Society (France)

Georges Tron

L’histoire avait défrayé la chronique. En 2011, en pleine affaire DSK, Georges Tron, alors maire de Draveil et secrétaire d’état dans le gouverneme­nt Fillon, était accusé de harcèlemen­t sexuel par deux femmes. À l’époque présenté comme un “fétichiste des

- PAR MAXIME BRIGAND / ILLUSTRATI­ONS: UGO BIENVENU POUR SOCIETY

En 2011, le maire de Draveil et ancien secrétaire d’état du gouverneme­nt Fillon était accusé de harcèlemen­t sexuel par deux femmes. Il retourne aujourd’hui au tribunal, pour répondre de l’accusation de “viols aggravés et agressions sexuelles”.

Un souffle au bout du fil, semblable à celui d’un athlète qui aperçoit, au loin, la ligne d’arrivée d’une course interminab­le. “Je n’ai pas eu plus de courage ou de déterminat­ion qu’une autre femme, dit la voix, rincée par plus de six ans de procédures. J’ai juste voulu que tout ça s’arrête et je n’ai pas été capable, par mon éducation, de laisser cette personne détruire d’autres existences. Se taire, c’était l’autoriser à continuer. Aujourd’hui, je veux simplement pouvoir terminer ce combat afin de commencer une autre vie, mais aussi que ces années de procédures, longues et éprouvante­s, ne partent pas à la trappe en dix jours de procès.” Voilà plusieurs années qu’on la décrit ici comme “une lanceuse d’alerte”, là comme l’un des seuls espoirs de balayer un “piège” qui se serait fermé il y a maintenant plus de 20 ans sur un nombre difficilem­ent quantifiab­le de victimes. Qui est-elle? Une femme de 40 ans qui se décrit, aujourd’hui, comme “extrêmemen­t fragile”. Le 24 mai 2011, en pleine affaire Strauss-kahn, Virginie Faux avait rompu le silence en déposant plainte auprès du procureur de la République d’évry pour des “faits de violences sexuelles par personne ayant autorité et harcèlemen­t sexuel”. Une plainte accompagné­e d’une autre, déposée par une autre femme à l’histoire similaire, Éva Loubrieu. La personne visée était la même dans les deux cas: Georges Tron, alors maire de Draveil, dans l’essonne –ce qu’il est encore aujourd’hui–, et secrétaire d’état chargé de la Fonction publique dans le gouverneme­nt Fillon. Depuis, l’affaire est passée par de nombreux états. Les gros titres de la presse, de longs virages judiciaire­s, une étape centrale –la décision des juges d’instructio­n en charge du dossier de suivre les réquisitio­ns du parquet d’évry en décembre 2013 et de conclure à un non-lieu, estimant à l’époque que les témoignage­s des deux femmes ne permettaie­nt pas de “caractéris­er suffisamme­nt les infraction­s”– et, finalement, un second procès: du 12 au 22 décembre prochains, Georges Tron sera renvoyé devant la cour d’assises de Bobigny, en compagnie de son ancienne adjointe à la culture, à la communicat­ion et aux associatio­ns, Brigitte Gruel. Cette fois pour “viols aggravés et agressions sexuelles” sur les personnes de Éva Loubrieu et Virginie Faux.

Lorsque l’affaire éclate au printemps 2011, Nicolas Sarkozy se trouve à l’élysée, entouré de son équipe. Il encaisse le coup. “C’est classique. Quand tout va bien (une référence à l’arrestatio­n de Dominique Strauss-kahn, ndlr), il y a toujours une merde qui surgit et risque de changer la donne! Bien sûr, ce n’est pas la même ampleur, mais quand même, quel con, ce Tron!” Ce dernier, en poste au gouverneme­nt depuis mars 2010, est poussé dans la foulée à la démission. Pas le choix. Tenté dans un premier temps de s’accrocher à son siège doré au nom de la présomptio­n d’innocence, Georges Tron se voit poser un ultimatum par le Premier ministre, François Fillon, qui lui glisse: “Soit tu démissionn­es au plus tard demain matin, soit on te démissionn­e!” Le dossier Tron vient d’être confié à deux juges d’instructio­n, appuyés par le SRPJ de Versailles. Les médias embrayent et racontent alors l’histoire de celui qui va vite se faire surnommer le “masseur chinois” de l’assemblée nationale. Il y a Draveil, d’abord, la ville de 28 000 habitants dont il est devenu maire en juin 1995 et où il a toujours été réélu depuis. Son parcours, ensuite. Celui d’un “passionné de politique”, passé par le Conseil de Paris avant de devenir conseiller d’édouard Balladur au moment où ce dernier est devenu Premier ministre au début des années 90. Le reste? Tron se définit volontiers comme un amateur de “joutes verbales”. Il est aussi, apprend-on, un adepte non dissimulé de réflexolog­ie plantaire, qui serait pour lui une “hygiène de vie”, en tout cas un sujet qu’il n’hésite pas à évoquer à de nombreuses reprises en public, avec “des démonstrat­ions sur des femmes” à l’appui. Une proche, citée dans le dossier du premier procès, explique comment cela se passe: “Il montrait les points de réflexolog­ie. Cela n’était pas du tout mon truc, je m’occupais de mes dossiers. Il m’a fait des séances de massage. Au tout début de notre collaborat­ion, il m’a fait une démonstrat­ion mais cela ne m’intéressai­t pas du tout. Il a compris mais quand il m’a fait [d’autres] massages, je trouvais cela inappropri­é. On était là pour travailler. Il n’a fait que des massages de pied avec moi.” Georges Tron a toujours pris soin de parler de “digito-pression” plutôt que de “massages”, et dégagé au loin l’idée d’un éventuel goût particulie­r pour les pieds. Ce serait, en réalité, plutôt un point de départ. Lorsqu’elle rencontre l’édile au printemps 2008 à sa permanence parlementa­ire de Ris-orangis, Virginie Faux vient solliciter son aide pour trouver un emploi. Au cours du rendez-vous, Tron attrape le pied de la femme et pratique sur elle sa “réflexolog­ie”. Le scénario se répète quelques jours plus tard lors d’un déjeuner au restaurant chinois de Draveil, où Virginie Faux explique avoir passé l’intégralit­é du repas avec un pied sur Georges Tron, après que le maire lui a offert un livre sur la médecine chinoise et qu’il lui a demandé d’enfiler des mi-bas adaptés à la pratique de la réflexolog­ie. Ensuite, c’est parole contre parole. Elle parle de “tripotage”, lui affirme que c’est elle qui a abordé la pratique et que de toute manière, il ne se souvient pas de ce déjeuner. Détail qui ne peut en être un: le dossier d’instructio­n contient les témoignage­s d’une dizaine d’autres femmes qui racontent les mêmes caresses imposées, dans le bureau du maire, à sa permanence parlementa­ire, dans sa voiture, lors d’un entretien d’embauche. Il y a, par exemple, cette journalist­e qui, à l’occasion de la campagne présidenti­elle de 2002, déjeune avec Tron, qui lui propose ensuite de la déposer à l’assemblée nationale: “Alors que nous venions de démarrer, subitement, Georges Tron s’est penché, il a saisi mon pied gauche. Il m’a enlevé mon escarpin et il s’est mis à masser ma voûte plantaire. (…) Il a massé mon pied avec sa main droite, en conduisant. J’ai tenté de retirer ma jambe mais il tenait mon pied fermement. Tout en me massant, il me parlait. Il monologuai­t au sujet de la réflexolog­ie. J’ai clairement vu à ses yeux, au débit de ses paroles, que ses massages avaient une connotatio­n sexuelle et qu’en aucun cas il ne s’agissait de médecine douce. D’autant plus qu’il ne m’avait pas demandé mon avis. Lorsque le véhicule s’est arrêté au feu rouge suivant, je me suis dégagée et je suis sortie de la voiture ma chaussure à la main.” Plusieurs récits vont dans ce sens. Des femmes “non consentant­es, véritablem­ent abusées, torturées psychologi­quement”. Chaque fois, le même scénario: une personne dans une situation de faiblesse, qui vient le plus souvent de divorcer, et qui explique n’avoir eu d’autre choix que de se “soumettre pour obtenir” les faveurs de l’élu. “Des personnes dont il est capable de leur rappeler qu’elles lui sont redevables”, souligne Marion*, l’une de ses anciennes attachées parlementa­ires. Le dossier laisse par exemple apparaître le cas d’une aide-soignante employée à la maison de retraite de Draveil, invitée par Georges Tron à s’installer à ses côtés lors d’un repas des anciens organisé à la fin des années 90. Le maire lui glisse alors à l’oreille que si elle souhaite progresser profession­nellement, “il va falloir être bien gentille, ma petite”. Refus de l’intéressée, qui perdra son poste quelques mois plus tard. C’est

Au cours de récits invariable­s dans la forme, les plaignants racontent des séances de massages imposées dans le bureau du maire, porte fermée, ou dans la salle de réception du château de Villiers, qui abrite aujourd’hui l’hôtel de ville

dans un contexte similaire qu’éva Loubrieu a rencontré Georges Tron. Elle vient de se séparer de son mari, rencontre le député à l’une de ses permanence­s parlementa­ires au premier semestre 2006, avant d’être invitée à un vernissage, puis au salon du Premier roman quelques mois plus tard, à dîner dans la foulée et à déjeuner le lendemain. Éva Loubrieu se serait laissée “caresser le mollet” en échange de la promesse d’une embauche en tant que chargée des événements littéraire­s. Virginie Faux et Éva Loubrieu disent aujourd’hui être toutes les deux tombées dans le “manège” du maire, même si la seconde a confié avoir eu, dans un premier temps, une relation consentie avec Tron. Au cours de récits invariable­s dans la forme, les deux femmes racontent des séances de massage imposées dans le bureau du maire, porte fermée, ou dans la salle de réception du château de Villiers, qui abrite aujourd’hui l’hôtel de ville. Des séances qui pouvaient se faire à trois, l’adjointe aux affaires culturelle­s de Tron, Brigitte Gruel, qui se balade alors avec les étiquettes de “maîtresse”, “complice” et “rabatteuse”, étant parfois présente. Et qui pouvaient d’ailleurs se tenir de temps à autres chez elle, et se terminer, selon Virginie Faux, de la manière suivante: “Monsieur Tron et Madame Gruel me caressaien­t le sexe avec leurs mains.”

“Mes ennemis, je les tue”

En avril 2010, Virginie Faux fait une tentative de suicide. En janvier 2011, elle dépose une première main courante pour dénoncer les faits au commissari­at de police d’évry. Le maire se tourne alors vers Lucile Mignon, son assistante parlementa­ire: “Tu vas aller la voir et lui dire qu’il vaut mieux qu’elle regarde devant elle.” Le rôle de Lucile Mignon est central: embauchée à la mairie de Draveil en 2005, nommée au cabinet du maire en 2007 puis assistante parlementa­ire en 2008, elle est restée “fidèle” à l’élu jusqu’à sa quatrième audition par la justice, au printemps 2011. Assise au bord d’un canapé installé dans l’obscurité d’un salon, en Charente, elle dit aujourd’hui qu’elle n’avait “pas le choix”. “Si j’arrêtais, je morflais derrière. Il m’aurait mutée dans un autre service. J’étais prise à la gorge.” Elle confie aussi qu’à l’époque, Georges Tron l’aurait mise en garde: “Rappelle-toi qui sont tes amis, parce que mes ennemis, je les tue.” Sur le coup, Lucile Mignon demande à Virginie Faux de fuir, car Tron possède un “dossier gros comme ça sur elle”. Mais depuis, les choses ont changé. Lucile Mignon a déposé une plainte avec constituti­on de partie civile pour harcèlemen­t moral en décembre 2011 et dit avoir été victime, comme les autres femmes, d’agressions sexuelles de la part du duo Tron-gruel. “Je me suis retrouvée entre leurs mains, tétanisée, je ne pouvais plus rien faire, mon corps ne m’appartenai­t plus. On m’a allongée sur le sol, il y a eu agression sexuelle mais il n’y a pas eu viol. Ensuite, rien ne devait transparaî­tre. Mon cerveau s’est mis sur off.” Toujours inscrite dans les effectifs de la mairie de Draveil, Lucile Mignon a été considérée à deux reprises par la commission de réforme comme souffrant d’une maladie “contractée en service”. La mairie a continué à la payer jusqu’au 1er novembre dernier, avant de cesser de le faire. Existait-il un système Tron, comme il a pu exister un système Weinstein, avec des proies, des tactiques d’approche, des moyens de pression et des menaces de sanction? C’est, en partie, ce qui sera jugé dans quelques jours. Une ancienne tête de liste d’opposition de Draveil décrit aujourd’hui “une petite monarchie où le maire se la joue petit prince”, rappelant au passage ces mots prononcés par Georges Tron lui-même en 2001: “90% des agents sont des amis, pour le reste, ça se paiera.” L’arrêt de la cour d’appel de Paris a confirmé de son côté, le 15 décembre 2014, que Georges Tron avait préparé de longue date des dossiers “contenant des éléments défavorabl­es aux deux plaignante­s, y compris sur leur vie privée”, afin de “décrédibil­iser” leurs témoignage­s. Des éléments confirmés par de nombreuses sources. Il est notamment souvent question de l’ancien chef de la sécurité publique de Draveil, le commissair­e de police Philippe Moronval. En poste de 2006 à 2008, avant de devenir le chef de cabinet au ministère de la Fonction publique de Tron, il aurait été “chargé de collecter des informatio­ns sur Virginie Faux et Éva Loubrieu à compter du début de l’année 2011”, tout en conservant un dossier sur elles dans son bureau de Bercy. Un homme également pointé du doigt pour être intervenu en défaveur de celle qui lui a succédé à la tête du commissari­at de Draveil, partie avec fracas de son poste en 2011. “À la demande du ministre, j’ai effectivem­ent appelé le cabinet du ministre de l’intérieur pour dire que les relations entre le maire de Draveil et la commissair­e de police n’étaient pas bonnes.”

Autre épisode à éclaircir, cette réunion d’urgence organisée le 25 mai 2011, jour où la PJ a été saisie et où les adjoints du maire ont mobilisé l’ensemble de ses amis. Plus de 30 lettres manuscrite­s tombent alors progressiv­ement dans les mains des enquêteurs. “On était tous autour d’une table pour écrire plus ou moins la même chose, se souvient l’une des personnes présentes ce jour-là. Un adjoint au maire nous a dicté un texte expliquant que Tron était quelqu’un de bien, qu’il n’y avait jamais eu de problème. Tout le monde était là, avec un stylo, des feuilles circulaien­t. Même stylo, même papier, mêmes enveloppes.” Une plainte pour subornatio­n de témoins a été déposée en avril 2013 pour dénoncer ces méthodes. Depuis, la pression semble avoir augmenté. L’une des plaignante­s dit avoir reçu de nombreuses intimidati­ons (couteaux plantés devant la porte, lettres anonymes), et toutes –Virginie Faux, Éva Loubrieu, Lucile Mignon– ont été contrainte­s de quitter Draveil. Lucile Mignon garde dans son téléphone un élément accablant contre l’ancien ministre: l’enregistre­ment audio d’une réunion lors de laquelle un intermédia­ire propose au maire, en échange d’une aide fiscale, une bande enregistré­e sur laquelle Éva Loubrieu se dit soutenue humainemen­t, et non politiquem­ent, depuis le début de l’affaire par l’un des beaux-frères de Marine Le Pen. C’est, depuis le premier jour, la défense de Georges Tron: la thèse d’un complot politique téléguidé par le Front national local. Une ligne qui fut néanmoins contredite lors du premier procès par la chambre de l’instructio­n, laquelle a considéré qu’aucune des deux plaignante­s n’avait “un profil politique ou partisan”, et qu’elles ne pouvaient par conséquent être “suspectées de calculs politiques”. Qu’attendre du procès qui se tiendra ce mois-ci? Dans Le Parisien, en juin 2016, Georges Tron n’avait rien reconnu: “Je dis depuis le premier jour que je suis innocent. Il y a eu quatre décisions en ma faveur et une qui est venue les contredire. (…) Je n’ai pas d’autre moyen de clamer mon innocence. Si je ne l’étais pas, je ne le ferais pas. Je garde la tête haute.” Alors que la chambre d’instructio­n a estimé que les témoignage­s de Virginie Faux et Éva Loubrieu étaient “plausibles”, l’ancien ministre n’a, à quelques jours de son nouveau jugement, pas donné suite à nos demandes d’entretien. Une ancienne employée de la mairie essonnienn­e résume l’ambiance: “On connaît tellement le personnage, on sait tellement ce qu’il est capable de faire... Les gens ont peur de remuer •TOUS cette histoire, c’est donc à la justice de le faire définitive­ment.”

“Un adjoint au maire nous a dicté un texte expliquant que Tron était quelqu’un de bien, qu’il n’y avait jamais eu de problème. Tout le monde était là, avec un stylo, des feuilles circulaien­t. Même stylo, même papier, mêmes enveloppes” Un ancien proche de Tron

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