La quête du low-tech
Depuis février 2016, le Breton Corentin de Chatelperron parcourt les océans à la recherche des meilleures inventions citoyennes. Le but de ce tour du monde des technologies bon marché? Ouvrir une grande base de données, en open source, répertoriant les me
En même temps qu’il entre dans un café du XVIE arrondissement de Paris, Corentin de Chatelperron préfère prévenir: il n’est “plus habitué au bruit”. Le Breton insiste donc pour s’installer dans un coin silencieux puis traverse la salle d’un pas tranquille. Les pieds dans une paire de tongs et habillé d’un pantalon de navigation beige et d’un polo bleu flanqué du logo du Nomade des mers, le nom du catamaran qu’il a retapé pour qu’il ressemble à celui de Kevin Costner dans Waterworld. Sur un coin de table, Corentin dessine le gros bateau. Et détaille: “À l’arrière, il y a un poulailler, un four solaire qu’on a installé en Inde, une éolienne qu’on a construite à Dakar en récupérant des moteurs de scanner et de photocopieuse, un élevage de grillons et, un peu plus loin, des légumes et des plantes qui poussent grâce à un système de culture hydroponique qu’on a mis en place au Cap‑vert.” Un drôle de voilier, donc, à bord duquel Corentin a parcouru les océans pendant un an et demi. À la recherche des “meilleures inventions citoyennes du monde”. “Le vent nous dicte un peu par où on peut passer, pose le marin. Ces derniers mois, on est allés au Maroc, au Sénégal, au Cap‑vert, en Afrique du Sud, à Madagascar, aux Seychelles, en Inde et au Sri Lanka. On s’attendait à découvrir une ou deux technologies par destination, mais on en a découvert près de 40!” Une fois l’ancre jetée, Corentin et sa poignée d’acolytes ont rencontré des bricoleurs locaux et testé leurs technologies à bord du laboratoire installé dans le Nomade des mers. Du charbon “vert” fait de déchets agricoles au dessalinisateur en terre cuite marocain. “En général, ce sont des technologies qui répondent à des besoins de base mais qui ne sont pas assez diffusées pour que tout le monde puisse s’en servir.” Dès qu’une invention est validée, l’équipage commence un travail de documentation. Des tutos sont mis en ligne sur la plateforme lowtechlab.org. Le but de la manoeuvre: “créer un Wikipédia des low‑techs” –comme on appelle ces technologies bon marché– en libre accès. “Aujourd’hui, il y a des low‑techs partout dans le monde. Une technologie peut être créée dans un village mais peut intéresser des millions de personnes car elle répond à un besoin de base, comme l’accès à l’eau, à la nourriture, à l’hygiène et à l’énergie.”
Comme la NASA
Une initiative qui vise également à stimuler le développement local. Le trentenaire prend pour exemple sa dernière excursion à Madagascar, où une docteure lui a fait découvrir une technique pour cultiver la spiruline, une algue extrêmement nutritive. “C’est une algue qui guérit beaucoup de carences qu’on trouve dans cette région, alors elle nous a montré comment créer une petite ferme de spiruline dans un appartement”, dit Corentin. “Mais quand on y était, il y avait des cargos qui venaient décharger des sacs de céréales et de riz pour la population locale, se rappelle-t-il. Ce genre d’initiatives, ça tue le marché local.” Un problème auquel le navigateur a fait face dès 2009. À l’époque, il travaillait sur un chantier naval moderne de construction de bateaux en fibre de verre au Bangladesh. Rapidement, Corentin a décidé de remplacer la fibre de verre par la fibre de jute, une ressource naturelle locale bon marché. L’ingénieur construisait alors un petit voilier, le Tara Tari, premier bateau à intégrer de la fibre de jute et à bord duquel il est rentré en France. Facile. “Le plus compliqué, c’était d’éviter les pirates, dit-il. Et j’ai eu pas mal de problèmes administratifs parce que je suis parti sans papiers.” Actuellement, Corentin est occupé à retaper son bateau. Quand il aura fini, il s’en ira sur une île pendant quelques mois. “Je vais essayer de vivre dans une biosphère, en autonomie avec des low‑techs, explique-t-il. C’est comme la NASA qui fait des simulations de colonisation d’une planète. À vrai dire, on cherche à devenir la NASA des low‑techs.” Sur son île, Corentin tournera un film sur son expérience, histoire de sensibiliser le plus grand nombre et “d’influencer les modes de vie occidentaux”. Après quoi, il essaiera de s’installer quelque part sur la terre ferme. Car il l’avoue à demi-mot: il “n’aime pas le bateau”.
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