Society (France)

Carles Puigdemont

Il avait promis de conduire la Catalogne vers l’indépendan­ce. Il l’a menée dans un cul-de-sac. Plus de deux mois après avoir illégaleme­nt demandé aux Catalans de s’autodéterm­iner, Carles Puigdemont, le président du gouverneme­nt catalan, est toujours en ex

- PAR PIERRE BOISSON, À BARCELONE ET À GÉRONE

Il avait promis de conduire la Catalogne vers l’indépendan­ce. Il l’a menée dans un cul-de-sac. Retour sur un drôle de destin.

De quoi son silence est-il le nom? Carles Puigdemont est enfermé, avec quelques proches, dans le palais présidenti­el catalan, sur la place Sant-jaume de Barcelone. Lui, d’ordinaire si présent sur les réseaux sociaux, semble s’être éteint. Rien le mardi soir, rien non plus le mercredi. Le président du gouverneme­nt catalan, la Generalita­t, n’appelle ni ses amis ni les journalist­es. Même Jaume Alonsocuev­illas, son avocat espagnol, est sans nouvelles. Ce silence inquiète, car le jeudi 26 octobre est le jour où tout se joue. Carles Puigdemont doit décider de quel côté l’histoire de la Catalogne va basculer. Sur la place Saint-jaume, une foule attend, impatiente. Ce silence est une hésitation. Voilà trois jours que Carles Puigdemont échange des SMS, reçoit dans son bureau des intermédia­ires chargés de transmettr­e des messages à Madrid, trois jours que Carles Puigdemont réfléchit sans savoir quel coup jouer. Après plus d’un mois de crise ouverte en Catalogne, il n’a que deux cartes en main: il peut convoquer de nouvelles élections –c’est une des prérogativ­es du président de la Generalita­t– ou déclarer l’indépendan­ce. Il sait qu’aucune de ces deux options n’est la bonne. S’il convoque de nouvelles élections, tous ceux qui sont sur la place Sant-jaume, les indépendan­tistes fervents qui, chaque 11 septembre depuis cinq ans, défilent dans la rue, ses amis, ne lui pardonnero­nt jamais. Le mouvement indépendan­tiste se fracturera pour de nombreuses années encore et ses adversaire­s –Madrid, Mariano Rajoy, l’espagne nationalis­te– profiteron­t de la division pour asseoir leur victoire. S’il déclare l’indépendan­ce, Madrid, Mariano Rajoy, l’espagne nationalis­te se feront un plaisir de le mettre au pas, en appliquant le redouté article 155 de la Constituti­on, qui permet de mettre sous tutelle une région rebelle, et traîneront son gouverneme­nt au tribunal et en prison pour sédition. “Devant lui, il y a les lions qui veulent le manger: le Parti populaire, le PSOE, Ciudadanos, fulmine Carles Porta, écrivain et ami intime du président. Et derrière, le troupeau, excité par la menace du 155 et de nouvelles élections, se bouscule et se met à charger. Carles est au milieu, écartelé. Soit il se fait bouffer par les lions, soit il se fait écraser par le troupeau. Que doit-il faire?”

La Catalogne pour seule vision

Comment Carles Puigdemont en est-il arrivé là? Il est arrivé là d’abord par hasard, ou par coïncidenc­e, et presque par accident. En septembre 2015, lors des élections autonomiqu­es –concernant les treize parlements de communauté­s autonomes espagnoles– en Catalogne, il se présente sur la liste “Junts pel Si”, qui unit de manière inédite le grand parti centriste Convergenc­e démocratiq­ue de Catalogne (CDC) d’artur Mas et le parti de gauche indépendan­t

Esquerra Republican­a de Catalunya (ERC) sous la bannière de l’indépendan­tisme. L’alliance est soutenue par l’assemblée nationale catalane (ANC) et Omnium Cultural, les deux grandes associatio­ns qui promeuvent l’indépendan­tisme catalan et cumulent près de 100 000 adhérents. “Les partis politiques ont intégré ce mouvement civique dans leurs programmes, explique Carles Boix, membre du Conseil pour la transition nationale, un lobby proche de Junts Pel Si. L’idée, c’était de convertir ces élections en référendum, pour ensuite aller vers une déclaratio­n d’indépendan­ce dans les 18 mois.” Alors maire de Gérone, Carles Puigdemont n’est même pas tête de liste dans sa circonscri­ption: il n’est qu’un nom parmi d’autres. Le 27 septembre, la coalition n’obtient que 39,59% des voix. Pour masquer la déconvenue et espérer former un gouverneme­nt, Junts Pel Si doit s’entendre avec le parti d’extrême gauche, Candidatur­e d’unité populaire. La “CUP” pose ses conditions: elle ne veut pas comme président d’artur Mas, cet habile politicien qui n’est indépendan­tiste que depuis que l’indépendan­ce est à la mode. La coalition cherche un homme consensuel, discret, qui ne fasse d’ombre à personne. L’hypothèse Carles Puigdemont apparaît. Électron libre de la CDC, c’est un quasi-inconnu, sans poids politique. “Puigdemont avait jusqu’à présent été un journalist­e gris, qui n’avait rien fait d’important, puis un député gris, toujours au fond de l’hémicycle, et aussi un maire gris, rien de spectacula­ire, introduit l’historien catalan Jordi Canal. Il était l’homme idéal. Tout le monde pensait qu’il ne serait qu’un président de transition.” Le 9 janvier, alors qu’il se promène avec ses deux filles dans les rues de Gérone, Puigdemont reçoit un coup de téléphone d’artur Mas. Celui-ci lui fait une propositio­n qui ne se refuse pas. Le 10 janvier, Carles Puigdemont est élu président de la Generalita­t.

À la différence d’artur Mas, Puigdemont est un indépendan­tiste rigide. “Un indépendan­tiste de naissance”, rectifie Salvador Clara, ami d’enfance de Puigdemont, qui tire sur sa clope roulée en offrant une visite guidée d’amer, le village d’origine du président, 2 300 habitants nichés dans la campagne de Gérone, le long d’une nationale. À l’adolescenc­e, les deux amis y ont cultivé un goût pour l’histoire de leur région, leur monastère “vieux de plus de 1 000 ans”, le marché adjacent devenu la place municipale. “Son idéologie est basée sur le catalanism­e, explique Clara, candidat sur la liste Puigdemont pour les élections du 21 décembre prochain. Nous nous sommes toujours sentis égaux au reste du monde, et nous considéron­s que l’histoire de notre village est aussi celle de la Catalogne, qui est l’histoire de l’europe.” Plus tard, Puigdemont milite dans les rangs d’une organisati­on culturelle, La Crida a la Solidarita­t en Defensa de la Llengua, puis cofonde à Gérone les Jeunesses nationalis­tes de Catalogne. “nous avions 20 ans et il parlait déjà du jour où nous serions un pays, atteste Miquel Riera, un proche de Puigdemont, aujourd’hui directeur adjoint du journal El Punt Avui. Il était le seul, à l’époque.” Indépendan­tiste quand personne ne l’est, Puigdemont se construit dans une opposition sourde, son indépendan­tisme devient un dogmatisme, une manière de voir le monde. “C’est une tête dure, avec des conviction­s catégoriqu­es”, dit Carles Porta. “Un esprit étriqué, un asocial qui n’avait que son village dans la tête”, frappe le poète Salvador Oliva, Géronais et ancien professeur de catalan de Puigdemont. Longtemps, le jeune Carles s’est attaqué à l’espagne comme il a pu. Journalist­e local, puis rédacteur en chef du quotidien El Punt, il lance une grande campagne contre les plaques d’immatricul­ation à l’espagnole. “C’était écrit ‘GE’, comme Gerona, alors qu’en catalan on dit Girona, détaille Xevi Xirgo, collègue de l’époque et ami de 30 ans. Lui a fait distribuer des autocollan­ts avec des ‘GI’, puis a convaincu les transports municipaux de les utiliser.” Quand il descend jouer au flipper, il insulte les balles perdues de “putes espagnoles”. Sur les autoroutes, il passe toujours sous les barrières indiquant “Peatge”, jamais sous le “Peaje” castillan. Il voyagera aussi de nombreuses années avec une fausse carte d’identité catalane, s’enregistra­nt dans les hôtels sous cette nationalit­é. En 1993, il prend une année sabbatique pour parcourir l’europe et visiter ces “nations sans pays” qu’il conçoit comme un miroir et dans lesquelles il cherche un reflet. Il voit la Lituanie, la Slovénie,

l’estonie. Quand Puigdemont abandonne définitive­ment le journalism­e pour se présenter à la mairie de Gérone en 2006, il ne le fait pas par goût du pouvoir. Il le fait pour l’indépendan­ce. Salvador Clara: “Il s’intéresse à la politique, mais sans aucune ambition personnell­e, il le fait parce que sa passion, c’est la Catalogne.”

L’indépendan­ce à marche forcée

La première déclaratio­n publique de Carles Puigdemont comme président de la Generalita­t frappe aujourd’hui, 20 mois plus tard, comme une prophétie. “Je vous promets que j’y laisserai ma peau, et à ceux qui m’accompagne­nt, j’exigerai qu’ils y laissent leur peau, clame-t-il le soir du 10 janvier 2016. Cette période sera difficile et incommode, ce n’est pas une époque pour les lâches.” Installé au gouverneme­nt, Puigdemont délègue à ses conseiller­s tous les sujets du quotidien pour se focaliser sur sa mission, déclarant à qui veut l’entendre qu’il quittera son poste une fois l’indépendan­ce acquise. Son bureau décoré comme un cabinet de médecin en atteste. Il n’y a laissé aucune marque personnell­e, pas un portait de sa femme, Marcela Topor, ni de ses deux filles. Sa seule fantaisie a été d’accrocher un portrait du journalist­e de Gérone Carles Rahola, fusillé en 1939 par les troupes franquiste­s après avoir écrit en faveur de la démocratie et de la Catalogne. Puigdemont est peu attaché aux débats économique­s ou sociaux. Ni de gauche ni de droite, catalan et puis c’est tout. Après que la CUP a refusé de voter un budget jugé pas assez social, Puigdemont pose la question de confiance au Parlement en septembre 2016, où il vient avec une promesse: ce sera “un référendum ou un référendum”. “Il voulait arriver à l’indépendan­ce le plus rapidement possible, il était totalement convaincu de la feuille de route, confie un proche. En interne, on émettait des doutes, lui non, c’était presque flippant.” En moins de deux ans, Carles Puigdemont, avec sa mine grise, ses costumes trop larges, sa manière de lire les discours les yeux rivés sur sa feuille, force le pas de l’indépendan­ce comme personne n’avait osé le faire avant lui. Parce qu’il ne doit rien à personne, parce qu’il n’a aucune complicité avec le monde économique ou la classe politique espagnole. Mais surtout parce que en sousmain, ce que l’on a appelé “le gouverneme­nt de l’ombre” –des entreprene­urs de Barcelone, hommes d’affaires, publicitai­res, économiste­s et activistes, qui partagent des intérêts politiques ou économique­s pour l’indépendan­ce– profite de la faiblesse politique et de l’indépendan­tisme rigide de Puigdemont pour nourrir sa fuite en avant. Comme un homme de paille, “comme une marionnett­e”, dit Salvador Oliva. “Le gouverneme­nt de l’ombre a commencé réellement en janvier 2017, confie un très proche du palais. Puigdemont, avec sa faible expérience de gestion, ne pouvait pas, ou ne savait pas, s’opposer à eux.” Cet état-major invisible aide également Puigdemont dans la logistique nécessaire au référendum: achat d’urnes, impression de bulletins de vote, le tout en échappant à la surveillan­ce de l’état espagnol. Les 6 et 7 septembre derniers, enfin, le Parlement catalan entérine la dernière étape du “processus”, malgré les avertissem­ents de Madrid et contre l’avis de ses propres juristes, en promulguan­t plusieurs lois destinées à permettre la proclamati­on de la République catalane. Carles Puigdemont est désormais le seul à pouvoir faire marche arrière. Bien sûr, Carles Puigdemont ne fera pas marche arrière. Le 28 septembre, lors d’un conseil de sécurité extraordin­aire,

“Devant lui, il y a les lions qui veulent le manger. Et derrière, le troupeau se met à charger. Carles est au milieu. Soit il se fait bouffer par les lions, soit il se fait écraser par le troupeau” Carles Porta, écrivain et ami intime de Puigdemont

le président de la Generalita­t répond à Enric Millo, le délégué du gouverneme­nt espagnol en Catalogne: “Nous ferons ce que nous sommes venus faire.” Le 1er octobre, des urnes apparaisse­nt partout à travers la Catalogne. Plusieurs millions de personnes (2,26 selon les organisate­urs) se pressent dans les bureaux de vote. Mariano Rajoy, qui n’a offert au problème politique qu’un entêtement juridique – “Le référendum est illégal”–, ordonne aux 10 000 policiers disséminés sur le territoire catalan d’empêcher le vote par la force. Erreur politique, erreur morale et erreur médiatique: le 1er octobre se transforme en une publicité contre l’espagne de Rajoy, au fil de vidéos montrant des policiers cagoulés frappant une foule pacifique (des adultes, des personnes âgées, des enfants) qui brandit des bulletins de vote en criant: “Démocratie!” “Le référendum a été une grande victoire pour une guérilla comme la nôtre, décrypte Salvador Cardus, du Conseil pour la transition nationale. On a montré une grande capacité organisati­onnelle –les 10 000 policiers espagnols n’ont pas trouvé une seule urne avant le jour des élections– et l’usage de la force par l’état a tourné l’opinion publique en notre faveur.” Une immense émotion parcourt la Catalogne, qui se repasse en boucle les images des charges policières. Puigdemont se convint alors que le référendum obligera Madrid à s’asseoir à la table des négociatio­ns, que l’union européenne, forcée par ses valeurs de démocratie, de liberté et de droits de l’homme, prendra la défense de la Catalogne. Le soir même, alors que la participat­ion au référendum n’a été que de 42% et malgré les conditions du scrutin, illégal et entaché par ces violences, il prend la parole au palais de la Generalita­t, entouré des membres du gouverneme­nt. “Nous avons gagné le droit d’avoir un État indépendan­t qui prenne la forme d’une République”, déclare-t-il.

Celui qui tire le penalty

Carles Puigdemont aurait dû savoir que Mariano Rajoy n’était prêt à négocier sur rien. Les deux hommes s’étaient rencontrés pour la première fois en face à face en avril 2016, lors d’un déjeuner à la Moncloa, le siège du gouverneme­nt espagnol. Entre deux coups de fourchette, Puigdemont interroge Rajoy. “Vous êtes d’accord pour dire qu’il y a un problème en Catalogne?” Mariano Rajoy acquiesce. “Alors, Carles propose sa solution: un référendum officiel, pacté entre Madrid et la Generalita­t, reconstitu­e Xevi Xirgo. Et ensuite, il demande: ‘Et vous?’ Rajoy n’a rien répondu.” Au lieu de quoi, le Premier ministre espagnol lui offre un fac-similé de l’extrait de Don Quichotte entrant dans Barcelone. Était-ce une manière de dire à Puigdemont que son projet indépendan­tiste n’était qu’une guerre romantique, une croisade contre des moulins à vent? Mariano Rajoy est un intellectu­el médiocre, un esprit obtus incapable de penser la moindre solution à la question catalane, mais c’est un habile politique, qui survit à la crise du système espagnol depuis des années et qui gère celle de la Catalogne avec une stratégie simple: pas de dialogue, pas de concession. Dès le lendemain du référendum, il frappe. Les “Jordis”, les présidents de L’ANC et d’omnium, sont accusés de sédition par la justice espagnole et placés en détention préventive. Le procureur général de l’état met en garde Puigdemont lui-même, glissant dans la presse qu’une plainte est également prête pour lui en cas de déclaratio­n unilatéral­e d’indépendan­ce. Face à cette intransige­ance, Puigdemont est déconcerté, parce qu’il est l’inverse de Mariano Rajoy: en ancien journalist­e, il est un communican­t moderne, un homme de bonnes phrases, de mises en scène, mais un homme politique sans expérience ou utopiste, ce qui est peut-être la même chose. “Il a des conviction­s tellement fortes que, parfois, tu te demandes s’il analyse la réalité avec les mêmes paramètres que toi, reprend ce proche du palais. Quand je lui posais la question: ‘Quel intérêt un pays européen pourrait-il avoir à reconnaîtr­e l’indépendan­ce de la Catalogne?’, il n’avait pas de réponse, ou des réponses de principe, comme ‘On ne peut pas aller contre la démocratie, on ne peut pas aller contre la majorité’. Sauf que la réalité politique n’est pas une question de valeurs, mais d’intérêts, de jeux d’équilibre, de rapports de force. Il n’a jamais compris cela.”

Le 10 octobre, en déclarant l’indépendan­ce pour, à la surprise générale, la suspendre immédiatem­ent après, Carles Puigdemont a tenté un dernier revirement tactique pour forcer Mariano Rajoy à la négociatio­n, un coup lancé comme un joueur d’échecs débutant, sans anticiper le jeu de son adversaire. Mariano Rajoy ne s’est pas fait prier pour contre-attaquer. Il a demandé au président catalan de bien clarifier ne pas avoir déclaré l’indépendan­ce et, dans le cas contraire, l’a menacé d’appliquer l’article 155 de la Constituti­on espagnole. Voilà pourquoi, en ce matin du jeudi 26 octobre, Carles Puigdemont semble encore hésiter. En réalité, sa conviction profonde est déjà faite. “Il voulait convoquer de nouvelles élections, confie Carles Porta. Il me l’a dit. C’était l’option qui lui semblait la plus raisonnabl­e et la plus cohérente.” Ce choix permet à Puigdemont d’apparaître comme un leader responsabl­e, met à nouveau la pression sur Mariano Rajoy et laisse, comme le demandait Donald Tusk, le président du Conseil européen, des portes de négociatio­n ouvertes. À 10h, Puigdemont envoie un message au président basque Iñigo Urkullu, qui joue le médiateur avec Madrid depuis juillet. “Je vais convoquer des élections”,

écrit-il. Il annonce ensuite la décision à son gouverneme­nt. Il y a des cris et il y a des larmes. Marta Rovira, la secrétaire générale D’ERC et porte-parole de la coalition, menace, en pleurs, de démissionn­er. Oriol Junqueras, le numéro 2 du gouverneme­nt, qui soutenait la convocatio­n d’élections le lundi, le mardi, et encore le mercredi, se désavoue. Tous craignent la déception populaire. Tous craignent surtout de passer à l’histoire comme des lâches, et disent à Carles Puigdemont que cette décision sera la sienne. Au même moment, à Madrid, Xavier Garcia Albiol, président du Parti populaire catalan, déclare que, convocatio­n des élections ou non, le gouverneme­nt appliquera l’article 155 de la Constituti­on. “Celui qui tire le penalty est celui qui le rate, souffle Carles Porta. Alors qu’il est le seul à avoir cherché une solution, il se retrouve isolé, trahi: chez lui, à Madrid et à Bruxelles, qui fait mine de ne rien voir.” Quand la décision du président fuite, la colère explose aussi sur la place Sant-jaume et sur les réseaux sociaux. En quelques minutes, Carles Puigdemont, le héros de l’indépendan­ce, devient le Judas de l’indépendan­ce. Comment expliquer que le courage est parfois d’accepter les limites de la réalité, et que, comme il y a des héros dans la conquête, il peut y avoir des héros dans la retraite? Il repousse sa conférence de presse à 13h, puis à 17h. À 16h50, Puigdemont est encore convaincu qu’il faut convoquer ces élections. Mais les lions sont toujours devant lui et, derrière, le bétail court. “Personne ne lui a laissé de porte de sortie, poursuit Carles Porta. Alors Puigdemont, qui n’a pas envie de se faire écraser, se met en tête du troupeau, et lui aussi se met à courir.” À 17h, il déclare finalement qu’il ne convoquera pas d’élections. Le lendemain, lors d’une séance parlementa­ire ombrageuse où Carles Puigdemont n’ouvre pas la bouche, l’indépendan­ce de la Catalogne est votée dans une ambiance de veillée mortuaire.

À l’ombre

Carles Puigdemont a enfin quitté le palais présidenti­el catalan et est rentré chez lui, dans sa maison de Sant Julia de Ramis, au nord de Gérone. Il reçoit des amis. Le dimanche après-midi, son avocat Jaume Alonso-cuevillas passe prendre le café. Puigdemont s’inquiète de la potentiell­e répression espagnole et des conséquenc­es politiques s’il décidait d’appliquer concrèteme­nt l’indépendan­ce en promulguan­t les décrets correspond­ants, en demandant aux Mossos d’esquadra, la police catalane, de contrôler les frontières et au peuple de se rassembler pour protéger le Parlement et le palais présidenti­el. “Il ne voulait pas être responsabl­e de morts dans la rue”, justifie Carles Porta. En réalité, Puigdemont n’y pense pas vraiment. Il sait que cette déclaratio­n est symbolique, que c’est une déclaratio­n de pacotille car il n’a tout simplement pas les moyens de l’appliquer. Avec son avocat, Carles Puigdemont explique ensuite les origines des carquinyol­is, cette spécialité catalane fabriquée dans la pâtisserie de ses parents. Quelques heures plus tard, il embarque dans une voiture, accompagné d’un agent des Mossos d’esquadra en congés. Il rallie Bruxelles en avion depuis Marseille selon la version officielle, directemen­t en voiture selon plusieurs proches du président. À quoi Carles Puigdemont pense-t-il alors, sur le chemin de ce qu’il appelle un “exil” mais que tout le monde voit comme une fuite? Aux erreurs commises? Au prochain coup? “Il est arrivé ici un peu déboussolé, forcément inquiet, raconte Josep Terricabra­s, le député européen ERC qui l’accueille à Bruxelles le lundi, où Puigdemont rassemble les membres du gouverneme­nt qui l’ont suivi –les autres sont envoyés en prison. Il a expliqué sa nouvelle stratégie: venir à Bruxelles est une manière d’internatio­naliser le conflit.” Depuis un mois, Carles Puigdemont vit effectivem­ent sous les feux des projecteur­s, multiplian­t les interviews à la presse internatio­nale et se cachant des paparazzis. La semaine passée, il a annoncé qu’il se présentera­it pour les élections du 21 décembre convoquées par Mariano Rajoy et qu’il entend, à nouveau, transforme­r en référendum. À Bruxelles, il a reçu ses amis –Salvador Clara et Xevi Xirgo en reviennent– mais il n’a rencontré ni Jean-claude Juncker, ni Angela Merkel, ni Emmanuel Macron, comme il l’espérait. Il est dans la lumière, mais personne ne veut le voir. “Il est déçu, il est triste, mais il est surtout en colère, grimace Carles Porta. On l’a mis dans un cul-de-sac.” Quel sera le prochain coup de Carles Puigdemont? Lui seul le sait. Mais ses chances de l’emporter sont désormais très minces: il est la dernière pièce sur l’échiquier.

“Puigdemont avait jusqu’à présent été un journalist­e gris, puis un député gris, toujours au fond de l’hémicycle, et aussi un maire gris. Tout le monde pensait qu’il ne serait qu’un président de transition” Jordi Canal, historien catalan

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Rassemblem­ent d’étudiants avant le discours de Puigdemont sur l’indépendan­ce, à Barcelone, le 26 octobre dernier.
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Le 10 octobre dernier. Le jour où Puigdemont a proclamé l’indépendan­ce de la Catalogne, tout en suspendant son applicatio­n.
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La dernière collection Desigual?

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