Le coton-tige
Outragé, cerné par des détracteurs qui réinventent chaque jour la notion de roue libre, traîné dans la boue par une confrérie d’oto-rhino-laryngologistes dont le principal fait d’armes est de savoir un an à l’avance quel quidam s’assoira, à 14h30, sur le siège en face, le Cotontige vit des jours sombres. “Il repousserait le cérumen au fond du conduit auditif au lieu d’ôter cette cire naturelle”, entend-on. Il favoriserait la formation de bouchons, engendrerait des démangeaisons et pourrait même causer des pertes d’audition: il serait à bannir, ni plus ni moins.
Un constat qui laisse un goût amer dans l’oreille tant cette élégante tige de plastique coiffée d’un nuage de cellulose sait redéfinir l’exigeante notion de “plaisir simple”, transformant un banal moment salle de bains en 30 secondes d’extase, par la force d’une procédure simplissime. Il est question d’introduire lentement la tige au centre de l’orifice auditif, en évitant soigneusement les bords, d’effectuer un roulé de doigts fluide, entre pouce et index, qui masse agréablement la paroi, de flirter parfois avec la limite de profondeur (le frisson du danger) avant d’attaquer l’étape la plus satisfaisante: le récolté de cérumen, que l’on mesurera d’un oeil expert. Tout cela pour moins de 0,005 centime par procédure.
Bouc-émissaire idéal d’une époque où l’on ne peut plus rien faire, le Coton-tige doit être sauvé. Car enfin, a-t-on pensé aux gens qui n’ont pas d’auriculaire? Va-t-on devoir apprendre à vivre dans un monde où tout un chacun se met des chandelles oculaires sur l’oreille en penchant la tête comme un hurluberlu? Et enfin, peut-on avoir les chiffres exacts des morts par Coton-tige sur ces dix dernières années?
Frotteurs d’oreilles, frotteuses de conduits, ensemble, remettons le Coton-tige à l’oreille du plus grand nombre.