Black Panther
Black Panther, le premier blockbuster mettant en scène un super-héros noir, a enregistré plus de préventes que tous les autres films de super-héros. Rien de moins qu’un symbole, selon son jeune réalisateur de 31 ans, Ryan Coogler, à qui l’on doit déjà Fru
Le réalisateur Ryan Coogler explique pourquoi son film de super-héros n’est pas un film de super-héros comme les autres.
Vos films traitent souvent de la question de l’identité et de ce que c’est qu’être un homme noir. Black Panther ne déroge pas à la règle… À vrai dire, c’est une question qui m’a travaillé toute ma vie. En tout cas, depuis que j’ai découvert que j’étais ‘noir’. Donc j’ai toujours eu ça en tête, quelque part. Partout dans le monde, c’est compliqué d’être noir. Et en particulier là d’où je viens, Oakland, et aux États-unis de manière générale. C’est intéressant: vous recevez sans cesse des signaux, de la part des médias, de la société, des autres, qui vous disent qu’être afro-américain est quelque chose dont vous devriez avoir honte. Ça arrive souvent. Et je me suis toujours demandé pourquoi c’était comme ça.
Quand on vous a proposé de réaliser ce film, comment vous-êtes vous senti: flatté ou offensé? Vous voulez dire qu’on me propose de le réaliser parce que je suis noir?
Oui. Je dirais que je me suis senti flatté. En fait, j’ai plutôt apprécié le fait que les producteurs veuillent réaliser le film de ce point de vue. Mes films préférés ont été réalisés par des cinéastes qui connaissent un environnement et se le sont approprié. Des grands films comme Fish Tank d’andrea Arnold ou La Cité de Dieu de Fernando Meirelles sont comme ça. On sent que le réalisateur a un regard personnel sur ces endroits et ces groupes de gens. Donc j’étais content qu’ils s’intéressent à un cinéaste descendant d’africains.
Que représentait le personnage de Black Panther pour vous avant que vous ne réalisiez le film? Petit, j’étais fan de comics. Un jour, je suis allé dans un magasin de bandes dessinées à Oakland et j’ai cherché un super-héros qui me ressemblait. J’avais à peine 11 ans et je suis allé voir le mec au comptoir: ‘Vous avez un super-héros noir?’ Il a dit: ‘Ouais, on a Black Panther!’ Et il m’a montré le comics, m’a expliqué l’histoire, etc. Pour moi, c’était énorme. Dans les années 90, les comics étaient importants, la pop culture était partout, c’était le début des séries animées, Iron Man, X-men, Les Tortues Ninja. Mais il y avait peu de personnages noirs, et quand il y en avait un, ce n’était jamais le meilleur ni le plus fort. Or tout le monde veut un personnage auquel s’identifier, parce que ça nous renvoie une image de nousmême, de notre identité.
Le film traite aussi de transition politique. Vous avez travaillé sur le scénario pendant la campagne électorale américaine et il sort aujourd’hui, dans un climat particulier aux Étatsunis. Ce contexte vous a-t-il influencé dans votre travail? Oui, beaucoup. Pendant que l’on écrivait, on se posait des questions: quelle direction le
pays allait-il prendre? Est-ce qu’on allait vraiment basculer et retourner vers le passé, ou est-ce qu’on allait prendre une direction différente?
Selon vous, le progrès d’une société n’a rien de permanent? Je pense que ça arrive par flux et reflux. C’est assez effrayant parce qu’on a tendance à penser qu’avec le temps, les choses vont s’améliorer. Mais pas forcément. Les choses peuvent s’améliorer, elles peuvent être détournées, elles peuvent se transformer et puis on peut revenir en arrière. Ça peut aller dans toutes les directions. C’est très imprévisible. Et c’est le cas notamment pour les relations interraciales aux États-unis. C’est presque comme dans le sport: une équipe est bonne pendant cinq ans, puis elle devient nulle les cinq années suivantes.
Un mouvement comme Black Lives Matter vous a-t-il par exemple influencé dans votre manière de traiter la question de l’identité dans Black Panther? Pas nécessairement. On voulait que le film soit fondé sur quelque chose de concret, on s’est inspirés du climat ambiant, mais sans forcément penser à des mouvements ou à des évènements spécifiques. Certains parallèles avec ce qui se produit en ce moment relèvent de la coïncidence. Mais on vit une époque intéressante, de transition. Ces mouvements qui apparaissent aujourd’hui viennent selon moi du même endroit, du même sentiment: on est au coeur d’une transition générationnelle. Les millenials et les trentenaires sont en train de prendre le pouvoir à ceux qui l’avaient auparavant. Et il y a une bataille pour ce pouvoir. À ça s’ajoute une quête d’identité chez les plus jeunes. Il y a quelque temps, j’ai discuté avec George Lucas. Je lui ai demandé comment lui, Steven Spielberg et Francis Ford Coppola avaient fait pour faire carrière dans le cinéma. Il m’a dit que ça relevait de quelque chose de générationnel. Qu’ils étaient arrivés au moment où beaucoup de réalisateurs commençaient à vieillir. C’était le sens du destin: des choses allaient être transmises aux suivants, et eux étaient ces suivants-là. C’est ce qui se passe dans le monde en ce moment: il y a une transmission de la génération des baby-boomers à celle des millenials. Les premiers doivent transmettre leurs jobs, leurs sources de revenus, leurs positions de pouvoir, leurs positions politiques. Le problème, bien sûr, c’est que parfois, ils ne veulent pas les transmettre! Et ils s’y accrochent. Pas seulement en Amérique. Partout.
“Pendant que l’on écrivait, durant la campagne électorale, on se demandait quelle direction l’amérique allait prendre, si on allait vraiment retourner vers le passé”