Society (France)

Emmanuel Macron en Afrique

C’était du 27 au 30 novembre derniers. La première “tournée africaine” d’emmanuel Macron, comme l’ont appelée les journaux, passait par le Burkina Faso, la Côte d’ivoire et le Ghana. Trois jours pour tenter de marquer –à tout prix?– sa différence par rapp

- PAR LUCAS DUVERNET-COPPOLA, À OUAGADOUGO­U, ABIDJAN ET ACCRA / PHOTOS: RENAUD BOUCHEZ POUR SOCIETY

Du 27 au 30 novembre, le président a visité le Burkina Faso, la Côte d’ivoire et le Ghana. Quatre jours durant lesquels il entendait prouver qu’il n’entretiend­rait pas avec l’afrique les mêmes rapports que ses prédécesse­urs. Alors, mission accomplie?

Si vous avez manqué le début, parce que vous n’êtes pas nés au xixe siècle: la France est entrée en Afrique par effraction, on appelle ça le colonialis­me. Depuis, notre pays est divisé. La droite assume. La gauche regrette. Emmanuel Macron pense que tout le monde a tort. Il est 22h45, heure locale, le 27 novembre, quand l’a330 de la République française atterrit à l’aéroport de Ouagadougo­u, au Burkina Faso. L’ambition du voyage de trois jours en Afrique est aussi simple que démesurée: révolution­ner les rapports entre la France et tout un continent. Une heure et 70 poignées de main plus tard, Emmanuel Macron s’avance avec son homologue burkinabé devant le pupitre. Les projecteur­s émettent une lumière métallique qui fait pâlir les étoiles. “Nous avons une nouvelle histoire à écrire”, annonce simplement le président comme programme pour les prochains jours. Il n’est pas le premier chef d’état à promettre la révolution. Barack Obama s’y était essayé en son temps. Lui ne s’était pas adressé à 1,2 milliard d’habitants, mais au milliard et demi de musulmans qui peuplent la planète. C’était en 2009, au Caire. Il avait appelé ça “a New Beginning”. En 50 minutes et 6 000 mots, il avait assuré que les relations entre les musulmans du monde entier et les Étatsunis n’auraient plus rien à voir, qu’à partir de cet instant précis, on se parlerait d’égal à égal et les yeux dans les yeux. La promesse était intenable, et elle n’a pas été tenue. Alors pourquoi faudrait-il croire Emmanuel Macron? Lui même commence par relativise­r. “Mon discours est un début mais ne se suffit pas à lui-même, nous confie-t-il. Le pari que j’ai fait, c’est d’abord de parler à un continent dont tous les pays ont un destin commun, et pas uniquement à une partie de l’afrique. J’ai pu constater concrèteme­nt ces derniers mois la volonté que les Africains ont d’avancer ensemble, que ce soit au niveau de l’union africaine ou des organisati­ons régionales du Sahel. Ce que j’ai dit correspond donc d’abord et avant tout à une volonté des Africains et de leurs dirigeants de trouver une nouvelle organisati­on, une nouvelle dynamique par eux-mêmes et pour eux-mêmes. La vraie réussite, pour moi, sera celle de cette nouvelle génération.” En Afrique, pendant ses trois jours sur le terrain, Emmanuel Macron a joué la carte de la connivence avec son auditoire, multiplian­t blagues, vannes et clins d’oeil. “Oui, j’ai essayé de réfléchir de manière génération­nelle, parce que je crois beaucoup au fait que cela change la manière de voir les choses. Le pari, c’est qu’il y ait un réveil génération­nel de l’afrique qui dise: ‘Notre génération n’est pas celle de la colonisati­on ni celle de la décolonisa­tion. On doit inventer une nouvelle écriture, un nouveau projet avec la France et l’europe.’” Mais combien de présidents français ont déjà promis un nouveau départ et annoncé la fin de la Françafriq­ue? Nicolas Sarkozy est passé par là. François Hollande aussi. “Moi, je n’ai pas parlé du tout de Françafriq­ue. Pour ma génération, la Françafriq­ue, c’est de l’histoire. J’ai tenté de veiller à ne pas donner de leçons. Je pense que l’on est aujourd’hui dans une phase nouvelle de la relation entre l’afrique et la France. Je vais y consacrer du temps, retourner là-bas. Nous avons avec les Africains

un défi en commun –et c’est relativeme­nt inédit– qui est celui des migrations. C’est un des sujets sur lesquels j’ai passé le plus de temps depuis que je suis président, avec la lutte contre la menace terroriste. Et c’est un sujet africain. C’est un sujet qui prend sa source dans la misère, la pauvreté, l’absence d’avenir pour la jeunesse en Afrique. Il est aggravé par les pratiques criminelle­s de certains Africains, ceux que l’on appelle impropreme­nt les ‘passeurs’ car il s’agit en réalité de trafiquant­s et de marchands d’esclaves. Ils sont africains, et cela revisite des traumatism­es de l’histoire africaine. La clé de cet enjeu, c’est d’avoir un imaginaire commun positif. Que les grands auteurs, que l’imaginaire européen, et en particulie­r français, s’expriment en Afrique, mais que l’imaginaire africain vienne aussi, qu’il y ait des héros et des histoires de réussite africaine en Afrique. Si les plus grands joueurs de foot ne réussissen­t que dans les plus grandes équipes européenne­s, si les grands

“Je n’ai pas parlé du tout de Françafriq­ue. Pour ma génération, la Françafriq­ue, c’est de l’histoire”

universita­ires n’ont d’avenir que quand ils vont en Europe ou aux États-unis, on ne s’en sortira pas… Alors développon­s tout de suite les coopératio­ns bilatérale­s avec les doubles diplômes. On ne dit plus aux Ivoiriens: ‘Venez à la Sorbonne ou à Polytechni­que’, on dit: ‘On va créer des doubles diplômes, vous pouvez faire des choses formidable­s ici.’ Sinon, on instruit en quelque sorte le procès d’une mobilité de nécessité, qui consiste à dire: ‘Si vous voulez réussir, il faut bouger.’

De l’esprit d’entreprise

Pour réussir son pari, le président français a dit cet été qu’il avait compris le truc, et ça semblait limpide: “Si l’on veut une réponse cohérente au problème africain, on doit développer une série de politiques qui sont bien plus sophistiqu­ées qu’un plan Marshall ou des milliards accumulés.” La première étape a consisté à casser les codes de la diplomatie classique, en annonçant la création, le 29 août dernier, d’un Conseil présidenti­el pour l’afrique (CPA). Six femmes et quatre hommes issus de la société civile. Pas d’universita­ires ni de sociologue­s, mais des jeunes dirigeants et entreprene­urs, pour la plupart d’origine africaine. De Liz Gomis, journalist­e à Nova, à Jean-marc “Jimmy” Adjovi-boco, l’ancien compatriot­e d’éric Sikora au Racing Club de Lens, en passant par Sarah Toumi, entreprene­use franco-tunisienne de 30 ans qui lutte contre la désertific­ation en plantant des arbres en Tunisie. “Ils seront, en quelque sorte, vos porte-voix”, explique Macron à 800 étudiants de Ouagadougo­u le lendemain de son arrivée. Il précise: “Non pas pour me dire ce qu’il faudrait me dire ou ce que l’on dit à un président de la République. Non! Pour me dire ce qui se dit, ce qui se ressent, ce qui est attendu, ce qui est nécessaire.”

Macron est maintenant dans une salle de boxe attelée au parking, The Gym. “Encore? On a déjà fait de la boxe”, râle l’un de ses conseiller­s, avant de se frayer un chemin “pour voir si les choses se passent bien là-dedans”. Les choses ne peuvent pas mal se passer. Il y a ce qu’il faut de caméras pour voir le président appuyé sur le ring

Trois jours plus tard, sur un parking transformé en terrain de foot dans un quartier populaire d’accra, au Ghana. D’ordinaire, les voitures sont là en semaine, mais l’effort a été fait pour la première visite d’un président français dans ce pays anglophone. Le soleil a encore une heure devant lui quand l’escorte du président arrive. “Il est l’un de mes meilleurs conseiller­s”, dit Macron en anglais en mettant la main sur l’épaule de Jimmy Adjovi-boco. Né à Cotonou, l’ancien footballeu­r –aux côtés de Jeanguy Wallemme et Fred Meyrieu à Lens– a ouvert en juillet 2015 un garage participat­if à Compiègne. Le concept a suffisamme­nt pris pour qu’emmanuel Macron lui demande de rejoindre son CPA, et qu’il devienne l’un des nouveaux acteurs de cette diplomatie parallèle. Aujourd’hui, Adjovi-boco a mérité la tape dans le dos du président: il a fait venir Abedi Pelé, l’ancienne star de L’OM et des Chamois niortais, qui a grandi ici. “Jimmy m’a dit que le président était pour L’OM et que j’étais son joueur préféré, raconte l’ancien Marseillai­s. L’OM, c’est dans le sang, je ne pouvais pas refuser.” Décathlon a profité de l’occasion pour installer des gros panneaux publicitai­res partout. Le Ghanéen remet à Macron un maillot de l’équipe nationale, floqué “Winner 17”. “Thank you maestro”, remercie en anglais le président, quand bien même son “joueur préféré” parle parfaiteme­nt le français. Macron est maintenant dans une salle de boxe attenante au parking, The Gym. “Encore? On a déjà fait de la boxe”, râle l’un de ses conseiller­s, avant de se frayer un chemin “pour voir si les choses se passent bien là-dedans”. Les choses ne peuvent pas mal se passer. Il y a ce qu’il faut de caméras pour voir le président appuyé sur le ring. Quand son escorte file dans la nuit, les pauvres réapparais­sent. Des enfants de 8 ans demandent des cigarettes et réclament de l’argent. Les policiers qui restent invitent à monter dans les bus, vite. Quelques mètres derrière, six entreprene­urs français observent la scène, amusés. Plus tôt, ils devaient visiter un incubateur, mais leur escorte a loupé le coche, alors cela fait deux heures qu’ils poireauten­t sur le parking. Ils ont chaud. Eux ne font pas partie du CPA, mais de la délégation présidenti­elle qui a effectué le voyage dans l’a330. “D’habitude, ils viennent avec des pontes industriel­s pour signer des gros contrats et là, le président a embarqué six start-up”, loue Youssouf Fofana, 28 ans, Français d’origine sénégalais­e qui a créé Maison Château Rouge, une marque de vêtements qui travaille avec les commerçant­s de la Goutte d’or, le quartier africain de Paris. Il répète régulièrem­ent: “C’est ouf.” “Ils nous ont mis en contact avec les services économique­s de chaque pays, on fait du business, poursuit-il. On s’était dit qu’il fallait réinventer les échanges entre la France et l’afrique, que si la politique ne le faisait pas, on le ferait. Elle le fait.” Il ne connaissai­t personne avant de partir, mais le voyage rapproche. Il présente Ninon Duval. Elle a reçu le même mail du protocole six jours avant le départ officiel, pour avoir monté Bond’innov, le premier incubateur de Seinesaint-denis, implanté à Bondy, spécialisé dans les échanges avec les pays du Sud, notamment sur le continent africain. “Un outil de soutien à l’innovation en Afrique”, résume-t-elle. La petite bande a visité un centre de formation sur les métiers de l’électricit­é et de l’énergie à Abidjan, d’autres entreprene­urs à Ouagadougo­u. Le président les a tous accueillis dans l’avion, “avec une poignée de main lente et chaleureus­e, comme s’il s’était levé le matin juste pour nous serrer la main”. Pendant quatre jours, Emmanuel Macron n’a cessé d’expliquer que l’entreprene­uriat serait le moteur de la révolution africaine, celle “qui pourra apporter les 450 millions d’emplois d’ici 2050”. Alors, l’afrique, en marche ou crève? “Je ne pense pas que ce soit ‘en marche ou crève’, affirme le président, c’est un ensemble. L’idée, c’est de dire que c’est possible de devenir entreprene­ur quand on vit en Afrique. Aujourd’hui, pour la plupart des Africains, c’est considéré comme impossible ou trop dur. De la même manière, étudier dans son pays de naissance, c’est soit impossible, soit trop compliqué. Car les modes de développem­ent économique, jusqu’à aujourd’hui, étaient des modes d’exploitati­on de l’afrique. C’est aussi pour ça que j’ai été très clair à l’égard de la fascinatio­n qu’ont certains pour la politique africaine de la Chine. À mon sens, la Chine ne doit pas faire ce que l’europe, et en particulie­r la France, ont fait dans les années 60, 70: apporter en Afrique beaucoup d’argent, mais réclamer ensuite un énorme retour sur investisse­ment. C’est un continent qui a trop fait reposer ses modèles de développem­ent sur de grands contrats opaques d’exploitati­on des matières premières d’état à État. Je ne prétends pas, aujourd’hui, que la seule réponse soit l’entreprene­uriat. Mais je suis convaincu que la seule vraie réponse à tous les défis de l’afrique, c’est l’émancipati­on de l’afrique par elle-même. C’est par exemple le fait d’exiger que les contrats économique­s bénéficien­t au terrain, aux jeunes et à la société civile locale. Il faut donc que les gens travaillen­t sur place, qu’on les forme pour faire ces métiers-là. À côté de cela, il y a en effet l’entreprene­uriat. Parce que dans des nations qui en sont à ce stade de leur cycle économique, où il y a un fort effet de rattrapage, on peut créer énormément d’entreprise­s et d’emplois. Il y a beaucoup d’initiative­s économique­s à prendre. Tout le monde ne pourra pas les prendre. Mais des millions d’africains pourront réussir à le faire.” En creux, Emmanuel Macron est aussi venu, en Afrique, parler d’une certaine jeunesse française. “C’est l’un des éléments importants de ma démarche, confirme-t-il. Eux aussi, je veux les prendre dans une nouvelle aventure génération­nelle. Eux, ils ont été, peut-être même encore plus que les Africains, biberonnés aux frustratio­ns des génération­s passées, et notamment à ce que l’état français a mal fait. Je veux les convaincre de deux choses: que l’imaginaire dans lequel on s’inscrit désormais avec l’afrique est un imaginaire nouveau, fait de respect mutuel, d’équilibre, de responsabi­lités partagées, de perspectiv­es où il n’y a pas une puissance dominante qui est la seule à déterminer l’avenir d’un continent et un continent dans lequel la jeunesse n’aurait pas d’avenir ; et qu’ils ont un avenir dans notre pays, parce qu’on va avoir une politique décidée et forte de mobilité économique et sociale. C’est normal, cela va ensemble, avec l’entreprene­uriat vient l’échec. À la fin de la campagne, j’avais dit devant des entreprene­urs à Saint-denis, pour provoquer un peu les conscience­s: ‘Imaginez que l’on parle d’un territoire avec deux aéroports internatio­naux, le plus grand stade d’équipement sportif et la plus grande salle de concert de France, des sièges ou quartiers généraux de boîtes internatio­nales, qui est le départemen­t le plus jeune et qui crée le plus d’entreprise­s en France. C’est la Seine-saint-denis.’ Ce que je dis est vrai, ce sont les faits. Mais c’est aussi le départemen­t métropolit­ain où il y a le plus de délinquanc­e, et une grande pauvreté. Il faut changer les mentalités, les regards, libérer ces énergies. Parce que cette jeunesse-là a envie de faire. Cette jeunesse-là a envie de réussir, de changer la société. Mais elle éprouve aussi la frustratio­n, parfois la rage, d’être les enfants de grands-parents qui n’ont jamais réussi à

“Ce qui s’est passé à Ouagadougo­u est une première. Je n’ai pas fait un discours officiel devant un parterre arrangé de dignitaire­s du régime. Et ça, aucun dirigeant étranger ne l’avait jamais fait. Je pense même qu’aucun dirigeant africain ne l’avait jamais fait”

trouver leur place dans la société, parce qu’on est restés une société de discrimina­tions. Vous avez des enfants qui ont 18, 20 ans, et dont les parents n’ont jamais eu un vrai emploi. C’est cela, la réalité de notre pays, et cette réalité se concentre dans ces quartiers les plus difficiles. Donc je ne dis pas ‘marche ou crève’, loin de là, je dis: ‘Il faut que l’on change ça.’ On ne peut pas avoir des cohortes de Françaises et de Français qui n’ont pas accès au travail parce qu’on ne le leur permet pas, et qui dépensent leur énergie en pure perte. Voilà aujourd’hui le rôle du discours politique: révéler les gens à ce qu’ils sont capables de faire, débloquer les choses. Changer les repères, les manières de fonctionne­r, est très important. Moi, dans ce voyage, c’est aussi ce que j’ai voulu faire avec les dirigeants africains. Je les considère comme je considère les autres dirigeants européens. Et ça leur plaît. La place de l’humour, par exemple, a choqué quelques européens, mais pas du tout en Afrique (Emmanuel Macron s’était targué d’une petite vanne à l’encontre de Roch Kaboré, le président burkinabé, expliquant qu’il était parti changer la clim, ndlr). Le président Kaboré a réagi publiqueme­nt hier en disant qu’il trouvait ça ridicule et que, lui, ça l’avait fait rire. Ça montre aussi un changement, car l’humour suppose d’être d’égal à égal.”

La jeunesse au pouvoir

Mardi 28 novembre, 19h30, résidence de France de Ouagadougo­u. Le matin, une voiture de la délégation française a été prise pour cible. Sur le trajet de l’université, les CRS locaux ont dû faire reculer une centaine de casseurs, repousser les pierres, éteindre les pneus en flammes, contenir les slogans anti-impérialis­tes. Macron a trouvé ça bien. “La jeunesse se bat contre l’impérialis­me, et elle a raison car, moi aussi, je me bats contre ça. Et je préfère un pays où la jeunesse a la possibilit­é de s’exprimer.” Devant les expatriés français de Ouagadougo­u, Macron déroule, mais une femme a l’air d’avoir trop chaud. Le président interrompt son discours, descend de l’estrade, fait venir un médecin, reprend le fil, assure qu’il prendra des nouvelles. “J’ai réalisé la force que représenta­it la jeunesse burkinabée pour ses dirigeants, reprend-il. J’ai vu un président et un gouverneme­nt qui aiment l’insolence de sa jeunesse, et c’est important.” Emmanuel Macron parle-t-il encore de lui? Il répète qu’il n’est pas venu donner des leçons, mais livre quand même une tripotée de conseils. “C’est l’afrique que nous voulons voir”, appuie-til lorsqu’il met en avant ses propositio­ns. Pendant trois jours, le président a joué la proximité entre son jeune âge et un continent où 70% de la population a moins de 30 ans – lui non plus n’a pas connu la colonisati­on. La Marseillai­se vient de retentir et les expatriés vont pouvoir profiter d’un peu de fromages et de charcuteri­e bleu, blanc, rouge. “La femme va bien?” demande le président à l’ambassadeu­r. Il va la voir, roi thaumaturg­e, lui met la main dans le dos, la remercie. Macron semble chez lui. “Il n’y a rien de plus insupporta­ble, dans un pays, que lorsque le débat public est corseté à l’égard de l’extérieur, nous confie-t-il plus tard. Cela peut être une tentation de tout chef d’état qui, lorsqu’il invite quelqu’un d’autre, veut que tout se passe bien et que tout soit lissé. Il y a beaucoup d’autres pays où ce débat-là n’aurait pas été permis. J’avais eu plusieurs discussion­s avec le président Roch Kaboré, que je connais bien, on s’était beaucoup parlé à Bamako quand je lui avais dit que je viendrais. Il a aussi une façon de gouverner, de présider, qui est très neuve. C’est pour cela que j’ai commencé ce déplacemen­t important par le Burkina Faso. Il est le premier président démocratiq­uement élu de son pays. Il savait très bien que l’on avait choisi, pour organiser ce débat, l’université la plus contestata­ire –un peu comme si on était allés en France à Nanterre, par exemple. Luimême y était allé quinze jours auparavant pour la première fois, et il s’était fait interpelle­r par les étudiants. Mais il a accepté que j’y vienne, que j’y aille avec lui, que je me fasse interpelle­r aussi, qu’il se fasse interpelle­r à nouveau, et je trouve que c’est bien. Parce que ce n’est pas une réaction classique. Il me l’a lui-même dit: ‘Ça montre qu’il y a un débat de société civile et que les contestati­ons s’expriment et vivent.’ Il ne faut pas se tromper, il y a un passé, des attentes, des difficulté­s énormes dans tous ces pays, et trouver la manière démocratiq­ue de les exprimer entre nous est inédit et indispensa­ble. En cela, ce qui s’est passé à Ouagadougo­u est une première. C’est une grande différence très concrète par rapport aux pratiques anciennes. Je n’ai pas fait un discours officiel devant un parterre arrangé de dignitaire­s du régime. Et ça, aucun dirigeant étranger ne l’avait jamais fait. Je pense même qu’aucun dirigeant africain ne l’avait jamais fait. Ça montre la maturité démocratiq­ue de cette société, et tout ce que cette nouvelle génération de dirigeants peut apporter.”

“Vous avez des enfants qui ont 18, 20 ans, et dont les parents n’ont jamais eu un vrai emploi. C’est cela, la réalité de notre pays, et cette réalité se concentre dans ces quartiers les plus difficiles. Donc je ne dis pas ‘marche ou crève’, loin de là, je dis: ‘Il faut que l’on change ça’”

Pour autant, difficile de se passer totalement d’une diplomatie à l’ancienne. Jean-yves Le Drian est toujours là. Ministre de la Défense sous Hollande, il avait été rebaptisé “ministre de l’afrique” par les observateu­rs, et le voir faire la bise africaine mieux qu’un Africain suffit à justifier le surnom. Il est désormais ministre des Affaires étrangères. Il patiente en lunettes de soleil sur le perron du palais de Kosyam, le siège de la présidence burkinabée. Pour tuer le temps, il discute avec Jean-michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, Brune Poirson, secrétaire d’état auprès du ministère de la Transition écologique et solidaire, et un journalist­e français. Le journalist­e: “Je parlais avec une jeune fille burkinabée qui me disait qu’elle savait mieux dessiner la carte de la France que celle de son pays, c’est ce qu’on leur apprend à l’école.” Blanquer: “Ça ne va pas, on va changer tout ça.” Le journalist­e: “Et le discours de tout à l’heure? À moins de dire que l’homme africain n’est pas rentré dans l’histoire, ça devrait aller, non?” Blanquer, pince-sans-rire: “Au moins, il est entré dans la géographie. Non, vraiment, ça ne va pas, et on va changer tout ça.” Une visite est prévue l’après-midi dans une école primaire. Toutes les écoles de la ville sont fermées pendant les deux jours de la présence de Macron, mais la direction a fait l’effort de faire venir les élèves et le personnel pour la première visite d’un président français depuis Mitterrand à Sankhara en 1986. C’est un joyeux bazar. Un homme transpire de faire chanter les écoliers à la gloire des deux présidents. Les députés déambulent dans la cour. Macron demande aux enfants s’ils savent lire, écrire, compter, s’émerveille qu’ils sachent tout faire. Cédric Villani erre. Il porte sa broche en forme d’araignée et son chapeau. Un homme de la sécurité l’interpelle: il a oublié son sac à dos. Personne n’a vraiment envie de savoir ce qu’il y a dedans. Leïla Slimani, représenta­nte du chef de l’état pour la francophon­ie, recouvre ses chevilles de répulsif anti-moustiques. Elle trouve qu’il faut “se méfier des idéologies qui disent à la jeunesse: ‘Vous êtes tous des victimes’”, et que “c’est très bien que le président ait répondu aux questions des étudiants d’égal à égal”. Une élève prend la parole au nom de tous les autres. Elle réclame

L’ancien Marseillai­s Abedi Pelé remet à Macron un maillot de l’équipe nationale, floqué “Winner 17”. “Thank you maestro”, remercie en anglais le président, quand bien même son “joueur préféré” parle parfaiteme­nt le français

une cantine scolaire, une bibliothèq­ue avec des manuels, une salle informatiq­ue, pour les aider “dans la quête du savoir”. Monsieur l’ambassadeu­r est là, évidemment. Il est déjà venu cinq fois dans l’école pour préparer la visite, alors il écoute ça de loin. Un homme le félicite d’avoir obtenu la première étape de la grande tournée africaine du président. “Tu parles, ça a été un hasard complet, rigole son Excellence. Enfin, si tu regardes bien, il ne pouvait venir qu’au Burkina.” Mais, après tout, à quoi sert une telle tournée? Quand les premiers résultats de la politique d’emmanuel Macron se feront-ils sentir? “Je vais continuer à arpenter, à marteler, à promouvoir l’afrique et ses cultures. Il faut ensuite que l’on gagne la guerre contre le terrorisme au Sahel, et que l’on valorise comme il se doit les réussites de ce continent, qu’il y ait des premiers gestes symbolique­s forts. Après, c’est à l’échelle d’une génération que tout cela va se faire, c’est pour cela que ce discours avait vocation à révéler quelque chose qui me dépasse largement, et qui n’est pas lié à une simple échéance. Je veux que l’énergie circule différemme­nt, que la société respire, comme ce qui a pu se passer dans l’université à Ouaga’. Ce que j’aimerais que l’on retienne de ce déplacemen­t, le coeur de mon discours, c’est qu’il y a désormais un changement culturel à l’oeuvre qui me dépasse largement: beaucoup de ce qui peut advenir demain, ce n’est pas moi qui le ferai, ce sont eux.”

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Johnny Depp en Afrique? Non, juste Cédric Villani…
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