ALLÉGORIE LEBOWSKI
Si la confrérie d’adorateurs de cet immense pilier cosmique de l’americana qu’est The Big Lebowski ne cesse de grandir au fil des ans (le Lebowski Fest, qui prépare sa seizième édition, et même une religion, le dudeisme), le peintre Joe Forkan est peut-être l’un de ceux qui a étudié le plus en profondeur l’étrange chef-d’oeuvre des frères Coen, décortiquant chaque plan pour en faire ressurgir un dialogue imaginaire entre les maîtres de la peinture baroque ou néo-classique et l’odyssée slacker du “Dude”. “En revoyant le film récemment, j’ai commencé à réfléchir à cette scène où les personnages principaux parlent très sérieusement du tapis sur lequel on a uriné et ce qu’ils comptent faire à propos de cela, explique le Californien. Je me suis demandé comment les grands maîtres de la peinture auraient traité ce sujet.” Forkan se lance donc à la recherche d’allégories émaillant ici et là l’intrigue débraillée du film afin de peindre son Lebowski Cycle, et retrouve ainsi nombre de compositions archétypales de l’histoire de l’art: Walter et le Dude enlacés après le fail de la dispersion des cendres de Donny deviennent le pendant surréel de La Lamentation de Rubens ; Smokey, le joueur de bowling pacifiste, se change en Christ arrêté selon Caravage ; et L’incrédulité de saint Thomas se transpose au comptoir d’un diner où un Walter sceptique à propos d’un orteil théoriquement coupé terrorise une serveuse. “Quand on analyse les toiles de maître, on constate que leur impact est plus souvent lié à la tension dramatique qu’elles contiennent et aux interactions entre les personnages qu’à la clarté de l’histoire qu’elles racontent. The Big Lebowski, à mon sens, fonctionne sur le même principe.” En mettant en lumière la myriade de références mythologiques qui semblent traverser la quête d’un homme pour son tapis, le peintre aurait-il percé le mystère de la fascination insensée qu’exerce le film sur la psyché collective? “Je crois surtout qu’un personnage qui veut se la couler douce en permanence est un héros dans le contexte frénétique actuel.” Fuckin’ A.