Society (France)

Incendies

Avec l’été reviennent les feux de forêt. Et avec les feux de forêt, la question des pyromanes. Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à incendier des hectares entiers? Quels sont les profils de ces criminels pas comme les autres? Réponses avec Serge Billet, avoca

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Que se passe-t-il dans la tête des pyromanes? Les spécialist­es répondent.

Qu’est-ce qui différenci­e un incendiair­e d’un pyromane? Serge Billet: C’est surtout une question de mobile. Chez les incendiair­es classiques, il existe un intérêt personnel particulie­r qui conduit au passage à l’acte. On est en face d’une personne qui est parfaiteme­nt lucide et qui a pleinement conscience de l’acte qu’elle commet. Un incendiair­e va mettre le feu par intérêt, il va cibler telle colline parce qu’il a derrière la tête des projets immobilier­s, par exemple. Ou cela peut être motivé par un désir de vengeance. Mais cela reste très ciblé, réfléchi, organisé. Alors que ce n’est pas le cas pour le pyromane, justement. C’est une espèce de pulsion, souvent liée à la personnali­té de l’individu.

Julie Palix: Le cheminemen­t qui est décrit la plupart du temps par les pyromanes, on peut l’illustrer ainsi: imaginons que vous ayez quelque chose dans votre cuisine que vous adorez mais que vous vous interdisez parce qu’il va nuire à votre ligne ; de la saucisse par exemple. En manger devient une obsession, et vous finirez par en manger et vous jubilerez en le faisant. Et après la grande excitation, le plaisir, le soulagemen­t, vous regrettere­z et serez en détresse psychologi­que. C’est un peu ça, la boucle de la pyromanie: le pyromane repère un lieu qui pourrait faire l’affaire, ça le stimule, ça tourne comme une obsession jusqu’au jour où l’ennui ou le stress est plus important que d’habitude, pour des raisons profession­nelles, sentimenta­les, etc. Ça va alors partir, comme quelqu’un qui va dévorer trois tablettes de chocolat alors qu’il n’en a pas le droit. C’est de l’ordre de l’addiction.

Que se passe-t-il quand on arrête les pyromanes?

SB: Devant le juge d’instructio­n, ces personnes sont souvent dans l’incapacité d’expliquer leurs actes. Même moi, quand je leur demande pourquoi, elles me répondent: ‘J’en sais rien.’ Je n’ai jamais rencontré de sujet capable de mettre des mots sur le cheminemen­t, les sensations de jouissance. Souvent, lorsqu’ils sont interpellé­s, les pyromanes sont complèteme­nt effondrés par le fait de prendre la mesure de leur forfait et de ses conséquenc­es.

JP: Il y a en quelque sorte un paradoxe. D’un côté, on a un problème de pulsion –pris dans un processus de dépendance, les pyromanes commettent les mêmes actes, de façon cyclique, de plus en plus rapprochés– mais de l’autre, ce sont des actes prémédités –dans la grande majorité des cas, les pyromanes repèrent les lieux susceptibl­es d’être incendiés, où ils ne se feront pas voir, où le feu ne prendra pas trop vite pour ne pas se faire prendre, où des êtres humains ou des animaux ne seront pas menacés…

SB: Et en même temps, ce sont généraleme­nt des indices assez grossiers qui permettent aux enquêteurs de les identifier… D’ailleurs, les enquêtes de proximité se révèlent fructueuse­s: ce sont souvent des autochtone­s qui mettent le feu à des lieux qu’ils connaissen­t parfaiteme­nt, prenant ainsi le risque d’être facilement identifiés lors d’une enquête de voisinage. On n’est donc pas réellement dans le rationnel. J’ai défendu un pompier profession­nel assez jeune qui avait mis le feu à une forêt simplement pour voir ensuite s’il était capable de remplir cette mission. Quand on fait ça, on est dans le déséquilib­re psychologi­que, très loin en tout cas du criminel classique qui va déterminer très froidement son projet guidé par un intérêt personnel. La pyromanie n’est clairement pas une délinquanc­e traditionn­elle. D’ailleurs, la plupart du temps, les casiers judicaires des pyromanes sont vierges.

Vous parlez de déséquilib­re psychologi­que. Peuton dresser le profil psychologi­que des pyromanes?

JP: Les premiers cas de pyromanie décrits au xixe siècle concernent des jeunes femmes seules, pucelles et en mal d’excitation sexuelle. À l’époque, on aimait bien faire ce genre d’ellipse! L’approche utilisée jusqu’à présent, qui est plutôt de psychologi­e clinique, psychodyna­mique ou psychanaly­tique, disons, a introduit des sortes de fantasmes sur la pyromanie, ils sont en train d’être décousus. Il y a beaucoup d’idées fausses, comme celle qui consiste à dire que cela relève du fantasme ou de l’excitation sexuelle, ou qu’il existe une fascinatio­n pour le feu. Il est avéré que ce n’est pas le cas. Le profil caricatura­l du pyromane insatisfai­t de sa vie sexuelle ne répond à aucune théorie, aucun modèle. Si la pyromanie a été retirée de la dernière version du manuel diagnostiq­ue des troubles mentaux, le DSM-IV, c’est qu’à ce jour, on ne peut pas dire que le pyromane ou le cleptomane soit une catégorie à part entière. Les gens arrêtés ne correspond­ant pas, ou rarement, aux profils types établis, la pyromanie n’est plus présentée comme un diagnostic psychiatri­que propre, elle appartiend­rait plutôt à la catégorie du désordre du contrôle de l’impulsivit­é. Quant à la fascinatio­n pour le feu, on l’a tous eue, enfant ou adolescent. On a tous essayé d’allumer des choses ou été complèteme­nt scotchés devant un feu dans la nuit. Et pourtant, seul 1% des enfants va devenir pyromane. Donc, cela veut dire qu’il n’existe pas de lien entre les deux. De même, on remarque que seuls 50% des pyromanes restent à observer l’incendie qu’ils ont allumé.

SB: Ce que j’ai découvert dans les affaires que j’ai eues à plaider, c’est que l’on est souvent en présence de personnes avec une certaine

“Le profil caricatura­l du pyromane insatisfai­t de sa vie sexuelle ne répond à aucune théorie, aucun modèle, ou presque”

Julie Palix

inadaptati­on sociale, un complexe d’infériorit­é, un besoin de reconnaiss­ance dans la communauté qui les pousse à agir. Elles veulent se sentir appréciées, valorisées. J’ai plaidé pour des jeunes garçons qui avaient mis le feu à des sites industriel­s et qui avaient créé de façon presque puérile une compagnie de sécurité complèteme­nt fictive et imaginaire. Une fois le feu déclenché, ils proposaien­t immédiatem­ent leurs services aux pompiers, ils étaient sur place pour aider, de façon bénévole. C’étaient donc des incendiair­es, mais il n’y avait pas d’intérêt économique et financier, juste un besoin de reconnaiss­ance, d’appartenir à une communauté, en l’occurrence celle des secouriste­s. Ça, c’est vraiment très caractéris­tique.

JP: Il y a des témoignage­s de pompiers volontaire­s qui sont eux-mêmes intervenus sur les feux qu’ils avaient allumés. Notamment un qui avait tout fait pour qu’il y ait des gens à la maison –famille ou amis– lorsque le bip sonnerait pour lancer l’alerte. Il s’était débrouillé pour allumer le feu, rentrer chez lui, accueillir les invités, et qu’ils le voient ensuite sauter dans sa voiture pour aller l’éteindre. Et puis il y a aussi, pour certains pompiers pyromanes, une sorte de lassitude à aller ouvrir la porte de personnes qui ont oublié leurs clés ou aller chercher des chats dans les arbres… Pompier est peut-être un métier moins héroïque au quotidien que ce qu’ils espéraient. Donc, ils créent des événements. Souvent, aussi, moins que la fascinatio­n du feu, c’est la fascinatio­n du contrôle du feu qui les anime. ‘Si je maîtrise le feu, je peux être craint ou admiré, je détiens une arme, cette puissance va être reconnue.’

Que deviennent les pyromanes une fois qu’ils ont purgé leur peine?

JP: Six pour cent d’entre eux récidivent, contre en gros 30 à 40% des criminels en général. Ce qui signifie que le criminel qui s’est illustré exclusivem­ent comme pyromane, une fois qu’il a été puni, ne recommence quasiment pas.

SB: Dans la majeure partie des cas, des peines mixtes sont prononcées, associant la prison ferme pour une courte durée et l’emprisonne­ment avec sursis avec mise à l’épreuve, comportant spécifique­ment une obligation de soins. Et la plupart de mes clients, après leur peine, se sont réintégrés très facilement dans leur communauté. Et n’ont, par la suite, jamais plus fait parler d’eux. Je me rappelle avoir plaidé pour un jeune garçon qui avait mis le feu à une forêt dans le Vaucluse. Il avait fait ça pour voir s’il en était capable, et même chez les sapeurs-pompiers, on avait presque pitié de lui. Il était complèteme­nt démuni, regrettait amèrement. Et si ces gens-là sont réintégrés, j’imagine que c’est parce qu’il doit y avoir une certaine compassion pour ce genre de comporteme­nts. Peut-être parce que le mobile n’est pas mercantile, mais presque puéril. Et cette puérilité, si elle ne rend pas forcément sympathiqu­e, on essaie de la comprendre.

JP: Quand on compare les peines des pyromanes qui n’ont blessé personne avec celles que prendraien­t les personnes qui, par exemple, seraient entrées par effraction dans une propriété et auraient tout saccagé, on voit qu’ils s’en sortent plutôt bien. Ils purgent leur peine, remboursen­t les dégâts et on repart à zéro. C’est pour ça que je pose la question un peu provocante: est-ce que le pyromane est un criminel comme les autres? Le fait est que la communauté ne le considère pas comme tel. J’ai participé à un documentai­re sur un pyromane suisse responsabl­e d’une quinzaine d’incendies. Le voisinage dit: ‘Il est né ici, on ne sait pas ce qui lui est passé par la tête le pauvre, on ne lui en veut pas, il nous a dit qu’il regrettait, on ne peut pas revenir en arrière.’ Les gens se réjouissai­ent de le revoir alors que pendant deux ou trois ans, il avait terrorisé toute la région. Il était pompier volontaire. Sa caserne a cotisé pour soutenir son épouse durant son séjour en prison, et la grande majorité des victimes des incendies ont retiré leur plainte quand ils ont appris son identité. ‘La forêt va repousser, on reconstrui­ra les étables, voilà.’ On va reconstrui­re les étables! Alors que si ça avait été une arnaque à l’assurance… – TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR VINCENT RIOU

“La plupart, après leur peine, se sont réintégrés très facilement dans leur communauté. Et n’ont, par la suite, jamais plus fait parler d’eux”

Serge Billet

 ??  ?? À Caramulo, au Portugal, en août 2013. Deux mille hectares sont partis en fumée, nécessitan­t l’interventi­on de 1 400 pompiers.
À Caramulo, au Portugal, en août 2013. Deux mille hectares sont partis en fumée, nécessitan­t l’interventi­on de 1 400 pompiers.

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