Society (France)

ET À LA FIN, C'EST MERKEL QUI GAGNE

- PAR LUCAS DUVERNET-COPPOLA ET JULIEN MÉCHAUSSIE, À BERLIN

Sauf tremblemen­t de terre, angela Merkel rempilera le 24 septembre prochain pour un nouveau mandat de chancelièr­e. Ce qui en portera le compte à quatre, un record en Allemagne et une incongruit­é totale dans cette Europe “dégagiste” qui change désormais de dirigeant dès qu’elle en a l’occasion. Pourquoi cette anomalie? Comment fait-elle? Et jusqu’à quand cette histoire durera-t-elle? Voici Angela Merkel, côté stratège politique. Ou comment, derrière son personnage de “Mutti”, se cache une vraie “tueuse”.

Tdire que tout cela aurait pu ne jamais arriver. Dire qu’angela Merkel aurait pu rester dans l’histoire comme une chancelièr­e médiocre, incapable de durer dans le temps ni de marquer son époque. C’était lors des élections fédérales du 27 septembre 2009. Chancelièr­e sortante, Merkel était candidate pour un deuxième mandat consécutif, mais à l’union chrétienne-démocrate (CDU), son parti de centredroi­t, peu voyaient la perspectiv­e d’un bon oeil. Un mois plus tôt, lors des régionales, le parti avait perdu deux Länder et reculé presque partout en Allemagne. Alors, les langues s’étaient déliées. Josef Schlarmann, chef des questions économique­s de l’union, avait lancé la première banderille: “Nous n’avons pas réussi à démontrer aux électeurs comment nous allions sortir rapidement le pays de la crise financière. Madame Merkel en est responsabl­e.” Philipp Missfelder, membre du comité directeur, avait embrayé: “La campagne est pour l’instant apolitique, vide de sens, dénuée de contenu.” Bon gré, mal gré, Merkel avait résisté. Mais c’était, croyait-on alors, pour une victoire à la Pyrrhus: finalement reconduite comme chancelièr­e au terme d’une campagne sans frisson, l’ancienne physicienn­e s’était retrouvée à la tête d’un parti ayant réalisé son plus mauvais score depuis 1949, et n’avait sauvé les apparences qu’à la faveur d’une coalition formée in extremis avec les libéraux du FDP. Huit ans plus tard, l’histoire sonne comme une blague. Non seulement Angela Merkel est encore au pouvoir, mais personne, dans son propre camp, n’oserait publiqueme­nt la remettre en cause à quelques jours de nouvelles élections. Le suspense? Quel suspense? Depuis qu’elle a annoncé, le 20 novembre 2016, sa candidatur­e à un quatrième mandat de rang, Merkel survole les sondages, seule en tête avec quinze points d’avance sur le social-démocrate Martin Schulz (SPD). De telle sorte que l’affaire semble entendue: oui, Angela Merkel, classée six fois “femme la plus puissante du monde” par Forbes, gagnera les élections le 24 septembre prochain. Ce sera, malgré l’aspect monotone de la chose, un événement historique. Tandis qu’en France, le “renouveau” Emmanuel Macron est déjà plongé dans des abymes d’impopulari­té, Merkel battra en effet ainsi le record de longévité d’un dirigeant à la tête de l’allemagne, avec seize ans de pouvoir ininterrom­pu, plus que Konrad Adenauer ou Helmut Kohl. En cette époque de “dégagisme”, où chaque pays européen semble prendre un malin plaisir à envoyer ses politiques à la retraite sitôt leur premier mandat achevé, c’est peu dire que l’affaire est incongrue. Pour ne pas dire mystérieus­e.

Cette année, Martin Schulz n’avait guère que l’unique débat télévisé du 3 septembre pour espérer briser ce scénario joué d’avance. Las. Pendant l’heure et demie qu’a duré le “duel”, il n’a pas réussi une seule fois à se démarquer, les deux adversaire­s semblant d’accord sur à peu près tout. L’économie, l’europe, l’environnem­ent, la politique migratoire. Tant et si bien que Schulz n’avait, au terme de la rencontre, plus que ses yeux pour pleurer. “Merci d’avoir adopté la position des sociaux-démocrates”, a fini par conclure le leader du SPD à l’adresse de Merkel, dans un sourire jaune qui semblait vouloir dire autre chose que ce qu’il disait. À savoir: “Je sais que vous ne faites pas ça par conviction, mais parce que c’est la meilleure façon de me battre.” Ce qui est –au moins en partie– la stricte vérité. Vue depuis l’étranger comme une femme de principes, qu’il s’agisse d’assécher l’europe avec une politique d’austérité non négociable ou d’ouvrir les portes de l’allemagne aux migrants au nom de la dignité humaine, Angela Merkel est en effet aussi –surtout?– une politicien­ne hors pair, au sens purement tactique du terme, dont la spécialité consiste précisémen­t à reprendre à son compte les idées de ses adversaire­s. Les avantages de cette pratique sont doubles. Un: attirer vers elle les électeurs de ses opposants. Deux: affaiblir –ou tuer– lesdits opposants en les vidant de leurs idées principale­s. Cette stratégie est d’ailleurs brandée. En Allemagne, on l’appelle asymmetris­che demobilisi­erung. Soit “démobilisa­tion asymétriqu­e”. Et puisqu’il n’y a pas de hasard, il faut justement remonter au coup de froid de septembre 2009 pour en retrouver l’origine. Quelques mois après sa réélection peu glorieuse pour un second mandat, Angela Merkel a convoqué toutes les huiles de son parti au centre de Berlin, à la maison Konrad-adenauer, le siège de la CDU. Ils sont tous là: les ministres-présidents des Länder, les chefs du groupe parlementa­ire, les ministres, les députés de premier ordre. L’objet de la réunion est simple: écouter ce que Matthias Jung a à dire. Jung, 54 ans à l’époque, travaille au Forschungs­gruppe Wahlen, l’un des principaux instituts de sondage du pays, et distille ses analyses à Angela Merkel avant et après chaque élection. Lorsqu’il s’avance ce matin de janvier 2010 face à l’assemblée, le sondeur ouvre son ordinateur sans mot dire, le relie à un vidéoproje­cteur. Une caricature s’affiche au mur. On y voit deux fidèles qui chuchotent lors d’une messe. L’un dit à l’autre: “La CDU ferait bien de se concentrer à nouveau sur ses vrais partisans.” Puis, Jung change de slide. Le graphique représente alors la pyramide des âges de l’électorat de l’union chrétienne­démocrate. La conclusion est simple: d’une élection à l’autre au Bundestag, le grand parti de centre-droit perd un million d’électeurs. Pas parce que ces derniers sont allés voir ailleurs. Simplement parce qu’ils sont morts. Dans l’assemblée, c’est l’incompréhe­nsion. Pour Jung, tout est pourtant limpide. Si la CDU veut conserver le pouvoir, elle n’a d’autre choix que d’aller chercher de nouveaux électeurs là où ils se trouvent, et pour ce faire, de renouveler ses valeurs. Autrement dit: le parti doit se reposition­ner vers le centre. La modernisat­ion de la société, la disparitio­n du clivage Est/ouest et de l’anticommun­isme, doivent l’amener à tout repenser. “Cette propositio­n de virage au centre a été très critiquée”, se souvient aujourd’hui Jung. Le sondeur se rappelle que dans la salle, seule Merkel semblait ravie. Logique: elle dont les détracteur­s moquent l’absence de conviction et de corpus idéologiqu­e depuis son entrée dans la

“LORSQUE LA POLARISATI­ON ÉTAIT EXTRÊME, LA VIE POLITIQUE ÉTAIT BASÉE SUR LES ÉMOTIONS, ET ON POUVAIT AVOIR L’IMPRESSION QU’IL Y AVAIT PLUS DE CONTENU. MAIS AUJOURD’HUI, LES GENS RÉCLAMENT LE CONSENSUS” Matthias Jung analyste spécialisé dans les sondages

vie politique réalise alors la force qu’elle peut tirer de cette apparente faiblesse. Sa tactique consistera désormais à ne rien dire qui puisse mobiliser le camp adverse, et à occuper tout l’espace du centre en produisant un consensus sur les questions nationales et internatio­nales.

Un peu plus d’un an après la réunion à la maison Konrad-adenauer, Angela Merkel a l’occasion de mettre en pratique la théorie de Matthias Jung. Cela se passe à la fin de l’hiver 2011, et le contexte est apocalypti­que. Le 11 mars, un séisme et un tsunami ont atteint la centrale nucléaire de Fukushima, au Japon. Les réacteurs ont fondu. En Allemagne, où la conscience écologique est plus développée que dans le reste de l’europe, l’émoi est considérab­le. La sortie du nucléaire était le point principal du programme des Verts lors de la campagne de 2009. Die Grünen avaient même trouvé un accord avec le SPD pour proposer un plan progressif de sortie. Merkel, elle, affichait au contraire clairement sa volonté de prolonger la durée de vie des plus vieux réacteurs présents en Allemagne. Quand la catastroph­e de Fukushima arrive, ses adversaire­s y voient donc une opportunit­é: ils ont enfin une prise solide à laquelle se cramponner pour l’attaquer vertement. Mais le 23 mars, au cours d’une conférence financière à Frankfurt, la chancelièr­e fait une annonce surprise: “Plus tôt on sortira de l’énergie nucléaire, mieux ce sera.” Les Verts sont pris au piège. “Sa décision a tué l’aspect central du plan que nous avions proposé lors de la campagne de 2009, concède aujourd’hui Frithjof Schmidt, vice-président du groupe parlementa­ire des Verts au Bundestag, et ancien député européen. Nous ne voulions pas dédommager les géants du secteur, elle oui. La question qui se posait désormais était: devons-nous apporter notre soutien à la CDU pour cette sortie du nucléaire, avec ces modalités? Pour notre base, la réponse était non. Mais si nous nous opposions à cette sortie du nucléaire, totalement inespérée, quel aurait été le message lancé à l’extérieur? Que les Verts sont contre la sortie du nucléaire. Personne n’aurait retenu que nous voulions d’autres modalités. Nous étions tout simplement pieds et poings liés. À la direction du parti, nous avons donc décidé de soutenir le plan de Merkel.” Depuis ce revirement spectacula­ire de la chancelièr­e, les Verts ne sont pas parvenus à dépasser 10% aux élections, eux qui tutoyaient les quinze points auparavant. Ce n’est sans doute pas un hasard. “Nos difficulté­s actuelles sont clairement dues à la stratégie de Merkel, analyse Schmidt. Elle reprend à son compte nos positions, à la base avant-gardistes, les rend mainstream, et nous, nous baissons.” Et elle, pendant ce temps-là, monte. Aux élections de 2013, deux ans après Fukushima, la CDU frôle la majorité absolue. Merkel est réélue, comme le lui avait promis Jung, avec 41% des voix.

Coup à trois bandes et gueule de bois

Depuis ce coup d’éclat, la chancelièr­e a pratiqué la démobilisa­tion asymétriqu­e à deux reprises. La première date d’août 2015. Le “camion de la honte” est découvert, en Autriche, à proximité de la frontière hongroise. Soixanteet-onze migrants sont morts de suffocatio­n dans un poids lourd réfrigéré. Jusqu’ici inflexible malgré l’afflux de réfugiés à ses portes, la chancelièr­e décide d’ouvrir ses frontières. Pour la seule année 2015, près d’un million de réfugiés entrent dans le pays. Ce revirement soudain, décidé sans concertati­on avec son parti, a failli être l’une des rares erreurs politiques de Merkel. L’aile la plus conservatr­ice de la CDU crie au scandale et hurle à “l’appel d’air”. Un espace se crée à droite dans lequel l’afd –Alternativ­e für Deutschlan­d– s’engouffre immédiatem­ent. Pour la première fois, un parti d’extrême droite se met à réaliser des scores à deux chiffres dans les élections régionales de 2016 et fait son entrée au parlement de treize

“MERKEL ADOPTE EN TOUTES CIRCONSTAN­CES UNE ATTITUDE PUREMENT TACTIQUE. CELA CONDUIT À UN NÉANT POLITIQUE, UN VIDE DE PRINCIPES ET DE CONVICTION­S. C’EST LA DÉFINITION MÊME DE L’OPPORTUNIS­ME” Frithjof Schmidt parti des Verts

Länder, sur les seize que compte le pays. Pourtant, sommée à nouveau de réagir par des cadres de son parti, Merkel fait l’inverse de ce qu’a pu entreprend­re Nicolas Sarkozy en France face à la montée du Front national. Elle ignore l’afd et fait le pari qu’une fois l’urgence de la crise surmontée, le soufflet retombera. C’est exactement ce qui s’est passé. Empêtrée dans des conflits de personnes, l’afd est retombé sous la barre des 10% dans les sondages. Merkel, elle, a fait coup double, et tant pis si une partie de ses électeurs historique­s s’offusque de cette politique humaniste –après tout, ne seront-ils pas morts aux prochaines élections? Elle a aussi gagné l’image de la chancelièr­e du coeur et est devenue, sur ce sujet majeur, inattaquab­le par le SPD et les autres composante­s de la gauche. Son deuxième coup, plus récent, est plus subtil encore. En juin dernier, Martin Schulz déclare que l’adoption du mariage homosexuel est une condition non négociable à une future grande coalition. Enfin, le SPD croit tenir une idée de gauche qui lui permettra de polariser la campagne. Encore raté. Interrogée dès le lendemain sur un possible vote au Bundestag, la chancelièr­e déclare simplement que si pareil vote avait lieu, il n’y aurait pas “de discipline de groupe parlementa­ire, il s’agit d’une décision de conscience”. En une demi-phrase, Merkel vient d’ouvrir la porte au mariage homosexuel. Les Verts, die Linke (gauche radicale) et le SPD n’ont d’autre choix que d’enclencher la machine parlementa­ire et quatre jours plus tard, après 38 minutes de débat, le mariage homosexuel est adopté. Le jour même du scrutin, Merkel annonce avoir voté contre la loi “à titre personnel”. Coup à trois bandes: elle poursuit la modernisat­ion de son parti, arrache un thème de campagne à son adversaire et ne froisse pas ses électeurs conservate­urs. Encore une fois, l’ennemi est KO. “Nous avons fait la fête et bu une coupe de mousseux, puis nous avons eu une sorte de gueule de bois immédiate car nous ne pouvions plus faire campagne en brandissan­t cette thématique de gauche”, se rappelle Katharina Scherting, assistante parlementa­ire pour le SPD.

Toutes ces décisions ont laissé une sensation de flou quant à leurs motivation­s réelles. S’agissait-il de pragmatism­e? On a beaucoup dit qu’angela Merkel abordait la politique comme elle abordait, plus jeune, la physique: comme quelqu’un de prudent, qui pèse le pour et le contre avant de prendre chaque décision, et qui préférera toujours la raison à la passion. De conviction? Sur la question des migrants, plusieurs de ses biographes ont mis en avant les valeurs humanistes inculquées par son père pasteur pour expliquer son soudain volteface. Ou tout ceci n’est-il qu’opportunis­me pur et dur? Cette dernière thèse est celle des Verts et de Frithjof Schmidt. “Merkel se moque éperdument des positions qui sont au coeur de son parti. Elle adopte en toutes circonstan­ces une attitude purement tactique, dénonce ce dernier. Cela conduit à un néant politique, un vide de principes et de conviction­s. C’est la définition même de l’opportunis­me.” Bien qu’elle émane d’un adversaire, difficile de ne pas accorder de crédit à cette critique. Après tout, la trajectoir­e politique d’angela Merkel a de longue date été guidée par les circonstan­ces, et ne s’est jamais embarrassé­e de “meurtres politiques”, parmi lesquels l’un trône plus haut que les autres: celui de son père spirituel, Helmut Kohl. C’est, on le sait, par une porte dérobée qu’angela Merkel a fait son entrée en politique, à travers un nouveau parti, Demokratis­cher Aufbruch –Renouveau démocratiq­ue. On est en 1989, et la jeune femme se retrouve rapidement porte-parole de la petite formation ni vraiment à gauche ni vraiment à droite. La période, incertaine, permet tous les possibles. Mais Merkel est toujours cette scientifiq­ue qui observe calmement. Elle attend 1990 et les premières élections au Bundestag de l’allemagne réunifiée pour choisir son camp. Va pour la CDU, après quelques hésitation­s à prendre sa carte au SPD. À l’époque, Helmut Kohl, avec son visage en forme de poire, son charisme imposant et ses discours effervesce­nts, règne sans partage sur les conservate­urs. Il a un coup de coeur pour cette jeune femme raillée pour sa coupe au bol qui semble si appliquée. Il sait aussi que cette Mädchen –petite fille–, comme il l’appelle dans un savant mélange d’affection et de dédain, a grandi à l’est, et qu’elle lui offre par conséquent une caution

solide pour former un gouverneme­nt à l’image du nouveau pays. Angela Merkel devient donc ministre de l’environnem­ent. Kohl en est convaincu: il n’a rien à craindre d’elle. En vérité, il vient de créer les conditions d’un parricide. Qui aura lieu quelques années plus tard. En décembre 1999, alors que l’ancien chancelier est englué dans une affaire de caisses noires, Angela Merkel publie, trois jours avant Noël et sans prévenir personne, une tribune dans le journal conservate­ur Frankfurte­r Allgemeine. On y lit notamment ceci: “Helmut Kohl a nui au parti (...). Le parti doit apprendre à marcher, et à se lancer dans le combat sans lui.” La poire ne s’en relèvera pas. Merkel, elle, est élue à la tête de la CDU dès l’année suivante, le 10 avril 2000.

La dame du consensus

Il existe en Allemagne une théorie disant que ce n’est pas Angela Merkel qui gagne les élections, mais ses adversaire­s qui les perdent. Ce qui est sûr, c’est que leurs coups ne l’atteignent pas. Telle est la grandeur de Merkel: elle ne répond jamais aux attaques. De la même manière qu’elle n’est jamais tombée dans la surenchère sécuritair­e qu’aurait espéré d’elle l’afd. Elle a asphyxié, depuis qu’elle en a pris la tête, toute contestati­on interne à la CDU en se contentant de regarder ailleurs. Plusieurs responsabl­es du parti ont payé pour voir. C’était en 2009, encore. Après sa première réélection ric-rac au poste de chancelièr­e, et alors qu’elle semblait plus affaiblie que jamais, Angela Merkel avait eu la mauvaise surprise de découvrir dans la presse une tribune en forme de critique ouverte de son leadership venue de son camp. Abandon des références chrétienne­s et du dogme néolibéral… Jamais, dans l’histoire de la CDU, le(a) chef(fe) n’avait été attaqué(e) aussi durement. Comment la chancelièr­e allait-elle réagir? Très simple: elle n’a pas réagi. Faute d’oxygène, l’incendie s’éteint alors tout seul. Quant aux conjurés, ils ont aujourd’hui disparu de la vie politique allemande. La gauche n’a pas fait mieux. Ces derniers mois, alors que ce n’étaient pas les critiques possibles qui manquaient –la prospérité économique façon Merkel s’accompagne d’un accroissem­ent des inégalités sociales, d’une explosion des loyers, d’une hausse de la pauvreté des seniors, notamment–, le SPD n’a pas su être audible. Certes parce qu’il a participé à cette libéralisa­tion du marché du travail, soit quand il était au pouvoir avec Schröder, soit lors des coalitions avec la CDU. Mais aussi parce que jamais Angela Merkel n’a semblé reconnaîtr­e en Martin Shulz un adversaire à sa taille. “Dans cette campagne, il y en a un qui laisse courir l’autre, esquive les coups en se baissant, se défile, ne porte jamais de coup et n’en reçoit jamais, image, résignée, Katharina Scherting. On pourrait se dire: aucun des deux ne marque de points. Au contraire: Schulz ne trouve aucune prise, tape dans le vide, et se retrouve fragilisé.” Perdu pour perdu, le candidat du SPD a bien tenté de dire tout haut ce que les analystes politiques observaien­t en silence, critiquant lors d’un discours cette tactique de “démobilisa­tion asymétriqu­e, qui n’est rien d’autre qu’un attentat contre la démocratie”. L’arroseur, encore une fois, a été arrosé. Dans l’assemblée, personne n’a compris où Martin Schulz voulait en venir, et la classe politique allemande s’est offusquée d’une telle virulence.

Car Angela Merkel, au-delà de la tactique, au-delà de l’asymmetris­che demobilisi­erung, semble avoir mieux compris que tous ses adversaire­s une chose simple: la façon dont l’allemagne vit la politique. Ce n’est peut-être pas un hasard si le surnom que les Allemands ont donné à leur chancelièr­e est celui de Mutti (“maman”). “L’allemagne se gouverne au centre, car elle a fait l’expérience dans son histoire de la manière dont les extrêmes, au premier rang desquels le nationalso­cialisme, ont affaibli mortelleme­nt la République de Weimar”, pointe Emmanuel Droit, professeur d’histoire des relations internatio­nales à Sciences Po Strasbourg. À cette méfiance historique s’ajoute un nouvel élément, né de l’effondreme­nt du communisme. “Lorsque la polarisati­on était extrême, la vie politique était basée sur les émotions, et on pouvait avoir l’impression qu’il y avait plus de contenu. Mais aujourd’hui, les gens réclament le consensus”, avance Matthias Jung. Un état de fait que ne nie pas Nils Diederich, professeur émérite en sciences politiques de l’université libre de Berlin, mais qui demande à être nuancé. “Il y a historique­ment en Allemagne une recherche du consensus que l’on ne retrouve pas dans d’autres pays d’europe, et cela est dû à notre histoire, confirme le professeur. Cette recherche du consensus, Merkel, mieux que n’importe qui, a réussi à la mener. Cela marche aujourd’hui parce que l’allemagne se porte bien économique­ment. Mais au premier signe d’une grave crise, il est probable que les électeurs se retournero­nt du jour au lendemain.” En attendant, Merkel n’a donc, sans surprise, pas eu grandchose à faire pendant la campagne. Comme à son habitude, elle n’a livré aucun discours vibrant ni fait d’annonce spectacula­ire, se contentant d’articuler toutes ses sorties autour de sa personne plus que sur une vision politique dont on ignorera sans doute toujours si elle existe vraiment. Elle a bien reçu quelques tomates jetées par des militants de l’afd, auxquels elle a répondu, ravie, que “sur un tailleur rouge, les taches de tomate ne se voient pas”. Sa déclaratio­n la plus spectacula­ire du combat électoral a en fait eu lieu le 23 août dernier, dans les colonnes du magazine people Bunte, dévoré chaque semaine par quatre millions de lecteurs. Pour l’occasion, elle avait exceptionn­ellement consenti à évoquer sa vie privée, sa petite maison de campagne et la culture de pommes de terre qu’y permet le sol sablonneux. “La récolte s’annonce abondante, a déclaré la chancelièr­e amatrice du tubercule, avant de livrer un autre de ses secrets, celui d’une bonne purée. J’écrase moi-même les pommes de terre avec un pilon, et non pas un presse-purée. •TOUS Cela permet de conserver de petits morceaux.” PROPOS RECUEILLIS PAR LDC ET JM

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Elles voulaient se taper dans la main, mais Angela a été trop rapide.
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Qui avait noté qu’emmanuel Macron a un peu les dents du bonheur?

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