Society (France)

Trop d’armes, citoyens!

Membre d’un club de tir dans sa jeunesse, Iain Overton est aujourd’hui directeur de l’action on Armed Violence (AOAV), une fondation chargée de lutter contre la violence armée. Il est aussi l’auteur de Gun Baby Gun, grand état des lieux des armes dans le

- – THOMAS PITREL

Les études auxquelles vous vous référez disent que les Français possèdent 19 millions d’armes à feu. Comment expliquez-vous ce chiffre important? En Angleterre, le droit de chasse n’a toujours été réservé qu’aux aristocrat­es. En France, en revanche, vous pouvez être un pauvre fermier perdu et avoir votre fusil pour chasser. Il y a aussi plus de tireurs sportifs en France qu’en Angleterre, même s’ils sont bien moins nombreux qu’en Allemagne. Et puis la France est un pays reconnu dans le domaine des armes de collection. Au-delà de ça, on a tendance à sous-estimer la quantité d’armes en France parce que les statistiqu­es y sont assez obscures concernant le nombre d’armes par policier ou militaire, le nombre d’armes saisies chaque année, ainsi que le nombre de tués et de blessés par balle.

Le nombre d’inscriptio­ns dans les clubs de tir a augmenté en France après les attentats. Est-ce un phénomène inévitable après ce genre d’évènements partout dans le monde? Aux États-unis, on disait qu’obama était le meilleur pour faire vendre des armes parce que après chaque tuerie, il prenait la parole pour dire qu’il fallait faire quelque chose, et à chaque fois il y avait un pic de vente d’armes. Après Sandy-hook (du nom de l’école primaire où 28 personnes, donc 20 enfants, furent tuées par balle le 14 décembre 2012, ndlr), par exemple, il y a tellement de gens qui ont acheté des armes et des munitions aux États-unis que l’australie elle-même s’est retrouvée en pénurie. Toute la production mondiale a été aspirée par l’amérique. Il y avait des listes d’attente. Après le 11-Septembre, les ventes avaient aussi été énormes. Ce n’est pas propre à l’amérique. C’est un phénomène que l’on a également observé dans la classe moyenne au Pakistan ou en Amérique centrale, quand les gangs ont commencé à pulluler. Après les derniers attentats en France, Donald Trump a dit que si les Français avaient eu le droit de porter des armes, des vies auraient pu être sauvées. Il a 100% tort. Aux États-unis, moins de 2% des tueries ont été arrêtées par des civils armés, alors que c’est le pays où ces derniers sont le plus nombreux. Cela prouve bien que la chance d’avoir une personne lambda qui arrête un massacre est infime. D’autant que ces gens ne sont pas entraînés et pourraient blesser quelqu’un. Ce qui est drôle avec Trump, c’est que les ventes d’armes ont baissé depuis son élection… à part chez ceux qui n’ont pas voté pour lui. Par ailleurs, s’il construit son mur, cela pourrait avoir un effet positif sur le Mexique puisque les narcotrafi­quants sont abreuvés d’armes venant des États-unis. Je ne dis pas que le mur devrait être construit, mais qu’en tout cas, Trump n’est pas bon pour les ventes d’armes, étrangemen­t.

En France, la réponse aux attentats a été pour beaucoup d’ordre sécuritair­e: état d’urgence, plus d’armes pour la police, etc. Cela vous semble-t-il être la bonne? Vous pensez qu’armer la police retirera de la tête des djihadiste­s qu’à travers leur mort, ils atteindron­t le chahid (martyr, ndlr)? Moi, non. Évidemment, je comprends qu’il faille rassurer la population. Mais ceux qui créent les lois devraient réfléchir aux conséquenc­es à long terme de leurs choix. Curieuseme­nt, plus vous militarise­z une société, plus vous augmentez les risques d’avoir un haut niveau de morts de civils. Regardez ce qui s’est passé aux Étatsunis: lorsque vous militarise­z la police, les agents ne pensent plus comme des policiers mais comme des soldats. Vous vous battez contre la terreur et vous finissez pas incarner la terreur. Au niveau internatio­nal, c’est la même chose. Pensez aux bombardeme­nts au Pakistan, en Syrie. Si ces solutions fonctionna­ient, pourquoi la situation empire-t-elle? Dans beaucoup de pays, se balader avec une arme automatiqu­e dans la rue est devenu normal. Et dans le même temps, il n’y a, dans l’histoire, jamais eu autant d’attaques-suicides.

Y a-t-il quelque chose à faire pour éviter la circulatio­n des armes dans le monde? Autant on peut arriver à un règlement internatio­nal sur les mines antiperson­nel, autant quand on en arrive aux armes à feu, c’est compliqué parce que ça représente beaucoup d’argent. Et l’un des problèmes fondamenta­ux, c’est que lorsque vous regardez le top 5 des vendeurs d’armes et d’armement, c’est le Conseil de sécurité des Nations unies. Alors, c’est difficile.

“On a tendance à sous-estimer la quantité d’armes en France parce que les statistiqu­es y sont assez obscures”

Lire: Gun Baby Gun, de Iain Overton (Belfond)

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