christian Servettaz, les relations avec ses voisins s’enveniment vite. “Le bébé pleurait beaucoup, ils avaient des soupçons de maltraitan­ce.” Une plainte est déposée, la garde de l’enfant lui est retirée par les services sociaux. Elle finit par le récupérer sans l’aval de l’administra­tion et s’enfuit. Les gendarmes sont à sa recherche, ils débarquent chez Christian Servettaz. Le pasteur n’a plus de nouvelles. Près de 20 ans plus tard, il suppose “qu’elle était partie sur les routes, peutêtre en Suisse, avec son enfant sous le bras”. Pas loin. Elle avait trouvé refuge dans une structure pour mères seules, à Saint-julien-en-genevois, à 30 kilomètres au nord d’annecy, à la frontière avec la Suisse. Avant de s’en remettre à Dieu, Sophie avait tenté de se lancer dans une carrière de chanteuse. Sous le pseudo Daphnièle, nom-valise de deux de ses passions –Daniel, le prénom de son chanteur de variété préféré, et le dauphin, son animal totem–, Sophie avait enregistré une dizaine de titres entre 2001 et 2004. Quelques compos personnell­es, comme le pertinent Pour l’amour d’un dauphin (315 000 vues sur Youtube), ou encore un hommage à l’amérique meurtrie du 11-Septembre et puis, évidemment, des reprises des titres les plus connus de Danielle-célèbre-chanteur-de-variété. Des singles qui n’ont pas propulsé la carrière de Daphnièle audelà du forum du site Bide-et-musique. En 2001, elle avait expliqué dans Paris Normandie le déclic artistique provoqué par la rencontre avec le chanteur, un soir à Dinan, à l’occasion de l’un de ses “galas”. Sophie était au premier rang, déjà en fauteuil roulant “à la suite d’une banale interventi­on chirurgica­le” qui aurait “mal tourné”, comme le relatait le quotidien normand. Dans l’interview, elle racontait ce concert qui lui était dédié, la discussion après le tour de chant, les encouragem­ents de Daniel à persister dans la voie artistique, son soutien pour l’enregistre­r à la SACEM. Puis les prémices du décollage de sa carrière comme choriste de C. Jérôme et Frédéric François. Et toujours la bonté de Daniel, dont elle listait les coups de main désintéres­sés. Quand il est intervenu pour qu’elle puisse se faire soigner à l’hôpital américain de Neuilly ou lui permettre de réaliser son rêve: nager avec les dauphins au Marineland d’antibes. En employant la même technique qu’à l’occasion du meeting du Front national, Sophie avait bien bénéficié d’une attention personnell­e alors qu’elle se tenait, dans son fauteuil, au premier rang de la salle de concert. “On m’avait fait passer un message pour me dire qu’une femme allait se faire opérer le lendemain. J’ai fait une dédicace. Tout le reste est faux, tonne aujourd’hui le chanteur. J’ai mis 20 ans à me débarrasse­r de la bestiole. C’était du harcèlemen­t pendant des années. Je me réveillais le matin, elle avait laissé des dizaines de messages sur le fax et le répondeur pendant la nuit. Elle pouvait me raconter sa journée ou partir dans ses délires: ‘Ta femme n’est pas ta femme, tes enfants ne sont pas tes enfants, on est faits pour vivre ensemble.’” Pendant les mois d’été, Sophie Fessard dormait devant la grille de la maison du chanteur. Elle se faisait aussi passer pour sa fille dans les hôtels, les restaurant­s de la région. “On m’appelait pour que je vienne régler les ardoises qu’elle avait laissées.” Finalement, “les gendarmes sont venus et on a été obligés de la faire interner sur décision du maire”, conclut Daniel.

Grève de la faim et espionnage

Sophie réapparaît dans la rubrique “faits divers” quelques années plus tard. Les complicati­ons post opération banale revendiqué­es en 2001 deviennent réalité en 2004. À la suite de “la disparitio­n de [s]on mari”, elle traverse une grosse dépression. “J’ai pris près de 100 kilos. J’avais envie de mourir”, déclare-t-elle à la correspond­ante du Parisien en Normandie. Elle se fait poser un anneau gastrique, perd une soixantain­e de kilos. “Ma peau du ventre est tombée, mes seins aussi”, expliquera-t-elle, cette fois-ci dans les colonnes de Paris Normandie. Elle bénéficie de deux opérations de chirurgie réparatric­e, prises en charge par la CPAM, entre avril et juin 2004. Quelques jours plus tard,

elle se fait admettre en urgence au CHU de Rouen. “On m’a retiré entre sept et huit litres d’un liquide, mélange de pus et de lymphe”, confiet-elle, toujours dans Paris Normandie. Chaque jour durant l’année qui suit, elle doit “vidanger” le pus sécrété par sa plaie. Alors, elle attaque la clinique Mathilde de Rouen. L’assurance lui accorde 2 000 euros de dédommagem­ents. Une somme qu’elle juge “dérisoire” selon son avocat, qui entame une procédure en réparation au civil. S’engage alors un bras de fer judiciaire de trois ans entre la patiente et l’institutio­n médicale. Jusqu’au mois de novembre 2007, où Sophie Fessard décide de passer à l’action. Devant l’entrée de la clinique, la Rouennaise installe une tente, un lit de camp et entame une grève de la faim. Convoquer la presse ne suffit pas. Il faut que le monde politique, à son plus haut niveau, prenne part à son combat. Elle saisit donc sa plume et rédige une lettre au président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, dans laquelle elle explique qu’elle est “en danger de mort”. L’élysée ne répond pas mais fait remonter l’info jusqu’à la préfecture de Seine-maritime pour éviter que la grève de la faim ne se termine en drame. Quelques jours plus tard, un policier des Renseignem­ents généraux, derrière le pseudo de Bruno Roussel et se faisant passer pour “quelqu’un de la mairie”, prend contact avec Sophie. “Il fallait être discret, elle était entourée de gens d’extrême gauche assez violents”, justifie l’agent désormais à la retraite. Après 26 jours de jeûne, Sophie Fessard met fin à sa grève de la faim. Un an plus tard, la chambre civile du tribunal de grande instance de Rouen va lui donner raison en lui accordant des dommages et intérêts en vertu du préjudice subi. En gagnant la bataille, Sophie a aussi trouvé une nouvelle fonction. Elle devient “correspond­ante” non officielle des Renseignem­ents généraux. Amoureuse des dauphins, sensible aux questions écologique­s, elle intègre le comité local de Greenpeace en 2009. Une structure dans laquelle s’activent beaucoup de militants antinucléa­ires, à une époque où les actions pour bloquer les trains de déchets vers l’usine de traitement de La Hague sont nombreuses. Guillaume Blavette, chef de file des écolos à Rouen, voit débarquer “une fille simple, en complète déshérence, toujours en recherche de reconnaiss­ance”. Rapidement, il a des doutes: “Beaucoup d’éléments nous laissaient penser qu’elle donnait des infos aux flics. Donc on a organisé une fausse action et les RG étaient là. On a vite compris qu’elle était un mouchard. Et dès 2012, on l’a écartée de nos listes de diffusion.” “Elle a fait le lien entre les associatio­ns et nous, confirme son contact de l’époque aux RG. Elle se considérai­t comme une citoyenne bénévole. Il lui est aussi arrivé de prendre des initiative­s. Une nuit de la Saint-sylvestre, elle a voulu identifier des gars qui mettaient le feu aux voitures. Elle s’est fait attraper et j’ai dû prendre ma voiture pour aller la chercher.” Sophie Fessard entame alors une reconversi­on profession­nelle. Elle se lance dans le business du massage à domicile. Elle crée sa propre entreprise, La Petite Fée bien-être, en septembre 2012. Sur son profil Linkedin, la Rouennaise indique, sans plus de précisions, avoir suivi une formation en “modelage du bien-être” au cours de l’année 2011. Inspirée par la sophrologi­e, elle dit conjurer le stress de ses patients avec un peu d’huile de coude et beaucoup d’huiles essentiell­es. Au même moment, elle déménage pour s’installer à proximité du CHU de Rouen, dans un logement recommandé par l’un de ses contacts au sein de la police. C’est alors qu’elle fait la connaissan­ce de Robert, un voisin chargé par son bailleur de collecter les loyers. “En un an et demi, elle n’a jamais rien payé”, se souvient ce dernier, affirmant que son arriéré de paiement a atteint la somme de 10 000 euros. Très vite, l’ambiance au sein de la résidence va se dégrader. Un jour, ils en viennent même aux mains. “Ça a commencé par des insultes en pleine rue. Puis elle s’est jetée par terre, raconte Robert, lâchant au passage la ruse de Sophie pour déclencher crises et guérisons. Elle a une prothèse à la cheville qui lui permet de se déboîter le pied. Quand elle le fait, sa jambe se met à gonfler. Elle avait un fauteuil roulant qui devait coûter dans les 7 000 euros mais je l’ai déjà vue marcher ou courir sans souci.” Endettée, Sophie Fessard quitte l’appartemen­t à la fin de l’année 2013 pour échapper aux huissiers. Elle ira même jusqu’à publier sa propre nécrologie sur Internet, avec un article intitulé “Sophie Fessard morte”. “L’article n’est pas signé, mais je reconnais les fautes d’orthograph­e”, raille son ancien recouvreur de loyer. En 2014, Sophie Fessard écrit un livre, Enfance violée, paru chez Édilivre, une plateforme de publicatio­n collaborat­ive. Trente-huit pages d’un témoignage bouleversa­nt qui raconte l’abandon à la naissance, l’enfance à la DDASS, l’absence de famille et le refuge affectif chez les dauphins qui, contrairem­ent aux hommes, ne trahissent pas. D’ailleurs, les dauphins lui ont permis, quelques mois auparavant, en juin 2013, d’entrer en contact avec Patrick G., via Facebook. Patrick a posté sur les réseaux sociaux un montage d’images de dauphins effectué avec le logiciel Movie Maker. “On a commencé à discuter de tout et de rien sur Facebook”, se souvient Patrick, qui vit dans la région de Dijon. Sophie n’hésite pas à traverser la France d’ouest en Est pour lui apporter un CD avec deux de ses chansons dédiées au mammifère marin, accompagné­es des paroles et signées “Sophie Fessard, ambassadri­ce des dauphins”. Elle veut les commercial­iser et recueillir des fonds pour lutter contre les maltraitan­ces dont sont victimes les cétacés en captivité. Elle lui propose de monter une associatio­n, qu’elle baptise Dauphin cristal. Elle rêve toujours de nager à leurs côtés. Alors, pendant l’été 2014, elle se rend à Mandelieul­a-napoule, sur la Côte d’azur, où un bateau propose des sorties en mer pour admirer et plonger avec les dauphins en Méditerran­ée. Sauf que Sophie n’a pas les moyens de se payer son rêve. Elle sollicite alors les amis de Patrick. Certains lâchent quelques centaines d’euros. De son côté, Patrick commence à avoir des doutes sur la véracité de ses récits, la mythologie de son parcours de petite fille abandonnée. “Tout ce qu’elle raconte dans son livre est faux. L’endroit qu’elle décrit comme son orphelinat est un hospice depuis 1949. Un jour, elle m’a dit que son fils était dans le coma, qu’il ne passerait pas la nuit, victime d’un accident de train à Chambéry. Sauf qu’aucun train n’avait déraillé ce jour-là.” Il a aussi des inquiétude­s sur ses intentions. Elle commence à prendre beaucoup de place dans son existence, à menacer son équilibre familial. “Quand elle est rentrée de Mandelieu, elle a commencé à me harceler”, se rappellet-il. Elle l’appelle 80 fois en un week-end. Il décide de déposer une plainte. Avant de la retirer quatre jours plus tard sous la pression de personnes qu’il croit appartenir à son entourage proche. “Ils imitaient des voix… Un vendredi soir, j’ai reçu un appel de quelqu’un qui prétendait travailler pour le Quai d’orsay me disant que dix plaintes pour viol m’attendaien­t.” Sophie se crée alors plusieurs autres comptes Facebook sous les pseudos Daphnée Dugommier, Valériane ou Merlin l’enchanteur. Patrick la soupçonne d’avoir enregistré toutes leurs conversati­ons, d’en faire des montages audio. Elle utilise aussi l’image: “Elle a posté une vidéo dont le montage laisse penser que j’étais amoureux d’elle, que je lui avais acheté une bague pour consacrer cette relation.” Elle lui envoie un message: “Si tu veux que je sois ta soeur, ta maîtresse, ta pute, c’est comme tu veux”, se rappelle-t-il. Patrick est marié. À partir de 2015, il fait le mort, elle finit par sortir de sa vie. La dernière personne à avoir eu des nouvelles de Sophie est son ancien contact aux Renseignem­ents généraux. “Elle m’a dit qu’elle était à l’étranger, dans un pays qui n’est pas dans l’espace Schengen.” Mais il n’est pas sûr que “Sophie dise la vérité”.

“Elle laissait des dizaines de messages sur le répondeur. ‘Ta femme n’est pas ta femme, tes enfants ne sont pas tes enfants, on est faits pour vivre ensemble’” Daniel, chanteur de variété

Prochain épisode: Mamma Ebe, la “sainte guérisseus­e” italienne qui aimait trop les bijoux.

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