Society (France)

Taylor Swift

LA CHANTEUSE CHÉRIE DE L’AMÉRIQUE PRO-TRUMP

- PAR PIERRE BOISSON ET RAPHAËL MALKIN, À NASHVILLE PHOTOS: STACY KRANITZ POUR SOCIETY

ARRIVER À NASHVILLE

Lyman Corbitt Mcanally Junior est né à Belmont, un coin du Mississipp­i noyé sous les hautes pousses de maïs où, longtemps, il était illégal de vendre de l’alcool et de danser. Lui joue de la guitare et, à la sortie de l’église, on le regarde comme un “alien”. Cela ne dure pas: bientôt, le jeune garçon quitte sa terre pour rejoindre, quelques milliers de kilomètres plus au nord, Nashville. C’est l’année 1977. “À Belmont, les gens pensaient qu’ils mourraient s’ils quittaient la ville. Du coup, j’avais peur en arrivant à Nashville. Mais j’ai trouvé là-bas quelque chose de très pur: un endroit où se retrouvent tous ces gens qui n’ont rien à faire chez eux, et qui ont cette petite musique dans la tête qui leur dit de bouger”, note celui qui a été, depuis, consacré six fois de suite guitariste de l’année aux Country Music Associatio­n Awards. Nashville: ville plate et temple de la country, ses maisons de disques, ses studios, ses radios, ses salles de concert, ses bars, ses producteur­s, ses compositeu­rs, ses chanteurs et aspirants chanteurs. Ils y ont tous débarqué un jour: Johnny Cash, Bob Dylan pour y enregistre­r Nashville Skyline, Townes Van Zandt pour y mourir, et les autres, venus “sentir l’énergie de la bonne musique et rêver d’en vivre”, comme dit encore Mcanally. “Ici, chaque conducteur Uber, chaque employé de parking, chaque nouvel arrivant peut être la prochaine star de la chanson”, tonne Bart Herbison, patron de l’éminente Nashville Songwriter­s Associatio­n. Même aujourd’hui, à l’heure où l’on peut faire carrière en quelques clics grâce à Youtube, des milliers de passionnés continuent chaque jour de faire leurs valises partout en Amérique pour affluer vers Nashville, comme un rite initiatiqu­e. Quelques années plus tôt, Bart Herbison a vu débouler dans ses bureaux boisés l’une de ces aventurier­s, une jeune fille à la blondeur ondulée venue de Pennsylvan­ie. Taylor Swift avait 14 ans et profitait des vacances scolaires pour découvrir Music City et distribuer ses premiers enregistre­ments. “Depuis son succès, il ne se passe pas une semaine sans qu’une gamine sortie de nulle part vienne toquer à ma porte en me disant qu’elle veut être la prochaine Taylor Swift, soupire-t-il. Et à chaque fois, je leur conseille la même chose: il faut écrire, jouer et encore jouer. Il faut se montrer. Et aller au Bluebird.”

LE BLUEBIRD CAFÉ

Le Bluebird Café pourrait passer inaperçu au milieu des lots d’enseignes lumineuses dont l’amérique a fait son décor, entre le blanchisse­ur Greenhill et la joaillerie Rocks and Metals. L’endroit est pourtant un temple. Le bar, Pabst Blue Ribbon ou Michelob à la carte, dispose dans un coin d’une scène étroite, à peine surélevée, sur laquelle lorgnent tous ceux qui veulent régner un jour sur Nashville. Matelot sur un remorqueur descendant le Tennessee, Justin Snow a profité ce soir-là d’un jet d’ancre pour filer au Bluebird et voir s’il pouvait y chanter quelques airs. “L’histoire de la country s’est littéralem­ent écrite sur cette scène”, s’enthousias­me-t-il. Depuis sa création en 1982, le Bluebird et ses scènes ouvertes ont accueilli tout le monde. Garth Brooks y a étrenné son célèbre chapeau noir et Taylor Swift y a signé son premier coup d’éclat, un soir de novembre 2004. C’est là que Scott Borchetta, patron du label Big Machine, la remarque et décide de miser sur elle. “Le Bluebird est l’endroit le plus légitime pour taper dans l’oeil de quelqu’un. Et si vous allez voir un producteur en ayant joué trois fois au Bluebird, vous aurez plus de chances de signer un contrat”, prolonge fièrement Amy Kurland, qui a fondé le café. Amy a fixé quelques règles aux candidats: proposer au public une chanson originale, venir avec sa propre guitare ou utiliser le clavier mis à dispositio­n, éviter à tout prix de siffler des grossièret­és ainsi que d’étirer la ligne de ses rimes. “Je n’ai jamais eu besoin de plus de 60 secondes pour mener une audition, tranche-t-elle. Si vous n’avez pas attiré mon attention en une minute, vous n’y arriverez pas en trois de plus.” Ce soir, ils sont 26 candidats à espérer titiller l’esprit d’un producteur peut-être tapis dans un coin de la salle. Les ballades sont roulantes et l’on chante les yeux fermés. Justin Snow hulule qu’il s’est “noyé dans l’amour en buvant du Moonshine”, puis laisse la place au vieux Ty, du Tennessee, qui se présente ainsi: “Bonsoir, je suis un alcoolique et je me demande pourquoi l’alcool est aussi cher.” Un gamin à mèche fredonne un texte racontant qu’il fait froid dans le Montana, et un autre, pas beaucoup plus vieux, susurre qu’il aime “transpirer sous le soleil”. Parfois, le bruit d’un klaxon venu de dehors perturbe un peu la mélodie. Soudain, la porte s’ouvre et laisse apparaître un homme portant un grand chapeau sur la tête et une guitare sous la main. Il s’appelle Austin, bredouille-t-il au micro.

L’HISTOIRE D’AUSTIN LEE

“Il n’y a rien de plus important pour moi que la country. C’est une musique qui parle de la vie et qui me prend aux tripes. J’ai 23 ans, je ne suis pas allé à la fac, je n’ai pas d’autre plan que de jouer de la musique et d’en faire ma vie. Et c’est à Nashville que l’on vient pour chanter de la country. Jusqu’ici, j’ai toujours vécu dans l’indiana, où j’ai travaillé un temps dans les champs avec mes parents. Le jour de mon anniversai­re, je me suis juré que je ferais ce que je veux de ma vie. Alors, j’ai franchi le pas et je suis parti. Aujourd’hui, je suis si heureux de me dire que cette ville n’est plus un point sur une carte. Je viens de m’installer dans un appartemen­t et j’ai trouvé un boulot de livreur. À la fin de la journée, dès que je me débarrasse de mon uniforme, il n’y a plus que la country qui compte. J’écris des morceaux, j’enregistre et je joue. Il fallait absolument que je vienne au Bluebird. En y débarquant, sur le mur, j’ai vu tous ces disques de morceaux qui ont été joués ici et qui ont été classés numéro un à un moment ou à un autre. Taylor Swift est dessus. Je trouve ça cool. Cela veut dire qu’elle fait partie du panthéon des songwriter­s. Je me dis que si elle a réussi en gravissant tous les échelons, je peux aussi y arriver. Je l’aime, parce qu’elle a toujours fait ce qu’elle voulait. Moi aussi, je veux avoir un de mes disques accroché là. Je veux qu’un type qui vient de se faire briser le coeur par sa fiancée écoute dans son camion mes chansons qui parlent d’amour, qu’il ressente quelque chose, qu’il soit ému, qu’il se sente fort. Je vais écrire et chanter jusqu’à ce que je n’en puisse plus.”

ÉCRIRE UN HIT

Dans son célèbre morceau Whiskey Lullaby, le chanteur country Brad Paisley entonne de sa voix rocailleus­e: “Et lorsque la nuit est enfin venue / Il a placé sa bouteille contre sa tempe / Et a appuyé sur la gâchette.” Une métaphore que Charlie Daniels, légende de l’outlaw country, la country pure et dure, cite pour définir l’essence du genre: “Une putain de bonne histoire, et rien d’autre, tempête-t-il. Le type boit à en mourir! On peut dire quoi après ça? C’est dur et fort, c’est beau.” Celle-ci, Whiskey Lullaby, a été écrite par son ami Bill Anderson, un songwriter comme il en existe des tas à Nashville, espérant eux aussi pousser leurs textes sur le bureau d’un producteur. Chaque semaine, les auteurs en quête du hit qui fera décoller leur carrière compulsent The Pitchy, un bulletin en ligne recensant les disques en cours d’enregistre­ment dans les studios de la ville, puis griffonnen­t des textes à soumettre, des histoires d’amoureux ivres et de chasse en forêt, surtout. Bart Herbison estime qu’ils sont plusieurs milliers en ville, mais seulement 400 sous contrat. La concurrenc­e est rude, et le salut passe par la radio: y entendre un jour un de ses morceaux est la garantie d’un gros chèque et d’une légitimité sur la scène country. Dans son studio, Robert Ellis Orrall frappe son clavier et fredonne une mélodie. “Ta-ta-ta, qu’est-ce qu’un hit? Si ma femme était là, elle vous dirait qu’elle m’a entendu pendant 35 ans dire ‘that’s a hit’ car à chaque fois que tu finis une chanson, tu penses que tu tiens le truc.” Lui en a plusieurs à son actif: il est l’homme derrière Crazier et A Place in This World de Taylor Swift. À une époque où il écrivait pas moins de cinq chansons par semaine pour différents artistes de la ville, il s’est retrouvé en studio avec la jeune fille. “Elle avait 14 ans, et avec mon coauteur, on devait dépasser les 100, sourit-il. Elle voulait parler de ses premiers amours. On lui a posé des questions. ‘Tu as un petit copain? Comment tu t’entends avec tes parents?’” L’adolescent­e rejette le premier texte proposé: elle estime que cela ne correspond pas à son “segment démographi­que”. “Elle a utilisé ce terme, s’étonne encore Ellis Orrall. C’était une fille très maligne, elle avait parfaiteme­nt compris les histoires qu’elle devait raconter et à qui les raconter. C’est comme ça qu’elle a attiré aussi vite autant de fans.”

JOUER AU GRAND OLE OPRY

C’est l’évènement à ne pas manquer quand on passe en ville, après la studieuse visite du musée et avant la tournée des bars de Broadway: le Grand Ole Opry, un show de deux heures diffusé à la radio et hébergé derrière les briques rouges du Ryman Auditorium depuis 1925 –la préhistoir­e à l’échelle de l’amérique. Pete Fisher n’est pas peu fier de cette longévité: “92 ans”, répète le président de l’opry, comme s’il s’en étonnait lui-même. Ce soir, comme toujours, le Ryman fait salle comble. “Welcome to the mother church of country music”, récite le maître de cérémonie, reprenant la célèbre phrase de Johnny Cash comme un slogan publicitai­re. Le public savoure les bancs en bois vernis, les dorures des balcons et les plaques de vieux cinéma qui indiquent les numéros de place ; un décor en carton-pâte censé figurer l’authentici­té des années. Mais ni George ni son groupe de retraités ne sont venus d’alabama pour se poser des questions. “J’aime cet endroit parce qu’il est vieux, il a une âme, s’enthousias­me le vieil homme, chapeau de cow-boy sur la tête. On voulait découvrir Nashville car la country, c’est notre rock à nous.” Les 3 000 autres spectateur­s ne dépareille­nt pas. Il y a des obèses en chaussures orthopédiq­ues, des vestes de camouflage idéales pour chasser le cerf, des déambulate­urs, quelques enfants, beaucoup de kilos en trop: l’amérique blanche et rurale, le public de la country. Sur scène, John Conlee marmonne une chanson célébrant son rocking-chair. Au deuxième étage, dans sa loge, Lauren Alaina se pomponne. Originaire d’une petite ville de Géorgie, Alaina a 22 ans, un rire incontrôla­ble, l’allure d’une pom-pom girl et une trajectoir­e déjà vue. “J’ai débarqué à Nashville à 11 ans, à 15 je travaillai­s dans une pizzeria. Je n’aurais jamais cru que je serais assise là un jour. Il y a tellement de talents dans cette ville, tu dois montrer que tu peux être unique.” Elle a troqué les bottes pour des talons aiguilles, la guitare pour des modulation­s de voix aiguës. Elle incarne cette nouvelle génération de stars venues de la télé –c’est une ancienne d’american Idol–, dont les chansons s’adressent à un public plus jeune et plus féminin, et dont le son se teinte plus souvent de pop que de banjo. “La country ne sonne plus seulement d’une seule manière et c’est tant mieux, argue-t-elle. Ça apporte d’autres perspectiv­es et un autre public, surtout depuis que des jeunes filles chantent leurs histoires, alors qu’avant c’était qu’une bande de vieux types. C’est l’effet Taylor: elle a ouvert de nombreuses portes pour de nombreuses personnes.” Pete Fisher n’a rien oublié des débuts de Taylor Swift au Grand Ole Opry. Elle portait des bottes de cow-boy avec une robe blanche et un coeur autour du cou, comme une prémonitio­n. “On l’avait mise dans cette loge”, dit-il en ouvrant la salle “Into The Circle”, destinée aux débutants. Sur le mur, le mot laissé par Taylor Swift est encore lisible. “Oh my God, I’m on the Opry.” Elle n’avait alors pas 18 ans.

MUSIC ROW

Le pouvoir n’est pas toujours tapageur. Le quartier de Music Row, sa succession de jardins coupés courts et ses pavillons incarnant le mode de vie sudiste, avec leurs colonnes blanches et leurs bancs à balancier, concentre les hauts lieux de l’industrie musicale américaine: tous ceux qui décident du présent et du futur de la country, de qui doit l’incarner et de comment il faut qu’elle sonne, ont leurs bureaux ici. Comme beaucoup avant elle, Taylor Swift a frappé à toutes ces portes. Une décennie plus tard, avec six millions d’exemplaire­s de son premier album vendus, un second devenu le plus récompensé de l’histoire de la country et une migration vers la pop depuis 2014, plus rien n’est comme avant. Big Machine, son label historique, règne désormais sur l’industrie et tous les autres rêvent de découvrir la prochaine Taylor. De la fenêtre de leur bureau, le président de la Nashville Songwriter­s Associatio­n, Bart Herbison, John Marks, figure emblématiq­ue de la

radio devenu “l’homme de Spotify à Nashville”, et Clarence Spalding, l’un des grands managers de la scène country que l’on surnomme “le réseauteur de Nashville”, assistent au premier rang à l’évolution du business musical.

Clarence Spalding: Le business de la country reste centré sur le coeur du pays, toutes ces petites villes qui ont une chose en commun: un Walmart. 65% du chiffre d’affaires de Jason Aldean (qui donnait un concert lors de la tuerie de Las Vegas en septembre dernier, ndlr) provient des disques vendus dans les rayons des supermarch­és. Aujourd’hui, un chanteur de country tourne toute l’année. Il fait le tour des foires, des festivals, des rodéos et des casinos, va à Eau Claire (Wisconsin), à Kearney (Nebraska) et à Cheyenne (Wyoming), des endroits où il est bien accueilli parce qu’il ne lâche pas des ‘fuck’ dans tous ses textes. John Marks: La country est encore un produit très américain. 85% de ceux qui en écoutent sur Spotify sont basés aux États-unis. Mais l’idée, aujourd’hui, est de développer une demande plus globale, de toucher d’autres régions du monde. La country est un genre plus ouvert qu’on ne le croit, ce ne sont pas que des cow-boys, des chevaux, des grands chapeaux et des revolvers. C’est mon boulot de le faire comprendre. C.S: C’est parfois compliqué. Quand je vais en Europe pour présenter Jason Aldean, personne ne comprend ce dont il parle dans ses chansons: grandir dans une ferme face à un champ de coton, rouler avec son chien sur le siège passager. Pour toucher ces marchés, il faut, d’une certaine manière, se déguiser en artiste pop rock, axer les textes sur l’amour plutôt que sur les pick-up. C’est ce que Taylor Swift a fait. Bart Herbison: Taylor Swift se situe aujourd’hui au niveau des Beatles, d’elvis, de Michael Jackson. Elle a vendu 40 millions d’albums! Toutes les gamines de 13 ans du monde connaissen­t les paroles de Taylor Swift, même si elles ne parlent pas l’anglais. Aujourd’hui, c’est elle qui compte le plus. J.M: Aujourd’hui, la playlist country est la troisième la plus écoutée au monde sur Spotify, juste après le top 40 et le hip-hop. Le streaming devient d’ailleurs un passage obligé pour les artistes country, notamment pour négocier des tournées à l’étranger, même si c’est vrai que Jason Aldean ou Taylor Swift avaient un temps supprimé leur musique de Spotify pour contester la rétributio­n des royalties sur la plateforme (Taylor Swift a rouvert son catalogue le jour de la sortie de l’album de Katy Perry, ndlr). B.H: Le streaming a permis de donner un second souffle à l’industrie. Plus de chanteurs sont signés, plus de femmes surtout. Ça a aussi contribué à l’essor de la ‘Bro Country’, jouée par des sortes de boys bands, qui cartonne auprès des adolescent­es. Aujourd’hui, la ville se construit à grande vitesse, des gens continuent de venir de tout le pays et participen­t au brassage des genres. Musicaleme­nt, je dirais que Nashville est l’endroit le plus excitant du monde où vivre ces temps-ci. C.S: Si elle a démarré à Nashville, Taylor Swift a, depuis, beaucoup travaillé pour élargir son répertoire et toucher plus d’auditeurs. En faisant cela, elle a changé le public de la country et ouvert la porte pour toute une nouvelle génération d’artistes. Mais essayer de la copier est illusoire. La country est une question de sincérité: si les fans sentent que ça ne l’est pas, ils partent. The Band Perry a, par exemple, tout fait pour ressembler à Taylor Swift. Ils ont dépensé des millions de dollars pour la copier, ils sont allés travailler avec Rick Rubin pour être plus pop. On aurait dit qu’ils n’arrêtaient pas de se demander: ‘Mais comment Taylor a-t-elle fait?’ Sauf que ce n’est pas une question à laquelle on peut répondre! Moi, si je savais où trouver la poussière magique dont je pourrais recouvrir mes artistes afin qu’ils soient comme Taylor Swift, je viderais mes putains de poches là-dedans.

QUITTER NASHVILLE

Ce vendredi 10 novembre, Taylor Swift sortira son sixième album, Reputation, dans lequel elle s’attaque à l’image de “serpent” froid et calculateu­r que Katy Perry, Kim Kardashian ou Calvin Harris ont dessiné d’elle ces derniers mois. Les premiers titres éventés, produits par les machines à hits suédoises Max Martin et Shellback, ne laissent eux aucun doute: l’album sera pop, assurément, et Taylor Swift évolue désormais bien loin de Nashville, où elle a gardé une maison qu’elle n’aperçoit plus qu’en volant de New York à Los Angeles. Elle laisse derrière elle une country façonnée par des chanteuses à peine majeures –les Lauren Alaina, Kelsea Ballerini ou Kacey Musgraves– ou des beaux gosses tatoués, et une interrogat­ion: que restera-t-il de la capitale de la country après son passage? La country, cette musique qui célèbre l’ancien temps, s’inquiète de sa confrontat­ion avec le monde moderne depuis son invention, quand le folk des Appalaches et la musique chrétienne du Sud se sont rencontrés à Nashville. En 1994 déjà, la légende George Jones s’en alertait dans le New York Times. “De nos jours, regrettait-il, si tu n’as pas 23 ans, un beau cul moulé dans un jean, un chapeau noir ou quelque chose, tu n’as pas la moindre chance.” L’année passée, c’est Sturgill Simpson, étoile montante de la country alternativ­e, qui annonçait son départ de Nashville. “Fuck this town. I’m moving.” Charlie Daniels a lui aussi déménagé pour s’installer dans un ranch de Lebanon, à une cinquantai­ne de kilomètres de Music Row. C’est plus pratique pour tirer au fusil, dit l’ancien combattant, qui a joué sur quatre disques de Bob Dylan. “J’ai une grande maison entourée de lacs et de forêts, il y a des cerfs et des volailles, je peux dégainer le 22 millimètre­s ou le calibre 40.” Mais le vieux cow-boy, qui “aime beaucoup la petite Taylor Swift”, ne s’inquiète guère: Nashville a toujours été tiraillée entre l’appétit commercial de Music Row et la sincérité de ceux qui viennent ici avec des rêves et une guitare. C’est ce que Robert Ellis Orrall, en homme de théorie, appelle “le grand pendule”. “Qu’est-ce que la country? avance-t-il. C’est une question éternelle, et une question qui n’a pas de sens. La country change.” Après tout, le Nashville sound des années 50 était très pop ; les années 70 très traditionn­elles ; les Bee Gees jouaient avec Dolly Parton dans les années 80, avant que Garth Brooks ne ramène la country en terre classique (mais en version édulcorée). Charlie Daniels acquiesce: “L’industrie a toujours essayé de draguer les jeunes génération­s avec des choses faciles, peu sophistiqu­ées, avec des chanteurs sans aspérités, des mâcheurs de chewing-gum. Les radios s’en foutent du moment qu’elles font de l’argent. Alors tout le monde se met à faire pareil, la musique n’est plus faite que de copieurs, et c’est là que la country retourne à ses racines. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’elle attend quelqu’un comme ça, qui va dire: ‘Voilà ce qu’on va faire.’ Et on sera repartis pour dix ans.” Sur le parking du Bluebird, Austin a rencontré Justin. Justin lui a offert une cigarette et lui a raconté qu’il avait remonté le fleuve en bateau avec sa guitare, pour tenter sa chance, et qu’il n’avait aucun endroit où dormir ce soir. Ils sont repartis ensemble dans les rues de Nashville.

 ??  ?? Lauren Alaina, sur la scène du Grand Ole Opry.
Lauren Alaina, sur la scène du Grand Ole Opry.
 ??  ?? Austin, 23 ans, au Bluebird Café.
Austin, 23 ans, au Bluebird Café.
 ??  ?? Robert Ellis Orrall, sur son porche.
Robert Ellis Orrall, sur son porche.
 ??  ?? Un mardi soir, au Bluebird Café.
Un mardi soir, au Bluebird Café.
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 ??  ?? Dans les bars de Broadway, l’artère principale de la ville.
Dans les bars de Broadway, l’artère principale de la ville.
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 ??  ?? Charlie Daniels, dans son ranch.
Charlie Daniels, dans son ranch.

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