Society (France)

Restons à l’essentiel

- – BORIS TEILLET

La chercheuse Marielle Yasmine Agbahoungb­ata a remporté fin septembre, à Liège, le concours internatio­nal et francophon­e Ma thèse en 180 secondes. Elle nous explique comment.

Marielle Yasmine Agbahoungb­ata a remporté, fin septembre, à Liège, le concours internatio­nal et francophon­e Ma thèse en 180 secondes. Sachant que la sienne s’intitule “Élaboratio­n de matériaux photocatal­yseurs à base d’oxyde de titane pour l’éliminatio­n des micropollu­ants organiques des milieux aqueux”, ce n’est pas un mince exploit.

Qu’est-ce qui vous a poussée à travailler sur la pollution de l’eau? À l’heure où nous parlons, L’ONU estime que 80% des eaux polluées à travers le monde sont encore mal traitées et constituen­t un danger pour l’environnem­ent. Mais c’est une perte, aussi. Le monde manque d’eau et il est important de trouver des techniques de plus en plus efficaces pour la traiter et la réutiliser. Dans mon pays, au Bénin, nous avons aussi un problème lié aux eaux usées. À Cotonou, le lac Nokoué, le plus grand du pays, est totalement pollué. Nous avons pris conscience de tout ça, et nous nous sommes dit qu’il fallait trouver une solution.

Comment vous êtes-vous préparée pour arriver à expliquer ce que vous faites en 180 secondes? Le gros du travail consistait à trouver une allégorie pour expliquer la thèse de manière efficace, concise et en même temps poignante. Pour que les gens s’attachent tout de suite à l’eau, j’ai utilisé l’image de la moitié. Quand j’ai prononcé le mot ‘moitié’, ils se sont d’abord demandé si j’allais leur parler de leur conjoint, puis j’ai détourné leur regard pour l’attirer vers l’eau. C’était le mot idéal pour les accrocher. Parce qu’un adulte est composé d’au moins 60% d’eau. Et ça monte jusqu’à 90% pour un enfant. Là où j’ai eu le plus de difficulté­s, en revanche, c’est pour expliquer l’excitation du photocatal­yseur –la photocatal­yse étant une technique utilisée pour, entre autres, traiter les eaux produites avant le rejet et les réutiliser. Pour faire comprendre le changement d’état des électrons, ceux qui font le travail pour neutralise­r les polluants, j’ai trouvé l’allégorie de l’homme et de la femme. Quand un homme trouve une femme belle, et inversemen­t, il ou elle l’excite. Pour le ou la séduire, il ou elle peut changer sa manière de faire, de parler, de marcher, comme les électrons qui s’excitent sous la lumière. Ils changent d’état, bougent et détruisent les polluants, tout comme un homme ou une femme va s’énerver si il ou elle rencontre un(e) concurrent(e) sur le chemin de la séduction.

Quel est l’intérêt de la vulgarisat­ion, selon vous? Aujourd’hui, ça n’a plus de sens de rester dans son laboratoir­e et de faire son truc dans son coin. Il faut que le public sache et que je puisse juger mon travail à travers le regard des autres. Nous sommes dans un monde de communicat­ion. À mon sens, vous pouvez être prix Nobel et vanter les meilleures formules scientifiq­ues, mais si vous n’êtes pas en mesure de dire ce que vous avez fait, cela porte un grand coup à votre épanouisse­ment et à votre évolution.

Mais vulgariser, n’est-ce pas transmettr­e des connaissan­ces incomplète­s? Non, je ne crois pas. C’est clair qu’en 180 secondes, je ne peux pas dire tout ce que j’ai fait pendant ma thèse, ce n’est pas possible. En revanche, je me dis que c’est suffisant pour susciter l’envie chez les gens, qui vont se demander ce que c’est que cette histoire de photocatal­yseur. Je pense donc que c’est une manière de créer chez l’autre un désir de savoir.

Que représente cette victoire pour vous? Je suis fière de pouvoir mettre mon pays en avant. Dans le cadre de la thèse, certaines bourses m’ont permis de beaucoup voyager, mais j’ai toujours eu une frustratio­n. Quand on me demandait d’où je venais et que je répondais du Bénin, personne ne savait le situer. La meilleure façon pour moi de remercier tous ceux qui ont contribué à mon éducation et de rendre service à mon pays, c’est de tout faire pour que, peu importe où je me trouve, je puisse inciter les gens à aller regarder la carte du monde pour voir où se trouve le Bénin. C’était un défi personnel, aussi. À Liège, j’ai été fière que personne ne me demande: ‘Où est le Bénin?’

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