L’ART DU POCHON
“La définition de la folie, c’est de refaire toujours la même chose et d’attendre des résultats différents.” Est-ce par instinct de survie mentale qu’un certain Ben Kurstin décide un matin d’hiver d’embrasser inconsciemment les mots d’albert Einstein et de briser la routine du trajet quotidien qui le mène de son appartement de Chicago à l’arrêt de bus le plus proche? Il remarque pour la première fois, à la lisière d’humboldt Park, un petit sachet en plastique qui traîne par terre, sur lequel est imprimée l’image d’une femme nue, agrémentée de la mention “Heavy D” –assez intriguant pour que le photographe et réalisateur le ramasse puis se prenne de passion pour les différents modèles de dime bags usagés qui émaillent les trottoirs d’une ville gangrenée par le trafic de drogue. “Huit mois plus tard, j’en avais déjà récupéré 500, pour arriver à 8 116 pochons à la fin de l’année suivante, se remémore-t-il. C’est à partir de là que je me suis dit que je pouvais essayer d’en faire quelque chose.” Kurstin trie et nettoie les milliers de pochons de drogue amassés dans son appartement, et se lance dans la fabrication de mosaïques monumentales: un portrait de Nixon, le classique drapeau américain, le lapin de Playboy… L’impressionnante collection ne fut pas rassemblée sans risque. “Il y avait toujours le danger de tomber sur une aiguille ou sur des restes de produit comme le fentanyl, dont le simple contact avec la peau peut être mortel. Je me suis déjà fait agresser par une bande deux jours avant Noël, et certains dealers ne sont pas spécialement ravis de mon projet. Quant aux flics, ils se fichent complètement de mon activité, comme ils se fichent du trafic de drogue en général.” Les assemblages du minutieux Ben ont en effet en ligne de mire l’exposition frontale d’un siècle d’échecs des gouvernements successifs dans leur lutte contre la drogue depuis l’interdiction en 1914 de la consommation d’héroïne et de cocaïne. “Je pense qu’il faut aborder le problème autrement et légaliser toutes les drogues, dit-il. Cela peut sembler désastreux dit comme ça, mais il suffit de voir le Portugal ou l’uruguay, où le crime et le nombre d’overdoses ont considérablement baissé. En punissant les gens qui n’arrivent pas à s’en sortir, on ne parvient qu’à mettre en lumière le comportement terrible des hommes entre eux.” Et si le vrai Batman, c’était lui?