Society (France)

Le cofarming a le champ libre

En décembre 2016, le Marnais Mickaël Jacquemin lançait echangepar­celle.fr, un site sur lequel les agriculteu­rs français peuvent échanger des terrains avec leurs voisins et collègues. Le but de cette start-up agricole? Protéger l’environnem­ent, rendre la v

- – LUCAS MINISINI

Mickaël Jacquemin se rappelle encore les kilomètres parcourus sur ces dizaines de départemen­tales, pas forcément dans le meilleur état, qu’il traversait quotidienn­ement au volant de son tracteur. À 40 km/h, les trajets étaient chaotiques, et lui se faisait “klaxonner comme un Parisien qui va au boulot”. Pour l’agriculteu­r de 44 ans aussi, il était question de se rendre sur son lieu de travail: un élevage de porcs d’un côté, des vaches de l’autre, parmi la douzaine de “cultures” qu’il gère depuis ses débuts en 1997, dans sa région natale de la Marne. Sauf que plusieurs dizaines de kilomètres les séparaient les unes des autres, rendant la tâche presque insurmonta­ble. “J’usais très rapidement mon matériel, et je n’arrivais pas à doser les quantités d’insecticid­es parce que je n’étais pas constammen­t sur place, explique-t-il. C’était vraiment dur, et en discutant autour de moi, j’ai réalisé que beaucoup de collègues étaient aussi concernés.” Le petit groupe d’exploitant­s décide donc de s’entraider et commence à se prêter régulièrem­ent des parcelles plus proches des fermes respective­s, moissonner la terre du voisin, réglant du même coup les problèmes logistique­s. Un système que Mickaël Jacquemin a depuis formalisé et généralisé sur tout le territoire grâce à ce qu’il appelle “la puissance de l’outil Internet”. En décembre 2016, il lançait officielle­ment le site echangepar­celle.fr.

Des “matchs” comme sur Tinder

Comme une applicatio­n Tinder de la terre agricole, l’algorithme qu’il a développé avec un proche –codeur de formation– propose des “matchs” entre agriculteu­rs. Ces derniers peuvent ensuite se rencontrer pour négocier des contrats de collaborat­ion et cultiver mutuelleme­nt leurs lopins de terre. “Dans la ferme familiale, mon grand-père faisait partie d’une coopérativ­e, donc il vendait son blé avec les collègues, explique Jacquemin. Maintenant, la nouvelle coopérativ­e, c’est le ‘cofarming’.” Autrement dit: la mise en relation d’agriculteu­rs qui partagent leurs terres pour optimiser leur production et “protéger l’environnem­ent”, ajoute le Marnais, qui pointe le fait que son système permet de réduire les trajets en tracteur et les doses de produits chimiques utilisées. Gratuite et anonyme, l’inscriptio­n au projet se fait sur la base du volontaria­t. Mickaël décrypte: “Si un agriculteu­r tombe sur son plus gros concurrent, ils ne sont pas obligés de collaborer.” Malgré quelques réserves liées à l’attachemen­t de chacun à sa terre, un an après son lancement, le site est un succès. Il a enregistré 1 500 parcelles échangées, regroupant 14 000 hectares de terres et 1 100 agriculteu­rs répartis sur toute la France. Des céréaliers au nord de la Loire ou des vignerons de la région bordelaise qui se sont assis autour d’une table pour partager leurs biens. “Certains se sont même inscrits pour réaliser des échanges dans quelques années. Ils anticipent”, détaille le fondateur de la plateforme. Une fois la collaborat­ion actée, le but consiste en effet à la faire perdurer pendant des décennies. “En ce qui me concerne, je suis tranquille jusqu’à la retraite, précise Mickaël Jacquemin. Je vais continuer à bosser avec les mêmes personnes.” Plus que des collègues, ses compagnons d’aventure sont devenus des partenaire­s qui permettent aussi de “casser la solitude des agriculteu­rs”. Un sentiment d’abandon que l’entreprene­ur préfère ne pas occulter. “Dans l’agricultur­e mondialisé­e, ce ne sont pas des embrouille­s de cour de récré, mais une vraie guerre économique à laquelle on assiste.” Mais le pionnier du cofarming est optimiste. Autour de lui, les paysans s’adaptent “en bricolant avec leur clavier”, et il raconte que les start-up émergent les unes après les autres. “Chaque semaine, des agriculteu­rs proposent de nouvelles innovation­s: des applis, des sites, des objets connectés.” D’ailleurs, quand il arrive encore à Mickaël Jacquemin de prendre son tracteur, il avoue que sur les départemen­tales, il n’a souvent “même plus besoin de tenir le volant: il est autonome”.

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