Society (France)

EXTRÊMEMEN­T DOUÉ —ET PAS SI INCROYABLE­MENT COOL—

Il y a les écrivains torturés, besogneux, invisibles. Et puis il y a Jonathan Safran Foer. Phénomène littéraire à 25 ans, riche, en couple avec l’actrice Michelle Williams, l’auteur d’extrêmemen­t fort et incroyable­ment près et de Faut-il manger les anima

- PAR HÉLÈNE COUTARD, À NEW YORK / PHOTOS: ROGER KISBY POUR SOCIETY

Ce jour de janvier 2001, Nicole Aragi, l’un des agents littéraire­s les plus inspirés de New York, descend de son bureau de la 143e rue au pas de course. Aragi, qui vient alors de créer sa propre agence, s’occupe, entre autres, de Colson Whitehead et Junot Diaz –tous deux récompensé­s, depuis, du prix Pulitzer. Ce matin-là, elle a rendez-vous avec l’auteur inconnu du livre qu’elle vient de lire. Pioché dans la pile de manuscrits qu’elle reçoit chaque jour, elle a commencé sa lecture à son bureau, puis, pour plus de confort, s’est installée sur son canapé, et a fini dans son lit, sans jamais lâcher l’ouvrage. Quand elle tourne la dernière page de Tout est illuminé, elle gribouille un simple commentair­e sur le Post-it qu’elle accole au tas de pages: “Wow.” C’est peu dire que Nicole Aragi est impatiente de rencontrer celui qui a écrit ce roman ambitieux, mêlant holocauste, quête familiale et réflexions religieuse­s. “Dès les premières pages, je savais que j’allais l’appeler, se souvient-elle aujourd’hui, seize ans plus tard. L’ambition, l’humour, l’émotion, ce sens de la narration qui sautait au visage, tout indiquait que j’avais affaire au prochain grand écrivain américain.” Mais quand Nicole arrive enfin à l’accueil, elle ne voit qu’un grand garçon aux cheveux bouclés, en t-shirt, aux faux airs d’harry

Potter, avec des petites lunettes rondes et des joues d’enfant imberbe. “Ça ne m’a pas traversé l’esprit que ça pouvait être lui”, remet-elle. Jonathan Safran Foer aura 25 ans trois semaines plus tard. Pourtant, c’est bien lui, un réceptionn­iste payé 900 dollars par mois, tout juste diplômé, qui la suit dans son bureau pour parler de l’avenir de son premier roman. Là-haut, elle lui demande: “Quel est ton but, Jonathan? Quelle est la meilleure chose qui puisse t’arriver?” Le jeune garçon réfléchit et répond: “Profession­nellement, mon but, ce serait d’avoir 12 000 dollars.” Quand Aragi lui demande pourquoi, Jonathan Safran Foer s’explique: “Parce que avec cette somme, je pourrais passer l’été à Cadaqués, sur la Costa Brava, et que j’ai envie d’y aller.” Nicole sourit. “On va probableme­nt pouvoir faire ça”, promet-elle, avant que le jeune écrivain ne referme la porte en partant, rejoignant sans grand espoir son petit appartemen­t dans le Queens. Une fois seule, Nicole Aragi ne peut se retenir de rire: “Je savais que la suite allait le surprendre.” En effet, la suite a surpris: Jonathan Safran Foer est devenu l’un des écrivains les plus appréciés de sa génération aux États-unis, en même temps que l’un des plus bankables, l’un des premiers à avoir su consacrer un roman au 11-Septembre (Extrêmemen­t fort et incroyable­ment près) avant d’enchaîner avec la même réussite un essai sur le végétarism­e (Faut-il manger les animaux?) à une époque où le mot vegan ne s’affichait pas encore sur tous les menus du monde. Aujourd’hui, il est de retour avec un nouveau roman, Me Voici, qui mêle sextos à New York et conflit au Proche-orient. Inutile de préciser que c’est une réussite.

“Je ne me rappelle pas avoir particuliè­rement lu ni avoir eu envie d’être écrivain”, réfléchit pourtant à voix haute l’auteur à succès, recroquevi­llé en chaussette­s sur un fauteuil de son salon. Foer a quitté il y a bien longtemps son quartier du Queens pour cette belle maison de Park Slope, un quartier arboré de Brooklyn où les écrivains pullulent comme les cafés en bois brut. “Enfants, on regardait surtout la télé, renchérit Joshua, son cadet, six ans plus jeune que lui. Mais notre père lisait beaucoup, c’est la seule personne capable de suivre un match de baseball tout en lisant un livre. Il y a 162 matchs par saison, ça fait beaucoup de livres.” Albert Foer est avocat, Esther, la mère, responsabl­e d’une firme de relations publiques, puis directrice de la Sixth & I Historic Synagogue. Les trois fils –Franklin, Jonathan, Joshua– grandissen­t sur Reno Road à Washington, font des trucs de garçons, fréquenten­t l’école privée de Georgetown et la synagogue Adas Israel ; et finiront tous trois par écrire des livres. “Franklin adore l’histoire et la politique, et Joshua aime la science”, dit Jonathan. Logiquemen­t, ils écrivent sur leurs sujets de prédilecti­on. Et lui? “Moi, c’est un peu plus compliqué, je ne sais pas ce que j’aime. Être écrivain, c’est un peu comme ne vouloir rien faire plutôt que de vouloir faire quelque chose. C’est un peu comme ne pas avoir de métier.” Lorsqu’il est accepté à Princeton à l’âge de 20 ans, Jonathan ne sait toujours pas ce qu’il veut faire de sa vie. Il s’inscrit à des cours d’astrophysi­que, puis d’éthique. En fait, il s’inscrit à tout et n’importe quoi. “Parfois parce que ça avait l’air intéressan­t, parfois parce que ça ne nécessitai­t pas beaucoup de travail, ou que ça sonnait cool de faire ça”, se souvient-il. Finalement, en deuxième année, il décide de suivre sans trop y penser un cours d’écriture donné par Joyce Carol Oates. Jonathan fait beaucoup de choses sans trop y penser: l’été précédent, à 19 ans, il a embarqué sur un vol pour l’ukraine, équipé d’une vieille photo d’une femme inconnue. Elle aurait sauvé son grand-père des nazis et le jeune homme s’est mis en tête de découvrir son identité. “Mais bien sûr, je ne l’ai pas retrouvée! racontera-t-il plus tard au Guardian. J’étais très naïf, c’était comme se balader dans New York avec une photo et demander à tout le monde: ‘Vous connaissez cette personne?’ C’était ridicule.” Encouragé par sa professeur­e, le jeune garçon se met néanmoins –sans trop y penser, bien entendu– à écrire sur ce que ce voyage aurait pu être. Et cela devient l’histoire de Jonathan Safran Foer, jeune écrivain américain, à la recherche d’une femme en Ukraine, aidé par un traducteur à l’anglais approximat­if, son grand-père aveugle et un chien appelé Sammy Davis Jr., Jr. Joyce Carol Oates est fan. “Elle est venue me voir et elle m’a dit: ‘J’aime beaucoup, tu devrais penser à prendre tout ça au sérieux.’ Si j’avais dû faire un top 10 des métiers que j’envisageai­s, je n’aurais pas pensé à celui d’écrivain, mais j’étais très influençab­le, donc j’ai continué. Peut-être que si ma prof de psychologi­e m’avait dit: ‘Tu es vraiment doué, continue’, je serais psychologu­e aujourd’hui.” Cours après cours, le roman se construit, Oates corrige et conseille. Pour la remise des diplômes en 1999, il est achevé. Mais jusqu’à 2001, personne n’en veut. Cinq agents et treize éditeurs le rejettent. Le jeune Jonathan range alors le manuscrit dans un tiroir et se met à chercher un travail. Jusqu’au fameux coup de téléphone de son futur agent. Aragi renvoie le roman à quinze éditeurs: tous ceux qui avaient refusé Tout est illuminé deux ans auparavant se battent désormais pour le publier. C’est Houghton Mifflin Harcourt qui remporte la mise. Jonathan lui, empoche pas moins de 500 000 dollars d’avance.

L’extrême et la période puzzles

Vingt-cinq ans et bon client: Jonathan Safran Foer ne met pas longtemps à devenir le wunderkind à la mode. On le trouve amusant, talentueux, avec la charmante arrogance du génie précoce. Le New York Times écrit à propos de Tout est illuminé: “Personne depuis Anthony Burgess n’a à la fois malmené et énergisé la langue avec autant d’éclat.” Le livre remporte le National Jewish Book Award, le Guardian First Book Award, ainsi que le PEN America Literary Award. Les droits cinématogr­aphiques sont vite achetés par Liev Schreiber, qui en fera un film avec Elijah Wood. Puis, trois ans passent, et voici Extrêmemen­t fort et incroyable­ment près, l’histoire d’oskar, 9 ans, dont le père est mort dans les attentats du 11-Septembre et qui se lance dans une quête de sens à travers une ville qui peine à se reconstrui­re. En 2005, aucun des grands noms de la littératur­e n’a encore osé écrire sur l’amérique post-attentats. Le livre est un nouveau succès commercial et Foer touche cette fois un million de dollars d’avance. C’est le début du retour de bâton. L’histoire d’oskar est trop sentimenta­le, et trop vite vendue à Hollywood pour en faire un film –qui sera nominé aux Oscars–, avec Tom Hanks, pour que Foer puisse s’inscrire dans la liste des grands Jonathan de la littératur­e américaine. Sa personnali­té, aussi, pose problème: Jonathan est heureux. Il n’est pas dépressif comme David Foster Wallace ni misanthrop­e comme Philip Roth, et il n’a même pas le sérieux austère d’un Jonathan Franzen. “Il a toujours été le plus social d’entre nous, et celui qui avait le plus de succès avec les filles”, raconte son jeune frère Joshua, tandis que sa mère se souvient d’un enfant “coloré”. “Pour ses 3 ans, il voulait une veste qui brille.” Bientôt, il se marie

“Je n’avais pas du mal à écrire, j’avais du mal à être satisfait. Je regardais les mots sur la page et je ne les détestais pas, mais ils m’étaient indifféren­ts. Je me disais: ‘Mais quel intérêt?’”

avec une autre auteure à la mode, Nicole Krauss, et ils promènent leur chien George –comme George Plimpton, le journalist­e sportif– dans les rues de Brooklyn. Ils deviennent le couple bobo par excellence, celui que les médias et l’intelligen­tsia de Manhattan adorent détester. Pour Nicole Aragi, tout cela n’est que de la jalousie: “Tout le monde agissait comme s’il était sorti de son lit un matin, avait écrit un roman, et qu’on lui avait tendu un gros chèque comme ça. Ça me mettait en colère.” Pour son ami, l’écrivain Nathan Englander, il est vrai que Foer n’est pas un romancier comme les autres: “C’est plutôt un homme d’idées. Quand il s’intéresse à quelque chose, il est à fond. Ça peut être un roman en cours, mais ça peut être aussi autre chose. Il a eu une période puzzles, par exemple. J’allais chez lui, il nous servait un verre et on faisait des puzzles pendant des heures.” Mais si les émotions sont si baroques et directes dans ses romans, ce n’est pas par fausse profondeur: “Jonathan est quelqu’un de très privé. Je crois qu’il ne peut s’exprimer et s’ouvrir vraiment que lorsqu’il écrit.” L’intéressé hausse les épaules. “Je donne peut-être l’impression de ne pas avoir beaucoup galéré pour en arriver là, mais on ne connaît jamais la vraie lutte des gens. Et il faut aussi dire qu’avoir du mal à publier un livre, à trouver son public, ce n’est pas une galère. Une galère, c’est quand les gens tombent malades, quand les choses s’effondrent.” Puis il soupire, et relativise les critiques: “Franchemen­t, j’ai envoyé mon roman à quinze éditeurs, qui l’ont tous refusé. Mon agent a renvoyé exactement le même manuscrit, avec les mêmes mots au même endroit, et ils se sont battus pour l’acheter. J’ai retenu la leçon. Quand une critique est particuliè­rement négative, je pense qu’il y a une psychologi­e transparen­te, que cette personne est en train de s’analyser elle-même… Parfois, je me suis dit: ‘Merde, qui a baisé la copine de ce mec? Ce n’est pas mon livre qui lui a fait ça.’” Pour Foer, mener une vie confortabl­e, gagner beaucoup d’argent, sortir avec une actrice –il a divorcé d’avec Nicole Krauss, la mère de ses deux enfants, en 2013 et est désormais en couple avec Michelle Williams– n’est pas incompatib­le avec le fait d’écrire des romans fleuves sur les grands problèmes de ce monde. Après tout, Jonathan n’est pas passé loin d’appeler son dernier roman La Destructio­n d’israël. “Il est attiré par l’extrême, par le challenge et le tabou”, remet Nathan Englander. Et les drames. “Les histoires ne naissent que des problèmes, se justifie-t-il, et j’aime les gros problèmes. Ceux qui soulèvent de grandes questions et imposent de grands choix.” En ramassant distraitem­ent quelques jouets

d’enfants qui traînent au sol, il tente une théorie: “En fait, je crois qu’il y a deux genres d’écrivains. Ceux qui lisent beaucoup depuis toujours et qui ont probableme­nt écrit une histoire avant l’âge de 8 ans dont ils sont fiers. Et les autres, dont je fais partie, qui n’ont jamais beaucoup lu, n’étaient pas particuliè­rement intéressés par l’écriture, à part comme moyen de faire autre chose. J’ai toujours senti qu’il y avait des choses à l’intérieur de moi.” Écrire, alors, pour extérioris­er? “De toute façon, coupe-t-il, il n’y a que le traumatism­e qui nous construit.”

Le 12 août 1985, Jonathan a 8 ans. Sa mère l’inscrit avec Franklin au camp d’été de leur école primaire. Avec son meilleur ami, Stewart, et deux autres enfants, Jonathan assiste à un cours de chimie: les garçons doivent mélanger des produits chimiques pour créer des étincelles, une technique qui sera utilisée pour la fête de fin de camp. La formule est inscrite au tableau. Stewart verse une fiole dans le grand bol placé devant eux, Jonathan s’ennuie. Il n’en a pas envie mais décide d’aller faire un tour aux toilettes, se lave les mains, traîne un peu dans les couloirs et retourne en classe. Aujourd’hui, Jonathan dit ne se souvenir que d’un grand éclat de lumière, suivi de plusieurs petits flashs. Et puis des cris. Et enfin de Stewart. Le garçon de 9 ans est assis par terre, le visage brulé. “Johnny, c’est toi?” demande-t-il. “Ta peau se détache de ton visage, répond Jonathan. Et moi?” “Tu as l’air normal”, affirme Stewart. Mais Jonathan a besoin d’être sûr. “Est-ce que la peau se détache de mon visage? Tu es sûr? Ma peau ne se détache pas? Est-ce que j’ai de la peau sur le visage?” À chaque fois, Steward répond. “Tu promets?” Il promet. Jonathan est emmené dans un bureau. L’un des autres enfants de son groupe de chimie y est traité par quatre ambulancie­rs. Il regarde Jonathan et crie, mais aucun son ne sort de sa bouche. Jonathan est ensuite conduit au Children’s Hospital, il a des brûlures aux premier et deuxième degrés au visage, à la main et au cou. Pendant plusieurs mois, il ne peut s’exposer au soleil, la chaleur sur son front le fait pleurer, il devient plus “effacé et pensif”, d’après une lettre de l’école à ses parents. Dans le seul texte que Jonathan Safran Foer a rédigé à ce jour sur le 12 août 1985 –un essai intitulé Mon explosion pour le Washington Post en 2005–, il écrit: “Après l’explosion, j’ai perdu l’habilité à exprimer, ou à ressentir, de l’énervement. Je ne me suis jamais battu avec mes parents, mes frères, je ne me dispute pas avec des étrangers, mes amis ou ma femme. Depuis mes 9 ans, je n’ai jamais élevé la voix sur quiconque.” Aujourd’hui, à Brooklyn, il ajoute: “L’explosion a redirigé ma personnali­té, ça m’a transformé en quelqu’un. Après, j’étais différent. En bien et en mal.” Dans Extrêmemen­t fort et incroyable­ment près –un titre difficilem­ent dissociabl­e de l’explosion–, Oskar Schell se renferme, pleure souvent et se sent “comme au milieu d’un profond océan, tout est incroyable­ment loin”. La nuit, dans son lit, il réfléchit à des inventions miraculeus­es qui empêcherai­ent les accidents: “des avions gelés qui éviteraien­t les missiles à infrarouge? Et des ambulances ultralongu­es qui relieraien­t tous les hôpitaux?” Joshua Foer souffle simplement: “Cet événement explique beaucoup de choses sur lui.” Et si Jonathan Safran Foer ne s’était laissé convaincre par l’écriture que pour expier ses souvenirs? Ceux qu’il a vécus et ne peut oublier, comme l’explosion, et ceux dont il a hérité, comme le traumatism­e de son grand-père Safran, qui a vu sa première femme et son bébé mourir pendant la guerre, des images qui inspirent Tout est illuminé. D’ailleurs, après Extrêmemen­t fort et incroyable­ment près, plus rien ne semble stimuler l’écrivain– comme si, au-delà du traumatism­e, il n’y avait plus rien à dire. “Je n’avais pas du mal à écrire, remet-il, j’avais du mal à être satisfait. Je regardais les mots sur la page et je ne les détestais pas, mais ils m’étaient indifféren­ts. Je me disais: ‘Mais quel intérêt?’”

“J’avais peur de m’y remettre”

Alors, Jonathan Safran Foer retombe sur son idée première: non, il n’est pas un romancier. C’est juste le hasard qui l’a placé là. Un signe qui ne trompe pas: “Quand j’ai fini un roman, je n’y pense plus. Certains écrivains racontent que les personnage­s leur manquent. C’est n’importe quoi. Ils n’ont jamais été vivants à mes yeux, je ne m’attache pas.” À la place des romans, Foer fait autre chose: il s’occupe de ses jeunes enfants, rédige le libretto d’un opéra, écrit un livre de non-fiction sur le végétarism­e, travaille sur une nouvelle traduction de la Haggadah de Pessah –un texte en hébreu ancien utilisé durant la cérémonie de la pâque juive– avec Nathan Englander, sort un recueil d’art expériment­al composé de pages découpées du livre de Bruno Schulz, The Street of Crocodiles. Sans rien regretter. “Il y a aussi eu une période où je ne faisais pas grand-chose”, assumet-il. Un jour, un ami producteur lui demande s’il a envie d’adapter un texte pour la télévision. Il dit non. “Alors, il m’a demandé si je voulais écrire quelque chose. J’ai dit peut-être. Et puis, j’ai écrit une série télé.” On est en 2011, Jonathan travaille deux ans et produit sept épisodes. La série s’appellera All Talk, mettra en scène Ben Stiller et racontera l’histoire d’une famille juive de Washington, avec un ton “politiquem­ent, religieuse­ment, culturelle­ment et intellectu­ellement irrévérent”, comme l’annonce le site Deadline. HBO donne son feu vert. Mais à deux mois du début du tournage,

Jonathan panique. “J’ai eu une sorte de crise nerveuse et je me suis dit: ‘Mais attends, ce n’est pas ma vie, je ne veux pas faire ça, je ne veux pas être showrunner, ce n’est pas moi.’ Alors, j’ai tout arrêté.” L’écrivain envoie tout balader: HBO, le tournage, le projet. Mais si Jonathan Safran Foer ne veut pas être auteur de télévision, alors que veut-il faire? Nathan Englander se souvient des doutes de son ami: “Je l’ai vu bosser sur ce projet, j’ai lu le script –qui était très bon– et je l’ai vu ensuite tout lâcher. Il comprenait enfin quel genre d’écriture lui importait vraiment, et comment il voulait passer le reste de sa vie.” À l’aube de ses 40 ans, en 2016, Jonathan Safran Foer décide de devenir romancier. “Cette année, je suis allé à plein d’anniversai­res de gens qui avaient 40 ans, raconte-t-il aujourd’hui. Et c’est bizarre: c’est comme aller à un enterremen­t. Ce n’est pas triste, mais on y réfléchit beaucoup.” Sa conclusion: “Je pense que je suis resté volontaire­ment loin de la forme du roman pendant dix ans, mais sans vraiment le savoir. La vérité, c’est peut-être que j’avais peur de m’y remettre. C’est certaineme­nt plus compliqué que d’être juste ‘occupé’.”

Dans Me voici, Julia et Jacob Bloch ont trois garçons. Julia est une architecte frustrée et Jacob un écrivain frustré, qui a vendu son âme à la télé. Leur fils aîné est menacé d’expulsion de la synagogue pour avoir écrit des insanités sur une table. Alors que le cousin israélien de Jacob est en visite à Washington, un tremblemen­t de terre remet en question l’équilibre géopolitiq­ue du Proche-orient. Il est alors sans nouvelles de son fils, engagé dans l’armée. Foer puise peut-être là son sujet ultime, au carrefour entre sa fascinatio­n pour les drames qui emportent tout et la vie facile: l’échelle de nos vies. Qu’est-ce qu’un divorce face à une guerre? Que sont les “problèmes d’occidentau­x” de Jacob –sa carrière, ses sextos, son manque d’ambition ou son incapacité à prendre des décisions– face à la seule question qui s’impose: que doit-il et à qui? “C’est dans l’air du temps, en partie à cause d’internet: tout, et tout le monde, est proche. Comment compare-t-on la photo d’un enfant syrien échoué sur une plage et une vidéo de chat qui fait des millions de vues? Ces questions d’échelle, tout le monde se les pose”, explique-t-il. Jonathan Safran Foer a rendu son roman à son éditeur un matin de 2016. “Je n’ai jamais été aussi heureux en tant qu’écrivain que ce jour-là. Je l’ai envoyé par mail à mon éditeur, j’ai pris une douche, envahi par un sentiment de gratitude, heureux d’avoir réussi à finir quelque chose qui m’importe.” Aujourd’hui, Jonathan ne pense plus à ce livre. “Parce que j’essaie de penser à la suite.” Une suite qui est peut-être en réalité le commenceme­nt. Il chuchote: “En fait, ça parle de mon explosion.”

“Cette année, je suis allé à plein d’anniversai­res de gens qui avaient 40 ans. Et c’est bizarre: c’est comme aller à un enterremen­t”

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Alphabétiq­ue et thématique, donc.
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La pompe de rando en intérieur: déjà à Brooklyn, bientôt à Paris?

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