Society (France)

Christophe Castaner

Peut-on représente­r le renouveau tout en ayant une longue expérience d’apparatchi­k? Continuer à se dire de gauche et adhérer en bloc à la politique d’emmanuel Macron? Cumuler innocemmen­t les postes de chef de parti et de secrétaire d’état chargé des Relat

- PAR VINCENT RIOU / PHOTOS: IORGIS MATYASSY POUR

Peut-on se dire de gauche et soutenir Emmanuel Macron sans sourciller? Vouloir représente­r le renouveau et être un vieux routier de la politique? Cumuler innocemmen­t les postes de chef de parti et de secrétaire d’état chargé des Relations avec le Parlement? Le boss de La République en marche répond.

Vous voilà donc dans votre bureau de chef de parti. La légende dit que vous n’aviez jamais mis les pieds à Solférino quand vous étiez au PS. C’est vrai? En effet, j’ai très, très rarement mis les pieds à Solferino. J’y suis allé, mais pas souvent. En revanche, j’ai toujours été éloigné des jeux d’appareil. Je n’ai jamais voulu être secrétaire national du PS ou délégué de quelque chose. Pas parce que c’était le PS, mais parce que je pense que je ne suis pas un homme d’appareil. Aujourd’hui, je pense que c’est une qualité pour être le chef d’un mouvement comme La République en marche. Donc, vous dites que l’on peut présider un parti sans être un homme d’appareil? Si j’avais l’impression qu’être délégué général de LREM imposait de devenir un homme d’appareil, je ne serais pas là... LREM, ce n’est pas un parti politique, c’est un mouvement, et nous nous posons toujours la question de savoir comment faire les choses différemme­nt. Bien sûr, il y a des fonctions politiques, il faut bien préparer les élections européenne­s, municipale­s, et peut-être la présidenti­elle dans quatre ans et demi. Mais aujourd’hui, ce qui fait le moteur de LREM, c’est que nous sommes un mouvement en mouvement. C’est un mouvement qui part dans tous les sens, plein d’énergie, et c’est ça qui est génial.

C’est un peu une auberge espagnole, en vrai. Vous dites ça parce que les gens qui nous rejoignent sont de parcours et d’origines différents, comme dans le film. Mais ce qui est intéressan­t, c’est que samedi matin, par exemple, je lançais une opération ‘Action Talents’. L’idée, c’est d’identifier partout en France des femmes et des hommes qui ont des projets d’engagement citoyen, comme par exemple aider des jeunes qui cherchent des stages de troisième et qui n’en trouvent pas. Et ça marche, parce que dans nos réseaux, nous avons des chefs d’entreprise ou d’administra­tion. Est-ce que ça, c’est politique? Moi, je pense que oui. Est-ce qu’un parti politique faisait ça? La réponse est non. Voilà, moi, je veux y contribuer. Mais ce n’est pas au gouverneme­nt de se saisir de ces sujets? Pour aider les stagiaires à rencontrer les entreprise­s, il y a des ministres de l’éducation, du Travail, de l’économie... C’est votre sentiment, pas le mien. Moi, je n’attends pas tout de l’état. J’ai en tête les propos du président lors de ses voeux du 31 décembre. Il a dit: ‘On fait la transforma­tion pour vous: augmentati­on du pouvoir d’achat, emploi, etc.’, mais il a aussi invité les Français à ‘faire la transforma­tion par eux-mêmes’. Eh bien, au fond, c’est cela que nous mettons en place au mouvement. Quand je mets en contact des gens qui cherchent un stage et d’autres qui peuvent l’offrir, je fais un travail de citoyen. Je suis pour la société de l’engagement, pas celle du ‘tout service public’.

D’accord, mais votre job en tant que patron de LREM, c’est d’abord d’essayer d’avoir des élus aux prochaines élections municipale­s en 2020, prendre des villes à des barons socialiste­s ou républicai­ns... Il y a une fonction politique, mais non, contrairem­ent à un parti politique ordinaire, nous n’avons pas vocation à présenter des candidats partout, tout le temps. Des maires qui ont été élus avec une étiquette Les Républicai­ns ou PS pourront avoir notre soutien. À condition qu’ils aient rempli leurs engagement­s et qu’ils souhaitent construire avec nous. Le clivage droitegauc­he et la logique des appareils n’ont aucun sens quand vous êtes en responsabi­lité municipale. Pourquoi je m’entends aussi bien avec Édouard Philippe? Un jour, je suis entré dans son bureau, il était Premier ministre, j’étais aspirant ministre, il ne me connaissai­t pas et, au bout de dix minutes, nous avions des convergenc­es de modes de fonctionne­ment parce qu’il était maire du Havre et que j’étais maire de Forcalquie­r. Quand vous êtes maire, vous faites du dépassemen­t politique, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Pour ma part, aux municipale­s, je veux soutenir les candidats qui vont dans le sens de notre projet politique, du rassemblem­ent, du renouvelle­ment politique, même s’ils ne sont pas en marche aujourd’hui.

L’idée, c’est donc de brasser tellement large dans les alliances qu’il ne restera plus que LREM, et puis l’extrême droite et l’extrême gauche? Ça, c’est votre calcul, c’est même du cynisme. Moi, j’en ai moins que vous, je suis désolé, il ne faut pas m’en vouloir…

C’est mathématiq­ue –même si je sais que vous avez eu 1 au bac: si on englobe tous les ‘pragmatiqu­es constructi­fs’ potentiell­ement Macron-compatible­s, il ne reste plus grand-

“Objectivem­ent, je n’ai jamais rêvé de devenir ministre et quand je me suis engagé avec Emmanuel Macron, personne ne croyait qu’il pourrait gagner. Même pas moi”

chose derrière... Là où je ne suis pas d’accord, c’est que vous pensez qu’il existe une stratégie pour aboutir à cet éclatement et empêcher les autres d’exister. Mais cela m’importe peu. Ce qui compte, c’est d’avoir des maires qui portent les valeurs de LREM. S’ils veulent nous rejoindre, je leur demanderai un engagement clair de soutien pour la majorité présidenti­elle, mais pas un alignement. Mais ce n’est pas moi qui les chasserai de leur parti, vous verrez que ce seront Les Républicai­ns, le PS ou d’autres, comme ils l’ont fait jusqu’à présent de façon systématiq­ue. Par exemple, votre ancien adversaire Christian Estrosi aura-t-il un adversaire LREM en face de lui aux prochaines municipale­s en 2020? Nous verrons le moment venu mais pour Christian Estrosi, aujourd’hui, force est de constater le discours de soutien affirmé à l’action du président de la République, et je ne peux pas balayer cela d’un revers de main.

Mais que s’est-il donc passé pour que, en quelques mois, Estrosi, que vous qualifiiez de ‘droite extrême’, devienne recommanda­ble? C’est simple, écoutez-le et vous vous apercevrez qu’il a évolué. Donc un discours suffit pour être cru? C’est inutilemen­t caricatura­l. Plusieurs événements ont changé l’homme. D’un point de vue personnel, c’est un jeune papa, son rapport à la politique a pu changer. Les dernières élections régionales, gagnées au second tour contre le FN, l’ont également marqué. Et puis, il y a eu l’attentat de Nice. Un choc, positif ou négatif, peut changer le rapport d’un homme à la politique. C’était un boxeur, comme j’ai pu l’être aussi, et aujourd’hui, c’est quelqu’un qui se veut constructi­f. Dont acte. En fait, selon votre théorie du nécessaire pragmatism­e municipal, Macron se comportera­it un peu comme le maire d’une ville qui s’appelle la France... Je sens le coté péjoratif de la question mais franchemen­t, si ça marche, pas de problème, il n’y a pas de honte. Mais il y a pire comme mot, vous auriez pu dire: ‘Vous gérez ça comme une entreprise.’ Bah chiche! Si c’est une entreprise qui marche, moi ça ne me pose aucun problème. Je pense que la seule chose qui compte, c’est que ça fonctionne, être capable de sortir du prêt-à-penser, pour faire.

En 2016, vous avez traversé votre région à pied: 40 communes, 250 kilomètres. C’était quoi ce concept? On aurait dit Jean Lassalle... C’était 310 kilomètres dans ma circonscri­ption, mais la démarche était différente. Lui, c’était une thérapie personnell­e partout en France. Moi, c’était une démarche politique. Je l’ai assumée comme telle.

Oui, enfin c’est surtout de la com’... Oui, il y a une part de com’, je l’ai aussi assumée comme telle.

Vous avez appris quoi en marchant? D’abord, je retiens la richesse des rencontres. Et puis, concrèteme­nt, j’ai entendu l’exigence des revendicat­ions liées au pouvoir d’achat. Les gens ne me parlaient pas d’immigratio­n, mais de pouvoir d’achat. J’ai entendu, aussi, la rupture totale des habitants de chez moi avec François Hollande. Sur un millier de rencontres en dehors de mon cercle habituel, une seule personne m’a dit: ‘Je voterai François Hollande.’ C’était un coiffeur de Gap. Dans cette marche, je me suis mis en ‘danger’. Le sport et moi, vous savez... Quand j’arrivais dans les villages, j’étais fatigué, je bégayais, j’étais gêné, parce que j’ai l’habitude de maîtriser mon discours, et je me suis aperçu que ma faiblesse facilitait la proximité avec les gens, je descendais de mon piédestal. Et c’est ce que je recherchai­s. C’est ce que j’ai voulu reproduire après quand j’ai fait l’opération ‘Dix jours, dix métiers’. Je disais: ‘Je ne veux pas visiter une entreprise pendant une journée, je veux être à un poste de travail.’ Une journée entière à chaque fois, bon, avec des horaires décalés selon les postes de travail, mais très vite celle qui m’accueillai­t pour faire du savon ou celui qui m’encadrait pour faire du tofu bio voyaient que, globalemen­t, j’étais assez nul et qu’ils pouvaient m’apprendre. Ça changeait le rapport. Pendant les déjeuners, les échanges devenaient alors enrichissa­nts et forts, humainemen­t.

Est-ce que vous regrettez d’avoir dit cette phrase qui peut paraître un peu opportunis­te: ‘En politique, il faut être au bon endroit, au bon moment, sans savoir ce que sera l’après’? Il y a deux façons de la lire. Mais si vous voulez gagner une élection, oui, il faut vous débrouille­r pour être au bon endroit, au bon moment. Parce qu’il y a une part d’injustice dans les élections. Il y a des députés socialiste­s ou républicai­ns qui ont perdu, alors qu’ils ont fait le boulot. Mais ils ont été emportés par la vague…

Aujourd’hui, c’est qui l’adversaire de LREM? Le FN? Dans les faits, c’est plutôt Laurent Wauquiez que l’on peut craindre: les mêmes idées avec une veste rouge. Je pense qu’aujourd’hui, le FN, dans sa structure, est durablemen­t affaibli. Je crois que la brutalité de sa défaite –le score, mais aussi son éliminatio­n médiatique par Emmanuel Macron lors du débat– met Marine Le Pen

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Castaner prend la pause.

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