Society (France)

PETIT À PETIT ROGER-PETIT FAIT SON NID

Dans le milieu, on l’appelle “BRP”, pour Bruno Roger-petit. Un ex-présentate­ur, ex-journalist­e, ex-chroniqueu­r, ex-blogueur, ex-twitto qui a beaucoup cherché l’entregent avant d’arriver, le mois dernier, à ce qui semble bien être son Graal: porte-parole d

- PAR JOACHIM BARBIER ET LUCAS MINISINI

Du temps où il écrivait pour Le Plus de L’obs, il avait prévenu par SMS l’une des éditrices sur le point de corriger son édito du jour: “On ne touche pas trop au BRP.” Le “BRP”, un concept. Il faut dire que dans le monde des éditoriali­stes du net, où la pertinence du propos se mesure en nombre de vues et de réactions provoquées, le BRP a souvent fait le boulot. Par exemple, son billet intitulé “Pujadas face à Sarkozy sur France 2, le journalist­e a commis une faute profession­nelle”. Boum! 567 340 vues et 60 commentair­es. Le secret? Une certaine faculté à trouver la polémique d’un jour, qui sera engloutie dans les tréfonds des archives d’internet par celle du lendemain, l’alimenter en développan­t un avis définitif sur tout et rien, des attentats de Charlie Hebdo à la “guerre contre les automobili­stes” menée par Anne Hidalgo. Et 567 340 vues, ça vous pose un homme, même si, comme le rapporte un ex de L’obs, “tous les jours, il consultait avec la direction du site des outils qui permettent de savoir quels sont les sujets qui créent le plus de trafic avant de savoir sur quoi écrire”. Des billets d’humeur qui ramenaient autant d’audience que de détracteur­s. Et cela tombait bien: le BRP n’aimait rien tant que dézinguer ces derniers sur les réseaux sociaux, bien conscient que ses positions arrêtées et définitive­s en 140 signes lui assuraient une position au centre des débats. Avant qu’il ne le ferme, suivre son compte Twitter relevait de la même attirance un brin malsaine que celle qui consiste à se taper le fil de Nadine Morano. Être sûr de recevoir sa dose d’indignatio­n quotidienn­e sur un sujet qui n’en valait, généraleme­nt, pas la peine. Une posture assumée qui lui a permis d’exister par le nombre de ses ennemis. “Il est toujours dans la provocatio­n. Et comme il a cogné et donné des leçons à tout le monde, il a été la cible de beaucoup d’animosité. Mais il s’en fout. Peu importe que l’on parle de lui de façon négative, du moment que l’on parle de lui”, assure son ex-compagnon de route Guy Birenbaum, qui se demande “si l’élysée n’a pas choisi le plus gros aimant à trolls de Twitter” pour propager sa bonne parole.

La rencontre avec Macron

Car BRP a été nommé porte-parole de la présidence le 28 août dernier. La petite sphère du milieu médiatico-politique parisien a sorti son mobile pour livrer la même analyse grinçante et amusée: “Simple officialis­ation”. Tant les prises de position de l’éditoriali­ste sont apparues, depuis le début de la dernière campagne, comme des marques de soutien à l’ex-ministre de l’économie. “Ce n’est pourtant pas quelqu’un qui cherchait le pouvoir et les honneurs”, défend le documentar­iste Bertrand Delais, qui le connaît depuis 30 ans et les bancs de Sciences Po. Pour Delais, réalisateu­r de Dans la tête d’emmanuel Macron, “BRP est clivant sur des positions modérées, parce qu’il a toujours été de gauche mais d’une gauche de gouverneme­nt. S’il est devenu ‘macroniste’ sur le tard, c’est par défaut, parce qu’il n’y a rien d’autre”. Dans la légende, le coup de coeur entre l’éditoriali­ste et le candidat se serait produit à l’occasion de l’interview donnée par Emmanuel Macron au magazine Challenges en octobre 2016. BRP la sanctifie aujourd’hui, façon rencontre sur la place des grands hommes. “Je suis sorti de l’entretien en me disant qu’il y avait en cet homme une vision pour le pays de très haut niveau historique et culturel.” C’est Bertrand Delais qui, alors qu’il filmait la mise en orbite de Macron, a fait le joint entre les deux. “Après cette interview, Macron m’a dit: ‘C’était très bien, il (BRP, ndlr) comprend que ma présidence est pensée dans un temps long. Cela change des questions des autres journalist­es sur mon nouveau chien ou ma nouvelle maîtresse.’” Une autre rencontre a lieu quelques semaines plus tard au premier siège de campagne du candidat Macron. “On en est sortis sans que l’un ou l’autre n’exprime sa volonté de faire des choses concrètes ensemble, poursuit Delais. Mais ils ont commencé à échanger. Macron me demandait parfois: ‘Qu’est-ce qu’en pense BRP?’” Les trois se créent une conversati­on de groupe sur l’applicatio­n de messagerie Telegram pour pouvoir communique­r. Elle servira finalement peu pendant la campagne, “faute de temps pour l’alimenter”. De son côté, BRP l’assure: “Il n’y avait pas besoin de se parler tous les jours. Macron s’était rendu compte que j’étais l’un des rares à comprendre sa démarche politique et historique. L’un des premiers aussi.” L’éditoriali­ste sera des invités à La Rotonde –prévenu par coup de fil de Macron avant même les résultats–, puis, alors que les premiers mois de la communicat­ion présidenti­elle cafouillen­t, il reçoit, le samedi 26 août, un SMS du président lui proposant de devenir porte-parole de l’élysée. Ce qu’il accepte le 28. Bertrand Delais: “BRP n’était pas demandeur. C’est Macron, pendant ses vacances à Marseille, qui a imaginé un changement de dispositif. Il se rendait compte que quelque chose n’imprimait pas et il s’est dit qu’il avait besoin d’un journalist­e pour l’expliquer. Or, des journalist­es avec un carnet d’adresses et une connaissan­ce de l’histoire, il n’y en a pas quinze. Hier, c’était Alain Duhamel ; aujourd’hui, c’est BRP. Au-delà de la politique, les deux se retrouvent sur leur côté ‘réprouvés’. Ils sont tous les deux issus de la petite bourgeoisi­e de province, mais se voient comme des personnage­s contraires aux moeurs bourgeoise­s. Macron par son mariage, BRP par sa carrière.”

La nomination a remis sur la table le débat sur la porosité entre le monde des journalist­es et celui des politiques. Un éternel sujet dans la carrière du BRP. “Il était tellement proche des gens sur lesquels il écrivait qu’on avait du mal à voir la justificat­ion autre que celle de la proximité”, se rappelle une ex-collègue du Plus. Elle aussi a expériment­é le rapport profession­nel avec le BRP: “Il balançait le lien de ses articles sur Twitter avant même qu’ils ne soient édités. Une manière de dire: ‘On ne corrige pas BRP.’ Sauf qu’il est toujours plein de citations, souvent les mêmes, des phrases de Tocquevill­e ou Talleyrand et qu’il mélange les auteurs. Quand tu lui faisais remarquer, il te répondait: ‘Non mais vous savez pas à qui vous avez affaire!’ Le jour où il a écrit que DSK était innocent et que je lui ai dit que la phrase posait problème à ce stade de l’avancée de la justice, il a pris ça pour de la censure.” Il faut dire que Bruno aime beaucoup Dominique. “Tout le monde disait que si DSK était élu, il allait avoir un poste”, se remémore une ancienne collègue. “Il faisait partie d’un petit groupe de personnes qui préparaien­t le retour de DSK en 2011”, glisse un ex-conseiller

de François Hollande. Aucune trace pourtant d’une quelconque fonction, même officieuse, au sein des équipes qui planchaien­t sur le programme de celui qui était alors en tête des sondages de la primaire du PS. “Il m’avait dit qu’il allait devenir directeur de la stratégie web de la future campagne de DSK”, lâche pourtant Gaël Brustier, ex-directeur de cabinet de Montebourg. BRP sous-entend que l’on a peut-être pensé à lui mais qu’il n’y a jamais eu de démarche concrète de sa part. “Ils m’avaient identifié comme blogueur influent, comme on disait à l’époque, donc ils usaient de beaucoup de séduction. Et cela passait par les infos en off qu’ils pouvaient me fournir.” Un robinet d’infos “en off” qui s’arrêtera de couler le 15 mai, selon lui, date à laquelle le scandale explose. Sur Le Plus de L’obs, BRP prend immédiatem­ent la défense de DSK dans les jours qui suivent la plainte déposée par Nafissatou Diallo. “On se posait beaucoup de questions sur les raisons légitimes de sa position”, se rappelle une journalist­e du site. “C’est à ce moment qu’on s’est fâchés”, glisse Gaël Brustier. BRP: “Je l’ai fait en rappelant les principes hérités de 1789, notamment la présomptio­n d’innocence. Mais c’était inaudible à l’époque. Je l’aurais fait pour n’importe qui. D’ailleurs, j’avais écris le même genre de papiers pour défendre Rachida Dati ou Jean Sarkozy quand ils avaient été attaqués sur leur vie privée. Vous pouvez leur demander.”

“Ne croyez pas tout ce qu’on vous dit”

Pratiqueme­nt au même moment, la direction et les responsabl­es éditoriaux se réunissent pour savoir comment L’obs va couvrir la campagne. Au fil des débats, “les journalist­es demandent son départ parce qu’ils ne sont pas d’accord avec ses prises de position et en ont marre qu’il représente l’hebdo sur les plateaux télé”, témoigne un exjournali­ste du titre. “Aude Baron, la rédactrice en chef, menace même de démissionn­er. Pourtant, BRP est maintenu. On a alors compris qu’il était devenu important pour le groupe.” Son statut et le basculemen­t de l’économie du titre vers le net attisent fantasmes et inquiétude­s au sein de la rédaction. “C’était un sacré fight quand on a demandé combien il était payé. On est montés au créneau parce que c’était en toute opacité. On nous a répondu que c’était l’intérêt supérieur du groupe parce qu’il apportait une plus-value”, résume un élu de la Société des rédacteurs de L’obs. Faute de réponse claire, son dernier relevé de piges, de 3 200 euros brut, est accidentel­lement oubliée à la photocopie­use et circule dans la rédaction. Les mêmes questions sur le salaire des “éditoriali­stes” seront posées au sein de la rédaction de Challenges qu’il rejoint après la vente de L’obs. Aux représenta­nts du personnel, Claude Perdriel, le patron du magazine, répond, enthousias­te: “Il nous fait bénéficier d’une audience de 200 000 lecteurs et va nous rapporter à lui seul 150 000 à 180 000 euros par an.” Depuis, le vieil homme de presse et l’éditoriali­ste se servent l’un de l’autre. “Il me dit souvent: ‘Pedriel, ça a été mon père Noël’”, rapporte Bertrand Delais. Perdriel souligne, lui, “l’intuition” de celui qui est “devenu un ami”. “Il est l’un des seuls à savoir le matin à 7h le sujet qui va faire parler à 15h. Et contrairem­ent à ceux que je vois défiler sur les plateaux télé, il a un socle de connaissan­ces et une conscience politique qui lui permettent d’apporter un éclairage neuf. Quand Macron dit: ‘Je ne suis ni de droite ni de gauche’, Bruno se rappelle que De Gaulle a fait deux discours importants en développan­t la même idée. Et ça, c’est assez appréciabl­e.” Avant le flirt avec l’entourage de DSK, il y avait eu quelques pas de danse autour d’un Arnaud Montebourg qui visait la primaire socialiste de 2007. “Les deux étaient potes depuis Sciences Po”, résume Brustier, proche de Montebourg. Au-delà de cette amitié, “BRP était un gars très utile dans une campagne. Il possède une influence et un pouvoir dans les médias bien plus importants qu’on ne le pense”. Une influence en partie due à cette image de rebelle née un soir d’octobre 1997, lorsqu’il termine le journal de la nuit de France 2 en balançant ses fiches avec désinvoltu­re. “Le journal avait été mauvais et c’était une façon de dire: ‘Ne croyez pas tout ce qu’on vous dit’”, déclarera-t-il plus tard pour se justifier. Le geste ferait aujourd’hui un mème sur Internet et une tendance sur Twitter mais à l’époque, on ne rigole pas avec le respect des téléspecta­teurs qui payent leur redevance. BRB est suspendu de la présentati­on du journal par le directeur de l’info, Pierre-henri Arnstam. Aujourd’hui à la retraite, ce dernier élargit le contexte de sa mise à pied. “Il avait du talent mais il n’aimait pas certaines personnes à la rédaction et était très critique sur les sujets que l’on traitait.” Au sein du service politique de France 2, “il était paradoxale­ment plus proche de Paul Amar ou Rachid Arhab, les incorrupti­bles qui se faisaient un devoir de refuser les déjeuners avec les politiques, que d’arlette Chabot”, éclaire un ancien collègue. “Il trouvait que Chabot était aux ordres”, ajoute Gérard Leclerc, ex-éditoriali­ste politique de la chaîne publique. Un grand reporter de la chaîne, toujours en poste, s’en souvient comme “d’un drôle de personnage, caustique et brillant”, plus intéressé par les intrigues des couloirs de France Télévision­s que par les sujets à monter. “Il était toujours dans le calcul, à essayer d’avoir un coup d’avance pour savoir qui allait prendre le poste de qui.”

“Jean-luc, il est nul”

Avec son geste qu’il jugeait transgress­if, BRP pensait recevoir le soutien de ceux qui tentaient à l’époque de faire de la télévision autrement. Manqué. Frédéric Taddeï: “Il était venu me voir en me disant: ‘Toi, je suis sûr que t’as compris ce que je voulais dire.’ Moi, je voyais que les gens n’avaient plus confiance dans les journalist­es et donc qu’en jetant ses feuilles, il avouait qu’il venait de raconter des conneries. Il pensait que j’allais le considérer comme un rebelle mais je lui ai dit que si j’avais été directeur de la chaîne, moi aussi je l’aurais viré.” Contrairem­ent à la légende, ce n’est pas sa critique de la ligne éditoriale de France Télévision­s à l’occasion d’une interview donnée au magazine Technikart qui provoquera son licencieme­nt du service public. Puisqu’il ne sera jamais licencié. Après une placardisa­tion de plusieurs années, BRP négociera une rupture convention­nelle avec son employeur en 2004. Et rebondira très vite au sein de l’écurie Delarue. “Jean-luc avait remarqué son côté décalé, je-m’en-foutiste et non convention­nel, se rappelle Florian Gazan qui avait monté Réservoir Prod avec l’ex-animateur-producteur. Delarue cherchait des chiens de course, et il a parié sur BRP.” Sur France 5, Bruno Roger-petit présente alors Ça me regarde, un talk-show où des adolescent­s questionne­nt un responsabl­e politique. “Malheureus­ement, il était plus à l’aise pour parler aux puissants qu’aux personnes lambda, raconte un responsabl­e éditorial de Réservoir Prod. Je me souviens de quelqu’un qui avait un avis sur tout et critiquait sans cesse tout et tout le monde. Il nous disait: ‘L’émission est nulle, Jean-luc est nul.’” Au bout de deux saisons, l’émission s’arrête. Comme beaucoup de salariés de Réservoir Prod, BRP fait valoir ses droits auprès des prud’hommes pour licencieme­nt sans cause réelle. Et obtient gain de cause. Alors que la campagne présidenti­elle qui prendra fin avec l’élection de Nicolas Sarkozy approche, BRP a une idée. Il lance un blog qu’il appelle Françoismi­tterrand, pour la commenter anonymemen­t caché derrière la figure de l’ex-président. L’amour qu’il porte à ce dernier remonte à ses années Sciences Po, lorsqu’il animait un club, L’abeille et l’architecte, au sein duquel il donnait notamment des lectures d’ici et Maintenant, le livre de Mitterrand et Guy Claisse. “Avant de savoir que c’était lui, j’étais très fan du blog, se rappelle Eduardo Rihan Cypel, exdéputé socialiste devenu l’un de ses proches. C’était le seul à parler de stratégie de communicat­ion politique, de Jacques Pilhan, le conseiller de Mitterrand. Et nous, les responsabl­es politiques, c’était le genre de propos qui nous intéressai­ent.” “Via son blog ‘Mitterrand’, il communiqua­it de manière cachée avec les proches de Ségolène Royal qui, pendant la campagne de 2007, suivaient ses conseils”, décrypte quant à lui Gaël Brustier. Montebourg, Royal, DSK… BRP n’a pas toujours eu le nez creux. Mais c’est lui, aujourd’hui, qui est assis dans un bureau de l’élysée aux côtés de celui qui a torpillé un PS agonisant. “Parce que ce n’est pas un idéologue. Il considère que pour avoir une influence sur les idées, il vaut mieux être le conseiller du prince. Donc il faut être dans le camp de celui qui a le plus de chance de gagner”, théorise Brustier. Une approche que Guy Birenbaum résume par une autre formule: “Il s’est toujours cherché un cheval, et là, c’est sa chance: le cheval est déjà président.”

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