Society (France)

Audrey Dussutour

Blob l’éponge

- –GRÉGOIRE BELHOSTE

Deux boîtes cylindriqu­es, posées sur une table. À l’intérieur, une bestiole jaune à l’aspect spongieux sur une fine couche de gel. Voici le Physarum polycephal­um, un organisme unicellula­ire, ni champignon, ni animal, ni plante, communémen­t appelé “blob”. “En anglais, on dit le slime mold, c’est-à-dire le ‘champignon gluant’. Pendant longtemps, on n’avait pas d’équivalent en France. Alors, avec des collègues, on a décidé de l’appeler ‘blob’, comme dans le film d’horreur de 1958 avec Steve Mcqueen”, rit l’éthologist­e Audrey Dussutour, 39 ans, attablée à la terrasse d’un café parisien situé à quelques mètres du Muséum national d’histoire naturelle, où elle assistera quelques heures plus tard à un congrès réunissant les pontes français de l’étude des termites, des abeilles et des fourmis, son autre domaine de recherche. Mais personne pour le blob. “Pour l’instant, notre communauté est trop petite pour organiser de grands congrès, souffle la scientifiq­ue. Alors, on se contente de faire des workshops.” Et pourtant, avec ses caractéris­tiques extravagan­tes, le blob a de quoi séduire. Nourrie aux flocons d’avoine, cette créature rampante des forêts, existant depuis plusieurs centaines de millions d’années, dispose de 720 sexes différents, double chaque jour de volume, s’avère immortelle “dans les conditions optimales”, peut cicatriser sa membrane en moins de deux minutes et, bien que dépourvue de cerveau, semble dotée d’une intelligen­ce lui permettant d’apprendre et de transmettr­e ses connaissan­ces. Une source inépuisabl­e de fascinatio­n pour Audrey Dussutour, tombée sous le charme du blob à l’automne 2008. “D’abord, j’ai commencé à m’intéresser aux souris, mais je n’avais pas le coeur assez accroché pour les sacrifier. Puis, j’ai travaillé sur les abeilles, mais je suis devenue allergique. Du coup, j’ai planché sur la question des embouteill­ages chez les fourmis. Et un jour, pour l’aider à terminer un ouvrage, mon superviseu­r m’a demandé si je voulais bosser sur le Physarum

polycephal­um.” Depuis, la chercheuse s’est procuré différente­s sortes de blobs (un australien, un américain et un japonais), a publié un livre sur le sujet –Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander–, et a même rencontré le plus grand spécialist­e de cet organisme, le professeur nippon Toshiyuki Nakagaki, double lauréat du prix Ig Nobel, récompensa­nt “les réalisatio­ns qui font d’abord rire les gens, puis les font réfléchir”. Car le blob, aussi dégoûtant qu’il puisse paraître, pourrait bien nous apprendre des choses importante­s. Obéissant aux mêmes lois que la vascularis­ation des tumeurs cancéreuse­s, son réseau veineux est étudié de près par des spécialist­es de la recherche contre le cancer, mais aussi par des ingénieurs experts du ferroviair­e. La main posée sur ses boîtes, Dussutour évoque aussi l’intérêt “de se renseigner sur les origines de la multicellu­larité et de l’intelligen­ce”. La chercheuse jette un oeil sur sa montre Casio noire, avant de filer à son congrès, sa créature jaune sous le bras. “J’en apporte au parc zoologique du musée, ils souhaitent l’exposer... Mais il ne faut pas imaginer que ça bouge, hein, ça va être super inintéress­ant.”

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