Keith Broni
Emoji LV1
“Aujourd’hui, on compte 2 666 emojis reconnus par le consortium Unicode”, indique Keith Broni. Soit presque autant que le nombre de caractères chinois. Souvent qualifiées de “calligraphie pour les analphabètes”, les émoticônes n’ont aucun secret pour ce jeune Irlandais de 27 ans ; il est le premier traducteur d’emojis professionnel. Décembre 2016. Face à l’invasion de ces drôles de signes, l’agence londonienne de traduction Today Translations cherche “un individu exceptionnel” capable d’apporter un contact humain dans un domaine où les bits et les octets sont rois. Keith Broni a un profil sur mesure. Son mémoire de master en psychologie commerciale à l’university College de Londres portait sur la présence croissante des emojis en marketing. La première épreuve est une série de versions et de thèmes “anglais-emojis”. “Je me souviens notamment d’un tweet du joueur de tennis Andy Murray posté le jour de son mariage, rit-il. Il avait utilisé 140 signes d’emojis!” Broni ne fait qu’une bouchée des 499 autres candidats. Il est l’élu. Perplexe, son entourage questionne l’intérêt de cette nouvelle profession. “Ma mission est d’aider les entreprises à comprendre les différences d’utilisation et d’interprétation en matière d’emojis”, expliquet-il. Car la signification de ces bestioles diverge d’un pays à l’autre. Exemple: le célèbre pouce levé, chaleureusement accueilli en Occident, est en revanche l’équivalent d’un doigt d’honneur au Moyen-orient ou en Amérique latine. Pour éviter de froisser un client, il y a donc Keith Broni. D’aussi loin qu’il s’en souvienne, Keith a toujours baigné dans un environnement connecté. Son père a travaillé dans l’informatique pendant 20 ans. Lui se remémore les années Dialog et MSN Messenger. Il rêve pourtant d’abord de devenir paléontologue –“à cause de Jurassic Park”–, avant de basculer en 2011 lorsqu’il acquiert son premier iphone. “J’ai très vite constaté la force des emojis, dit-il. Grâce à eux, nous pouvons transmettre des choses qui sont de l’ordre du langage corporel, ajouter un contexte émotionnel ou même une inflexion vocale. Selon une étude récente, lorsque nous voyons des emojis utilisés pour exprimer du sarcasme, notre cerveau réagit de la même manière que lorsque nous entendons ce sarcasme verbalisé!” s’émerveille-t-il. Puis, il enfonce: “Les studios d’animation de Sony viennent de sortir le film Le Monde secret des emojis. Qu’il soit bon ou mauvais, cela démontre que c’est un univers qui intéresse tout le monde.” Les premières émoticônes remontent à 1999, au Japon, sous les coups de crayon du designer Shigetaka Kurita –“Le MOMA de New York a d’ailleurs acquis les 176 premiers emojis dessinés”, renseigne celui qui a créé la première compétition européenne, Emoji Spelling Bee, en mars dernier. Depuis, chaque année, de nouvelles émoticônes sont créées et validées par l’unicode. En 2017, 69 signes ont ainsi vu le jour. Keith renseigne tout cela dans un guide d’usage des emojis qu’il publiera prochainement, une sorte de mix entre Le Petit Robert et un manuel du code de la route.