Society (France)

Allons à l’essentiel

Psychologu­e cognitivis­te et professeur à Harvard, Steven Pinker a compulsé des milliers d’études pour démontrer un fait étonnant: nous vivons dans l’ère la plus pacifiée que l’humanité ait jamais connue. Eh oui.

- – MANON MICHEL / PHOTO: RENAUD BOUCHEZ POUR SOCIETY

Steven Pinker, professeur à Harvard, a une bonne nouvelle: contrairem­ent aux apparences, nous vivons dans l’ère la plus pacifiée de l’histoire de l’humanité.

Comment en êtes-vous venu à travailler sur le thème de la violence? Il y a deux ans, un blog scientifiq­ue m’a posé cette question: ‘À propos de quel sujet êtes-vous optimiste?’ J’ai répondu: ‘La violence.’ Dans la foulée, j’ai reçu des lettres d’historiens, de sociologue­s, de politiques, qui tous me disaient: ‘Voici encore plus de preuves, regardez!’ Les historiens européens m’ont montré que la violence avait diminué en Angleterre, en Italie, en Allemagne… Les sociologue­s m’ont expliqué que les violences domestique­s et les abus sur mineurs étaient en baisse également. Pour finir, je me suis retrouvé avec toutes ces données, qui m’ont étonné, et qui ont étonné tout le monde autour de moi. Et je me suis dit que c’était une histoire qui se devait d’être racontée.

Vous partez du postulat que l’influence accrue des femmes dans la société et leur accès au pouvoir a contribué à faire baisser la violence. Oui. Quand j’ai identifié le processus à long terme de la baisse de la violence, je me suis vite rendu compte que les femmes étaient primordial­es. Les chiffres sont clairs: les hommes commettent dix fois plus de meurtres que les femmes, ils sont plus aptes à voter pour des politiques guerriers, ils regardent plus de divertisse­ments violents. Les femmes, elles, ont moins d’intérêt pour la domination et la gloire lorsqu’elles sont au pouvoir, en général. Donc plus les femmes ont de pouvoir, plus on s’attend à ce que la violence baisse. Bien sûr, ce n’est pas aussi simple. Nous savons que les femmes peuvent aussi faire la guerre: Margaret Thatcher, Indira Gandhi, Golda Meir, par exemple.

Dans votre livre, vous reprenez la phrase de l’activiste H. Rap Brown, selon qui ‘la violence est aussi américaine que la tarte aux cerises’. Pourquoi les États-unis sontils si violents, selon vous? Le taux de meurtres aux États-unis est cinq fois plus important en moyenne que dans les pays européens. Et ce n’est pas seulement parce que les Américains ont beaucoup d’armes, car si on enlève les meurtres par arme, le chiffre reste encore supérieur. L’une de mes hypothèses est que les États-unis se sont construits à l’envers. Les Américains ont d’abord appris à se défendre selon leurs propres codes. Puis le gouverneme­nt est arrivé, et les gens ont voté pour garder le droit de continuer à se défendre à leur manière. En Europe, le gouverneme­nt a d’abord imposé le contrôle. Ce qui fait que les gens acceptent plus facilement que la meilleure manière de se protéger est de se référer à la justice.

Vous parlez beaucoup du rôle des médias dans la représenta­tion de la violence. Vous pensez qu’ils ont un effet négatif? Je pense qu’il y a des biais dans les médias qui nous font penser que le monde est plus dangereux qu’il ne l’est réellement. La couverture de l’actualité est tournée vers le mal. On dit souvent que si un avion décolle puis atterrit, ce n’est pas un évènement ; mais s’il se crashe, si. Selon le psychologu­e Daniel Goleman, les gens estiment la probabilit­é du danger autour d’eux par la facilité qu’ils ont à nommer des exemples. Si vous regardez les infos, vous allez avoir beaucoup d’exemples à donner, et vous penserez que la vie est dangereuse. Même si ce n’est pas réellement avéré.

Vous pensez que nous pourrons un jour atteindre un monde sans violence? Non, je ne le pense pas. Mais certaines formes de violence peuvent, elles, s’approcher de zéro. C’est déjà arrivé dans l’histoire. Le sacrifice humain, par exemple: prendre une personne innocente et la torturer jusqu’à la mort pour satisfaire un dieu ou avoir une meilleure météo. Tous les pays civilisés l’ont pratiqué. Désormais, les sacrifices ont pratiqueme­nt disparu. Les marchés aux esclaves également, ou presque. La peine de mort est de moins en moins répandue dans le monde. De même pour les crimes. Il est probableme­nt impossible d’atteindre le niveau zéro, mais il existe des sociétés ou le crime n’existe presque pas, comme l’islande, par exemple.

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