Les livres de conseillers
Comme après chaque quinquennat, les livres d’anciens conseillers et petites mains de l’élysée ont pullulé cet automne dans les librairies. Parce que la vengeance est un plat qui se mange tiède? Parce que cela fait vendre? Ou parce que cela permet de conti
Comme après chaque quinquennat, les livres d’anciens conseillers et petites mains de l’élysée pullulent dans les librairies. Mais pour quoi faire?
Et ils ont décidé de tout écrire. Le premier, Vincent Feltesse, dans des petits cahiers à spirales fournis par l’élysée, “les mêmes que ceux utilisés par Claude Guéant”. Selon un mode opératoire précis: “À chaque réunion, une nouvelle double page”, détaille celui qui fut conseiller politique de François Hollande entre mai 2014 et mai 2017 et qui confie avoir eu l’idée de prendre des notes lorsque son amie philosophe Geneviève Fraisse lui a dit: “Tu vas vivre l’histoire.” Historien de formation, Feltesse se dit alors que “ce n’est pas si absurde”. En tout, le conseiller remplira 90 cahiers, à raison d’un tous les quinze jours. Le second, Gaspard Gantzer, conseiller en communication du président de la République sur la même période, avait déjà pris “l’habitude”, lors de ses passages à la mairie de Paris auprès de Bertrand Delanoë et au Quai d’orsay dans le cabinet de Laurent Fabius, “de tout noter” pour conserver une trace “des moments singuliers” qu’il vivait. Il n’y avait donc aucune raison que cela change durant les trois ans qu’il a passés à l’élysée. En réunion, chez lui le soir ou le matin au réveil, il a tout annoté dans des Moleskine “grand format”, au nombre de six.
Pour le reste, ils plaident non coupables. Ils n’avaient rien prémédité. Ce sont les autres qui sont venus à eux. Le 1er décembre 2016, quand François Hollande annonce qu’il renonce à se représenter, ces deux très proches conseillers n’ont pas le temps de digérer l’événement qu’ils sont déjà pris d’assaut par les éditeurs. Thierry Billard, directeur éditorial chez Plon, envoie un message à Vincent Feltesse sur Facebook parce qu’il a lu quelques-uns de ses articles “sur son blog, par hasard” et qu’il a remarqué chez lui “un ton”. Il lui propose d’écrire sur les coulisses du quinquennat. Deux autres éditeurs lui font la même proposition. “Je n’aurais pas eu l’idée spontanément”, confie Feltesse. Gantzer lui aussi a été sollicité par trois maisons d’édition avant de donner son accord à Fayard. Mêmes causes, mêmes effets. Les deux hommes viennent d’envahir les librairies avec chacun leur livre, Et si tout s’était passé autrement? pour Feltesse, La Politique est un sport de combat pour Gantzer. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne dépareillent pas dans les vitrines. Patrice Biancone, ancien chef de cabinet de Valérie Trierweiler de 2012 à 2014 puis conseiller à la vie associative de François Hollande jusqu’à la fin de l’aventure, a sorti début septembre La Malédiction de l’élysée aux éditions du Cherche Midi. En même temps que Pierre-louis Basse, conseiller aux grands évènements du président de 2014 à 2017, faisait paraître Le Flâneur de l’élysée chez Stock. En janvier déjà, Aquilino Morelle, conseiller politique de Hollande avant Feltesse, contraint à démissionner en avril 2014 pour des histoires de conflit d’intérêts et de cireurs de chaussures, avait publié L’abdication chez Grasset, dans lequel il réglait ses comptes avec le président de la République. Et puisque tout le monde a morflé, il était dit que la droite aussi aurait droit à son livre testament. Le 23 novembre dernier sortait Déflagration, de Patrick Stefanini, chez Robert Laffont, un livre d’entretiens dans lequel l’ancien directeur de campagne de François Fillon revient sur la traumatisante élection présidentielle écoulée qu’il a menée de front, avant d’abandonner au moment du discours du Trocadéro. “C’est vrai, le livre de conseiller a le vent en poupe en ce moment, reconnaît Thierry Billard, qui avoue d’ailleurs avoir tenté, en vain, de convaincre Stefanini de publier chez lui. Mais il s’agit d’une vielle tradition française, reprend l’éditeur. Bien avant Verbatim d’attali, qui revenait sur les années Mitterrand, le directeur de cabinet de Félix Faure, au xixe siècle, avait publié ses carnets. Nous sommes le pays européen qui consomme le plus de livres politiques.” Sylvie Delassus, éditrice chez Stock, ne s’en cache pas non plus: “À la fin de chaque quinquennat, toutes les maisons d’édition sollicitent les conseillers en se disant qu’elles vont sortir le livre qui va marcher, celui où il y aura le plus de confidences, le plus d’anecdotes, le plus d’infos.” Elle cite La Cause du peuple de Patrick Buisson, vendu à 75 000 exemplaires le premier jour de sa sortie en septembre 2016 ; ou encore Scènes de vie quotidiennes à l’élysée de Camille Pascal, conseiller de Nicolas Sarkozy, paru en 2012 et vendu lui à 40 000 exemplaires, bien plus que les ouvrages de ses autres camarades Marie de Gandt (ancienne plume de Sarkozy), Maxime Tandonnet (ancien conseiller du même Sarkozy à l’intérieur) et même Henri Guaino (que l’on ne présente plus).
Catharsis et ambition
Chez Fayard, on assure que le livre de Gantzer est “le numéro 1” en ce moment et que “trois réimpressions” ont déjà été lancées. Une éditrice tique un peu: “J’ai regardé les chiffres. Il va faire un peu moins de 10 000 ventes, ce qui est vraiment très bien, mais ce n’est pas un carton non plus.” Sylvie Delassus, elle, reconnaît qu’elle est aussi allée sonder l’ancien conseiller pour qu’il publie
“À la fin de chaque quinquennat, toutes les maisons d’édition sollicitent les conseillers en se disant qu’elles vont sortir le livre qui va marcher” Sylvie Delassus, éditrice chez Stock
chez elle. Le livre de Feltesse, en revanche, elle n’y a pas cru. À cause du déficit de notoriété de l’ancien conseiller. D’ailleurs, il n’a été tiré qu’à 8 000 exemplaires. Mais elle avait également proposé une collaboration à Aquilino Morelle. Aujourd’hui, quand elle voit que L’abdication n’a pas dépassé les 11 000 ventes –un échec unanime dans le milieu comparé aux attentes suscitées et aux 750 000 ventes réalisées avant lui par Valérie Trierweiler avec Merci pour ce moment–, elle se dit qu’il “a raté son coup en sortant son livre seulement en janvier 2017. Il a trop attendu, deux ans, c’est long”. Elle s’explique: “La vengeance, depuis Alexandre Dumas, tout le monde aime ça. Cela génère des histoires de méchanceté, de coups bas... Normalement, cela marche.” L’éditrice est toujours à l’affût. Pour preuve, elle avait casté dès 2012 un certain Emmanuel Macron, qu’elle avait rencontré “dans son petit bureau” à l’élysée. Il lui avait répondu poliment: “Tant que je suis à l’intérieur, je n’écrirai rien, je suis loyal. Et puis, j’ai écrit des romans de jeunesse qui sont très mauvais... Je verrai ça plus tard.” Dans ce jeu de séduction éditeurs-conseillers, à part quelques notables exceptions comme celle-ci, les seconds sont souvent faciles à convaincre. Rarement pour des questions d’argent –sauf “Morelle, qui a choisi Grasset parce que l’à‑valoir était très élevé (70 000 euros, selon Le Canard enchaîné, ndlr)”, dixit un directeur de maison d’édition–, mais plutôt parce qu’ils “veulent continuer à exister ou se mettre à exister après des années dans l’ombre. Faire un livre, c’est l’assurance de faire parler de soi, d’être invité dans les médias”, ironise Delassus. De fait, Gaspard Gantzer a profité de son réseau de journalistes pour être invité partout pendant le mois de novembre et a gagné haut la main le trophée du plus gros plan médias. “Il aime la lumière, il est ambitieux Gaspard, il monte sa boîte de com’, le livre lui permet de gagner encore en notoriété et de gérer l’après”, confie un ancien conseiller d’hollande. Patrice Biancone ne l’entend pas exactement de cette oreille. En tout cas le concernant. Après avoir frôlé à plusieurs reprises le burn out et fait “deux passages à l’hôpital”, il dit avoir écrit pour se retrouver soi-même et tourner la page. “Quand on devient conseiller, tout disparaît. On est corvéable à merci, 24 heures sur 24. Et on est dans le silence. Avec toutes les histoires qui ont touché Valérie Trierweiler, j’en ai pris plein la gueule. Alors ce livre, oui, c’est une catharsis.” Une catharsis, et aussi une façon de répondre à la question “À quoi je sers?” que Vincent Feltesse présente dans son livre comme “la semi-crise existentielle permanente” du conseiller. Même son de cloche chez Patrick Stefanini. Préfet du genre discret et professionnel, ce dernier a ressenti le besoin de coucher sur papier ses souffrances et ses doutes quand tout a explosé. “Pour lui, c’est un livre d’ordre psychanalytique, confie son “ami” Maxime Tandonnet. Il n’était pas au courant des affaires de Fillon. Il s’est senti trahi. Ça a dû être atroce à vivre. Il a eu besoin de s’expliquer, de comprendre.” De son côté, Feltesse espère en toute modestie avoir écrit un texte “qui se relira dans quelques années et aidera les historiens à comprendre cette période”. Et concède, lui qui a été “le muet du sérail pendant cinq ans” mais vise la mairie de Bordeaux en 2020, que son livre le “resitue forcément dans l’histoire”. Car ces ouvrages sont aussi, la plupart du temps, l’occasion pour les conseillers de se mettre à distance d’échecs qu’ils ont vécus parfois malgré eux. Gaspard Gantzer raconte ainsi dans son livre comment François Hollande ne pouvait pas s’empêcher de délivrer des off dans son dos, qui finirent même un jour en interview en une du Journal du Dimanche. Vincent Feltesse, quant à lui, rappelle qu’il avait proposé durant la campagne de 2012 à Valérie Trierweiler de rencontrer l’équipe qui gérait le compte Twitter de Michelle Obama, afin que ses membres lui donnent des conseils. La première dame avait refusé, arguant qu’elle n’avait ni le temps ni le niveau en anglais. Après un mois de quinquennat, Valérie tweetait ses envies de soutenir Olivier Falorni contre Ségolène Royal lors des élections législatives et la présidence exemplaire annoncée prenait déjà fin.
Masturbation et coups de pression
Reste à savoir comment tout cela s’organise pour devenir un livre. Thierry Billard avoue par exemple qu’il a fallu “un peu enrichir l’écriture télégraphique” de Feltesse, amateur “de phrases courtes et très directes, sans verbe”. Gantzer, lui, a fait la chasse aux adjectifs et aux adverbes pour “aller à l’essentiel, sans esbroufe, et ne pas se prendre pour un autre”. Et puis? S’il n’a pas hésité à se mettre en scène lui-même ainsi que ceux qui l’ont entouré à l’élysée –“Je n’allais quand même pas m’inventer un nom et appeler François Hollande Robert”–, Gaspard Gantzer confie avoir longuement hésité à parler de sa femme, qui l’a beaucoup soutenu durant cette période. “Soit je parlais d’elle tout le temps et ça exposait notre couple, soit je n’en parlais pas. J’ai décidé de ne pas en parler”, détaillet-il, avouant avoir eu en tête le livre de Bruno Le Maire, Le Ministre, sorti en 2004, dans lequel l’actuel ministre de l’économie avait glissé cette scène intime plutôt osée: “Je me laissais envahir par la chaleur du bain, la lumière de la lagune qui venait flotter sur les glaces de la porte, le savon de thé vert, et la main de Pauline qui me caressait doucement le sexe.” Le passage avait valu à Le Maire quelques moqueries, notamment de la part de Nicolas Sarkozy –“Le pauvre, il écrit des livres que personne ne lit. Ah si, il y en a un que j’ai lu, c’est celui où il se masturbe!”– et d’hervé Mariton qui, lors de la primaire de la droite et du centre, avait tonné: “Moi, dans mes livres, je ne raconte pas comment ma femme me caresse le sexe!” Attention aux coups de pression également. Pierre Jacquemain, ancien conseiller de Myriam El-khomri lorsqu’elle était secrétaire d’état à la Politique de la Ville puis ministre du Travail, avait démissionné du gouvernement quand il avait vu “le projet de loi travail arriver directement depuis Matignon sur le bureau de sa ministre”. Il avait par la suite mis son désaccord par écrit dans Ils ont tué la Gauche: postures et impostures au sommet de l’état, publié chez Fayard. Et, en retour, avait récolté quelques SMS de remontrances. Un journaliste l’avait aussi informé des propos d’un conseiller à l’élysée: “Jacquemain, on sait où il habite.” Petit moment de panique. “Ils avaient envie de nuire, pas à mon intégrité physique, mais à ma vie personnelle. Je me suis longtemps demandé ce qu’ils pouvaient faire...”
Que pense l’autoproclamé nouveau monde de tout cela? Pour évoquer le sujet, voilà Axelle Tessandier qui vient de publier, chez Albin Michel, Une marcheuse en campagne, dans lequel elle retrace une histoire très macronienne qu’elle espère “inspirante”: celle –la sienne– d’une trentenaire un peu paumée qui bosse dans le monde des startup à San Francisco et rêve de revenir en France s’engager sans savoir où, surtout pas dans les partis traditionnels, puis finit, par un heureux enchaînement de circonstances, à adhérer à En marche!, avoir l’oreille de Macron et ouvrir son meeting à Bercy devant 24 000 personnes. Quand il s’agit d’évoquer les livres du quinquennat, elle monte un peu en pression: “Les livres de Feltesse et Gantzer, je trouve ça symptomatique du fait qu’ils sont aussi bavards que leur boss. Ce sont des livres politiques pour les journalistes politiques, avec des petites phrases. Mais on s’en fout de la phrase d’untel, du coup de fil à Valls! Moi, j’ai écrit pour parler aux gens directement et je n’ai pas du tout eu envie de lire leurs bouquins.” Une respiration: “D’ailleurs, tu ne verras jamais Ismaël Emelien faire ce qu’a fait Gaspard Gantzer.” Sylvie Delassus sourit, puis corrige: “Sauf si lui ou un autre est disgracié. En ce moment, rien ne bouge chez Macron, mais ce n’est que le début. L’amertume est mauvaise conseillère, vous savez.”