Retournons à l’essentiel
Le Jeu de Paume, à Paris, présente actuellement une rétrospective de l’oeuvre du réalisateur argentin Matías Piñeiro. L’occasion d’évoquer avec lui l’influence de Shakespeare sur ses films.
Le réalisateur argentin Matías Piñeiro expose son oeuvre au Jeu de Paume. Mais donne tous ses secrets ici.
Vous avez tourné de nombreux films autour de l’oeuvre de Shakespeare. Elle est aujourd’hui beaucoup utilisée comme un manuel contemporain de sciences politiques… C’est vrai, mais on relit surtout les tragédies, dans lesquelles l’idée du pouvoir est centrale. Moi, ce sont les comédies, où prédomine l’idée de l’amour, qui m’ont marqué. Elles aussi sont très contemporaines. Shakespeare développe l’idée de la relativité de l’amour, de son intermittence, ses pièces ne proposent pas le mariage comme la fin heureuse des choses. Dans beaucoup de ses comédies, les personnages finissent réunis, puis une dernière ligne indique que le lendemain la femme se barre avec un autre. Cette conception de l’amour –fragile, relatif, ambigu, qui peut changer– se traduit par une ironie qui me semble très lucide, et cette lucidité est peut-être contemporaine. Mais je ne suis pas un expert de l’amour.
Pourquoi ne pas vouloir adapter les tragédies? Parce que ce sont toujours les tragédies qui gagnent! Ce qui m’intéresse c’est que, dans les comédies, à la différence des tragédies, les femmes sont puissantes et fortes, et elles sont fortes parce qu’elles sont intelligentes. Elles créent un monde elles-mêmes. Dans les tragédies, s’il y a des femmes importantes, ce sont des tarées suicidaires. C’est une vision très phallocentrique. Les titres des tragédies sont d’ailleurs toujours des noms de personnages masculins: Hamlet, Macbeth, Othello. Tandis que les comédies, dont les personnages sont féminins, portent d’autres noms: Le Songe d’une nuit d’été plutôt que Titania, La Nuit des rois plutôt que Viola, etc. C’est bizarre, non? Après, cette époque apocalyptique donne parfois un peu envie de faire du Richard III et de couper des têtes dans tous les sens. Mais non, ça ne me vient pas. Même si les choses se cassent la gueule, il y a dans la comédie quelque chose qui peut aussi être révolutionnaire.
On présente parfois Game Of Thrones comme une série shakespearienne. Êtes-vous d’accord? Je crois qu’il est difficile que quelque chose soit shakespearien sans les textes de Shakespeare, qui obligent les acteurs à réciter sept vers qui exemplifient la même idée, comme par exemple: ‘Quand je me marierai avec toi, je serai mauvaise comme un perroquet africain, comme un singe je ne sais quoi’, etc. Je ne suis pas sûr que l’on trouve des textes comme ça dans Game of Thrones. En revanche, Shakespeare, à son époque, était un objet populaire, comme les séries aujourd’hui. On l’oublie mais Shakespeare, c’était pour tout le monde. Les gens qui allaient voir ses pièces mangeaient, pissaient, discutaient. Ils interagissaient.
Tous vos films ont Buenos Aires pour décor, et vous avez pourtant récemment déménagé à New York. Vous vouliez changer de toile de fond? Non, j’ai déménagé à New York parce que mon copain est parti vivre là-bas et je l’ai suivi comme un couillon amoureux. Mes films sont très porteños, je ne les verrais pas exister ailleurs, du coup je continue à en faire à Buenos Aires depuis New York. Le cinéma indépendant yankee ne m’intéresse pas tant que ça. Je ne me vois pas là-dedans. Le cinéma est une industrie très forte, très centralisée, c’est comme être sur une autoroute. Moi, j’aime faire des films comme un amateur, avec mes amis, à la marge. Je préfère la marche à pied.