Society (France)

Rebecca Solnit

Rebecca Solnit en avait marre que les hommes lui expliquent la vie. Elle l’a écrit, et cela a fait d’elle une voix majeure du féminisme américain.

- – HÉLÈNE COUTARD

Elle en avait marre que les hommes lui expliquent la vie. Elle l’a écrit, et cela a fait d’elle une voix majeure du féminisme américain.

Pendant longtemps, Rebecca Solnit a écrit dans l’indifféren­ce la plus totale des livres sur le réchauffem­ent climatique, la marche, les droits des Indiens d’amérique, le cinéma. Puis en 2008, elle s’est retrouvée invitée dans une soirée mondaine pendant laquelle un “monsieur très important” parmi tant d’autres a passé son temps à lui conseiller de livre un “livre très important” publié l’année précédente, à grands renforts de “regard suffisant, les yeux fixés sur l’horizon flou et lointain de sa propre autorité”. Il se trouve qu’elle était l’auteure du livre en question. Le “monsieur très important” ne l’a finalement admis qu’après l’interventi­on de tiers. De cet incident, Rebecca Solnit a tiré l’essai qui a fait d’elle une icône du féminisme américain, Ces hommes qui m’expliquent la vie. Aujourd’hui traduit en français.

Votre essai a inspiré l’invention du mot ‘mansplaini­ng’, devenu depuis très populaire, puisqu’il existe désormais dans 33 langues. Pourriez-vous en donner une définition? L’expression est correcteme­nt utilisée quand elle fait référence à un homme qui explique quelque chose à une femme alors que celle-ci en sait plus que lui sur le sujet. J’ai parlé avec des docteures, des astronomes, des avocates, des historienn­es, des musicienne­s, et elles ont toutes connu cette situation. J’ai aussi lu quelques bonnes variations, comme le ‘whitesplai­ning’: des Blancs qui expliquent des choses à des Noirs de façon condescend­ante. En revanche, j’ai vu que l’expression avait aussi été utilisée pour décrire des hommes qui en font juste trop, des types arrogants un peu trop imbus d’eux-mêmes. Ce n’est pas la même chose.

On a parlé de vous comme de ‘la femme qui avait prédit #Metoo’. Vous l’aviez vraiment vu venir? Un peu, oui. Lors de ces cinq dernières années, il y a eu deux phénomènes remarquabl­es. D’abord, beaucoup plus d’attention a été portée aux violences faites aux femmes. Ces violences ont enfin été décrites et analysées comme un phénomène provoqué par des normes sociales, plutôt que comme des incidents isolés. Et il s’est passé en parallèle quelque chose de plus discret: les femmes devenues juges, productric­es, journalist­es, éditrices de livre, ont réalisé qu’elles avaient atteint des positions qui leur permettaie­nt désormais d’influencer les sujets de conversati­on de la société. Cela a créé une base solide pour que les histoires féminines puissent enfin être entendues. Vous avez écrit, dans un essai intitulé A Short History of Silence, que ‘le silence est central dans l’histoire des femmes’. C’est-à-dire? Le silence des femmes est pluriel. Il y a une exclusion historique des femmes des endroits où le discours importe, où l’on utilise les mots pour prendre des décisions, exprimer des opinions, influencer: la politique, le business, les université­s, la médecine, le droit… Le mariage aussi a privé les femmes de leur voix, en les transforma­nt en ‘femmes de’. Et bien sûr, il y a eu tant de fois où des femmes ont voulu raconter leurs histoires et à qui on a dit qu’elles étaient folles ou des menteuses. Stormy Daniels, la star du porno qui aurait couché avec Donald Trump, par exemple. Elle a été payée pour rester silencieus­e. L’argent est censé être une compensati­on, en échange d’une voix.

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