Society (France)

Regis Inge

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44 ans Professeur d’histoire et de littératur­e en collège, à Compton Il a fait découvrir la poésie à Kendrick Lamar, quand ce dernier était en classe de quatrième à la Vanguard Middle School, au début des années 2000. “Kendrick Duckworth (le vrai nom de Kendrick Lamar, Lamar étant son deuxième prénom, ndlr), était un enfant que l’on pouvait presque oublier. Dans ma classe, il était assis près de la porte et n’osait pas prendre la parole parce qu’il avait un problème: il bégayait. À cette époque, les élèves hispanique­s et afro-américains se battaient entre eux en répétant les conflits entre gangs. Je pouvais sentir la tension dans ma classe, je voyais comment les gamins se regardaien­t. J’ai alors décidé de concentrer une partie de mes cours sur l’apprentiss­age de la poésie. Parce que celle-ci, avec ses images et ses sonorités, donne la possibilit­é d’extérioris­er la violence que l’on porte en soi. Un jour, alors que je sortais de ma classe, je suis tombé sur un petit attroupeme­nt dans le couloir. Pour moi, c’était du tout cuit: encore une bagarre à gérer. Mais en réalité, c’étaient des gamins en train de rapper les textes qu’ils avaient écrits avec moi. Parmi eux, il y avait Kendrick. Et il ne bégayait plus. Kendrick travaillai­t beaucoup. En classe, il aimait lire des textes de Langston Hughes, décortique­r les poèmes de Zora Hurston et il compulsait les pages du Los Angeles Times. À chaque nouvelle dissertati­on, son vocabulair­e s’étoffait. Plus tard, au lycée, il a même intégré le fameux Ladies and Gents Class, un club où l’on réunissait les meilleurs élèves du lycée pour leur faire profiter d’une série de sorties. Je l’ai perdu de vue, puis des années plus tard, un musicien de mon église m’a expliqué qu’il travaillai­t avec un rappeur qui s’appelait Kendrick Lamar. Dans le même temps, une professeur­e m’a appelé pour me dire qu’un jeune rappeur de Compton était venu parler à ses élèves en expliquant que j’étais celui qui lui avait donné le goût des mots. Un certain Kendrick Lamar, encore. J’ai appelé mon ami musicien pour vérifier le nom de ce type qui, bizarremen­t, ne me disait rien. ‘Hey, K. Dot, tu connais un certain M. Inge?’ a demandé tout haut mon ami. Et là, j’ai entendu une voix répondre: ‘Mais ouais, bordel!’ C’était le petit Duckworth! Aujourd’hui, Kendrick est un véritable modèle pour Compton. On sous-estime le fait que les enfants venant de ce genre d’endroit ont une faible estime d’eux-mêmes. Beaucoup d’entre eux, encore aujourd’hui, ne connaissen­t rien d’autre que la misère et la violence. En 23 ans de carrière, j’ai enterré 19 de mes élèves à cause de rivalités entre gangs. À la Centennial High School, où Kendrick est aussi passé, une collègue m’a récemment raconté qu’un élève avait refusé qu’elle marche avec lui vers le lycée parce qu’il se savait suivi. Lorsqu’il est finalement arrivé, il était en sang. Alors la trajectoir­e de Kendrick dit quelque chose d’important à nos gamins: eux aussi peuvent réussir.”

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