Society (France)

Aurélien Masson

Ours polar

- – PAR JEAN-VIC CHAPUS

Jeune patron emblématiq­ue de la Série noire, il est récemment devenu le monsieur polar aux éditions des Arènes. Son objectif: recracher en grande littératur­e populaire la noirceur de la société.

Jeune patron emblématiq­ue de la Série noire, il est récemment devenu le monsieur polar aux éditions des Arènes. Son objectif: recracher en grande littératur­e populaire la noirceur de la société. Vaste programme.

Quand on est directeur d’une collection littéraire comme la Série noire, pour quelles raisons acceptet-on de quitter son poste? Cela faisait quand même 17 ans que je bossais à la Série noire. Entre-temps, il y a eu des divorces, la paternité... Des choses qui te donnent envie de créer ton histoire à toi. La Série noire, c’est une collection durkheimie­nne. Il n’y a pas plus prestigieu­x, mais dès qu’on fait un pas de côté, on doit se justifier sur le passé, sur des vieilles traduction­s de 1972. On doit répondre à la question: ‘Pourquoi vous avez édité tel livre de Maurice G. Dantec?’ Ce genre de choses te fait sentir que tu ne pourras jamais assumer complèteme­nt tes choix.

Comment les gens des Arènes arrivent-ils à vous sortir de votre poste? Avec Laurent Beccaria (patron des éditions des Arènes, ndlr), on s’est vus courant 2016 dans un bar près de la gare de Lyon. Aucun motif particulie­r à cette rencontre. En tout cas, je ne l’avais pas senti. On parle littératur­e, j’écluse quelques bières... C’est seulement à la fin de la conversati­on qu’il me dit, presque gêné: ‘Écoute, j’ai envie de lancer une collection littéraire avec toi.’ Ce n’est pas la première fois que l’on ‘me drague’ dans le milieu de l’édition, mais normalemen­t ça arrive vite au: ‘Tu devrais nous rejoindre, mais surtout prends avec toi les gros vendeurs de la Série noire.’ Là, l’idée, c’est vraiment de créer une collection de romans noirs qui secouent le réel. Tu as l’islamisme radical, la corruption, la montée des extrêmes, la paupérisat­ion de la société et tu as envie de les mettre en scène à travers des polars. Parce que le rôle du polar, c’est de te ramener au réel. Violemment. C’est comme un chien qui te bouffe les mollets alors que tu fais du vélo peinard à la campagne. Tu flânes, tu regardes le paysage, tu rêvasses, ‘putain, elle est jolie cette clairière, quand même’… Tout à coup, crac! t’as un molosse qui te plante ses crocs dans la jambe. Alors, OK, ça fait mal, ça saigne, mais ça te rappelle aussi qu’on n’a pas le droit de trop se laisser avoir par la fausse plénitude des choses.

“Plus la société va mal et plus le polar se porte bien”

L’ambiance en France depuis le début de la présidence Macron, ça peut être un bon terreau pour le roman noir? T’as pas mieux! Toute cette société ‘en marche’ que vend Macron, cette société des opportunit­és, de la flexibilit­é et du mouvement, ça va nous anesthésie­r un temps et après on réalisera: ‘Mais en fait on ne va pas pouvoir tous devenir des cadres sup’! Il y en a qui vont être obligés de nettoyer les chiottes des gagnants de cette nouvelle société.’ Certains vont comprendre qu’ils ne peuvent pas être ‘en marche’, urbains et cool parce que leur quotidien, c’est d’avoir les pieds dans la glaise. Et ça va enclencher une sacrée matrice de romans, de disques, de films courts, politiques. Dans une société qui pousse à la folie, il te faut des oeuvres pour que tu te dises: ‘En fait, je ne suis pas fou.’ Le polar ne te présente jamais le monde extérieur de façon à ce que tu t’y identifies. Le polar, ce sont des gens ultrasensi­bles qui ne sont pas heureux de ce qu’ils voient. Plus la société va mal et plus le polar se porte bien.

Que Virginie Despentes, quelqu’un dont vous devez vous sentir proche culturelle­ment, soit un des cartons de l’année dans la littératur­e française, ça vous évoque quoi? C’est un motif d’espoir. Cela explique que les gens aujourd’hui réclament autre chose que ces livres à la con qui disent: ‘Allez, bois du café ma chérie, ton amour viendra demain.’ Je suis plutôt un optimiste. Je trouve qu’on est en train de revenir aux utopies des années 70, ce moment où des tas de petites cavernes culturelle­s ou politiques offraient un contre-pouvoir au système dominant.

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