Society (France)

Amélie de Montchalin

- PROPOS RECUEILLIS PAR AM

Chez LREM, c’est l’étoile montante. Et ce n’est pas étonnant. À 32 ans, la députée Amélie de Montchalin est un pur produit de l’époque.

Un pupitre, un public très internatio­nal et une punchline. “J’aurais pu avoir la vie classique d’une femme du Massachuse­tts. Tu fais des études longues, tu travailles à fond pendant sept ans, t’as 38 ans, tu te trouves un mari, tu te maries, t’as 40 ans, tu fais une fille puis un garçon, tu ne travailles pas pendant cinq ans, ensuite tu montes une associatio­n, tu t’occupes des goûters d’anniversai­re, et tu deviens une soccer mum.” Amélie de Montchalin parle dans un anglais parfait devant une trentaine d’étudiantes d’harvard, inscrites au programme “From Harvard Square to the Oval Office”. Littéralem­ent, et très modestemen­t aussi, “D’harvard au bureau Ovale”. L’idée? Préparer des jeunes femmes à se lancer en politique. Ancienne élève des lieux, promo 2014, master en politique publique, la jeune députée française est assaillie de questions. “Comment se lancer en politique avec trois enfants?” “À qui parler lorsqu’on est sur le point de le faire?” “Comment être sûre que l’on est prête?” Elle raconte avoir franchi le pas en janvier 2017, en candidatan­t sur la plateforme En marche! en vue des élections législativ­es du mois de juin, et essentiell­ement en se parlant à elle-même. “Quand Macron lance son appel à candidatur­e, je me dis: ‘Si moi je ne réponds pas, je ne suis pas cohérente avec moi-même.’” Un an plus tard, devenue députée de la 6e circonscri­ption de l’essonne, la voilà étoile montante de la “Macronie”. “Je la trouve très politique et très forte techniquem­ent, elle a tout compris tout de suite”, lance Gérald Darmanin, qui la connaît bien puisqu’il a passé la fin d’année dernière à travailler avec Amélie de Montchalin sur le vote du budget, dont

elle s’est occupé en tant que chef de file des députés LREM de la comission des finances de l’assemblée nationale. Un véritable tour de force, selon le ministre du Budget: “Cette commission est la plus prestigieu­se, il faut se coltiner des poids lourds, comme Éric Woerth et Gilles Carrez, chez les Républicai­ns. On dit souvent aux nouveaux députés qu’il faut deux mandats pour y avoir droit.” Récemment, Amélie de Montchalin a même reçu le titre honorifiqu­e de “députée de l’année”, remis par un jury de journalist­es politiques. Un titre dont le palmarès comprend Laurent Fabius et Manuel Valls, mais aussi Éric Ciotti et Nadine Morano. “J’étais contente. Pendant une année, j’ai essayé de faire un truc, l’effort est reconnu.” Quoi d’autre? Même Les Insoumis ont leur mot à dire: “C’est l’une des députés les plus en vue mais ce n’est pas difficile de se distinguer dans cette majorité”, s’amuse le député Éric Coquerel. Jean-luc Mélenchon, aussi, l’a à la bonne, et prend un malin plaisir à la taquiner dans les couloirs, sourire aux lèvres. “Je vous ai à l’oeil”, lui lance-t-il parfois, quand il ne la nomme pas sa “successeus­e” en prenant à partie les gens qui passent par là, parce que De Montchalin est élue à Massy, dans l’essonne, là où tout a commencé pour le leader des Insoumis. “On aime bien débattre, explique-t-elle. Un jour, on parle de dette publique, on a un vrai échange, argument contre argument, on fait tous les deux un peu de chemin vers l’autre et là il s’arrête brutalemen­t et me dit: ‘Attendez, faut pas croire qu’on est d’accord, il y a une grande différence entre vous et moi. Je suis un révolution­naire et vous n’en êtes pas une.’ Fin de la conversati­on.”

De droite, “quand même”

Mais pourquoi elle, au milieu des 314 députés LREM? Vue de loin, Amélie de Montchalin est une fille de bonne famille au CV parfait: HEC, Dauphine, la Sorbonne, Harvard, Axa et la BNP. Sauf que c’est un peu plus compliqué que ça. La jeune femme, 32 ans, prévient qu’elle a longtemps tourné autour de la politique “sans trouver la porte d’entrée”, dégoûtée par “la politique à l’ancienne”, les réunions de section, les marchés, les postures, les vieilles recettes de campagne, le mentor à tuer. “J’ai eu mes enfants à 24 ans, j’avais autre chose à faire.” Du coup, elle a fait autre chose. Elle a bossé sur la crise économique pour la BNP, en tant qu’“adjointe du directeur de la stratégie. Un homme, évidemment”. Mais à 28 ans, le grand doute. “Ma question, c’était: ‘Comment tu passes de la fille qui fait les notes et les discours à quelqu’un d’autre?’” Ni une ni deux, Amélie de Montchalin, jamais encartée, file à Harvard, la meilleure université du monde. Elle y croise Michael Ignatieff, ancien chef du Parti libéral canadien, qui lui dit ceci: “La politique n’est pas une fin en soi. Tu y vas pour faire quelque chose.” Un conseil assez “anglo-saxon”, finalement très éloigné de la culture politique française aux carrières interminab­les. “En France, si une grosse défaite arrive, il reste toujours une bonne traversée du désert pour rebondir”, rigole-telle. En somme, De Montchalin, c’est le fantasme de l’époque: une politique qui n’a jamais percé dans l’ancien monde, avec un regard neuf sur des vieilles questions qui n’ont jamais été réglées. Mais avec des conviction­s politiques mouvantes. Ses détracteur­s ou anciens collègues rappellent ainsi que, malgré l’étiquette En marche!, elle est “quand même de droite”. À 22 ans, De Montchalin a d’ailleurs effectué un stage à l’assemblée nationale auprès de la jeune députée Valérie Pécresse. “J’écrivais des courriers, j’essayais de comprendre comment ça marche.” Pendant des années, ensuite, elle envoie des notes à Bruno Le Maire, Jean-pierre Raffarin et Éric Woerth comme des bouteilles à la mer, restées sans réponse. À son retour d’harvard, elle navigue dans les réseaux de la droite juppéiste. À la Boîte à idées, notamment, un think tank censé alimenter en idées le maire de Bordeaux. “Elle a travaillé avec nous sur la question du financemen­t de l’économie. Elle était

“On s’en moque de savoir que j’écoute de l’électro

mainstream et que j’aime inviter des gens à dîner, non?”

plutôt en second rideau et s’est bien investie jusqu’en novembre 2016, lorsqu’on a perdu”, restitue Olivier Bouet, qui était de l’aventure. Si elle affirme aujourd’hui qu’elle n’a jamais souhaité travailler pour François Fillon après la primaire de la droite et du centre –“La purge, les 500 000 fonctionna­ires en moins, c’est l’antithèse de ce en quoi je crois”–, Amélie De Montchalin aurait bien tenté le coup, en réalité. “Je sais qu’elle s’était manifestée pour être dans les groupes de travail de Fillon en janvier, ça n’a pas dû donner grand-chose”, ajoute Olivier Bouet. Aujourd’hui, la députée se revendique plutôt de “centre droit, européenne, réformiste, humaniste”. Et aime raconter que son déclic politique est arrivé à l’âge de 10 ans, lorsque “papa” l’a accompagné­e, en 1995, aux 50 ans de l’armistice de la Seconde Guerre mondiale. La famille habite alors à Calais, après Lyon et Provins, et avant le Brésil, la République tchèque, Versailles ou encore Atlanta. “Papa” a un grand poste chez Danone et la famille déménage au grès de ses mutations. Ce jour-là, la sous-préfète lit le discours de Chirac, tout juste élu président. “Ça parlait d’europe et de paix. Je vois tout ça avec mes yeux de petite fille, je me retourne vers mon père et lui dis: ‘Ce que je veux faire dans la vie, c’est son métier à cette dame, là.’” Chacun ses idoles de jeunesse.

Vingt-trois ans plus tard, elle cite John Fitzgerald Kennedy en se promenant sur le campus d’harvard. Sur toutes les portes de la Harvard Kennedy School, il est écrit cette fameuse phrase de JFK: “Ask what you can do”, qui est en réalité une contractio­n de “Ask not what your country can do for you, ask what you can do for your country”. “Cette phrase a beaucoup résonné dans ma tête”, glisse-t-elle. En janvier dernier, lors de ses voeux, Macron l’a reprise dans son discours. “C’est très En marche! comme philosophi­e. C’est ce que l’on a fait pendant la campagne avec les comités, les réunions thématique­s, les diagnostic­s, les questionna­ires, on a mobilisé la société. Si on continue à piloter la France par le haut, on n’ira nulle part.” D’ailleurs, elle a repris ce slogan pour l’inscrire sur sa permanence, à sa façon. “La transforma­tion de notre pays et de notre territoire ne sera un succès que si chacun y participe pleinement”, peut-on lire dans les rues de Massy, pas loin du plateau de Saclay, d’où sa famille est originaire. Dans les rues d’harvard Square, De Montchalin s’arrête à un feu et reprend le fil de sa pensée: “Mettre en mouvement la société, c’est aussi ce qu’a fait Obama pour être élu en 2008 et 2012. Il a réussi à mobiliser des gens qui n’étaient jamais allés à un meeting politique, des associatio­ns, des collectifs, des communauté­s. Les argumentai­res étaient libres, et tout le monde pouvait faire campagne sans être forcément militant.” La gauche de gouverneme­nt a perdu ses symboles, voilà qu’ils sont récupérés par une catholique de bonne famille issue de la droite. Drôle d’époque.

L’ère de la techno

Amélie de Montchalin monte maintenant dans la voiture avec le chauffeur du consul, on l’attend au Massachuse­tts Institute of Technology, à quelques miles de là. La deuxième bande-son de Laurent Wauquiez enregistré­e lors de son cours à L’EM Lyon vient de sortir sur les réseaux sociaux. Elle pianote sur son portable et s’amuse des réactions sur Twitter. “Tiens, Dominique Bussereau quitte les Républicai­ns.” Elle reçoit un texto d’un jeune député proche du président du parti de droite, qui s’interroge: “Je peux demander l’asile politique?” Dans sa relation aux journalist­es, aux médias, De Montchalin dit encore apprendre. Elle a en tête cette interview donnée à Libération début janvier dans laquelle elle détaillait sa vision du nouveau budget. Il restera un titre –“Nous avons fait notre boulot de députés, il n’y a plus D’ISF”–, une photo d’elle où elle gravit des marches en souriant un peu bêtement et un torrent d’insultes sur les réseaux sociaux. “Dommage, l’interview était bien. Avec le titre et la photo, c’est vrai que le symbole est compliqué.” En revanche, elle ne renie absolument pas ses propos: pour elle, L’ISF est le parfait symbole des atermoieme­nts passés de l’assemblée et du vieux clivage stérile droite-gauche. “On a un débat passionné mais mauvais, dit-elle. Les questions sont: est-ce qu’il y a assez d’investisse­ments dans les PME? Est-ce que les entreprene­urs ont les incitation­s pour grandir? Débattre seulement de L’ISF comme d’un symbole, c’est une méthode de contournem­ent. On ne parle pas de ce qui compte, à savoir la méthode. Ça ne sert à rien de faire des programmes magnifique­s si tu ne réfléchis pas à comment tu veux faire pour que le changement se passe. Avec la loi travail, on nous promettait un pays bloqué, on a concerté et ça s’est bien passé.” Voilà qui est dit. Comme Macron, De Montchalin a été formée intellectu­ellement par des jésuites, dont la doctrine dit qu’“il n’y a pas de réflexe face à un problème complexe, tout se réfléchit, toute décision implique un renoncemen­t”. Elle est contente de sa démonstrat­ion. Fini les grands récits collectifs, la politique symbole. Avec De Montchalin, la politique en 2018 sera celle des technos, du juste choix, du volontaris­me, ou ne sera pas. Et les conviction­s intimes dans tout ça? Après tout, De Montchalin habite le XVIE arrondisse­ment, va à la messe, baptise ses enfants, mais “on s’en fout”, dit-elle. “Dans ma vie perso, sur L’IVG, j’ai fait des choix avec mon mari, mais en tant que politique, on doit réfléchir à une vie sociale cohérente, apaisée, où chacun peut s’épanouir.” De Montchalin rejette la personnali­sation de la vie politique. “On s’en moque de savoir que j’écoute de l’électro mainstream et que j’aime inviter des gens à dîner, non?”

Au MIT, De Montchalin doit rencontrer Johannes Fruehauf, un homme qui pèse plusieurs milliards de dollars et possède neuf incubateur­s de start-up entre Princeton et Palo Alto. Il lui détaille son business model. “Depuis 2014, les entreprise­s qui sont passées par cet endroit ont réussi à capter 1,6 milliard de dollars d’investisse­ments pour grossir. En France, tout le projet avec les députés de la commission des finances pour développer les PME, c’est cinq milliards d’euros. En termes d’échelle, c’est fou.” La députée s’agace en apprenant que l’homme veut investir en France et qu’on ne lui a pas encore déroulé le tapis rouge. Elle le ferait bien venir sur le super campus en projet dans sa circonscri­ption, qui devrait mélanger un jour Polytechni­que, HEC et Supélec. Il faut dire que l’investisse­ment dans le financemen­t de l’économie est son grand sujet. En janvier, elle a ainsi organisé à l’assemblée nationale les grands rendez-vous de l’investisse­ment productif avec Bruno Le Maire, le même jour où Macron organisait son raout à Versailles avec 140 grands chefs d’entreprise. Bon timing. “Je ne savais même pas que le président préparait quelque chose ce jour-là”, assure-t-elle, en souriant. Amélie de Montchalin goûte visiblemen­t cette soudaine hype. En novembre dernier, son nom a même circulé pour un ministère. Elle confie qu’elle a eu des échanges à ce sujet “avec Édouard Philippe pour être secrétaire d’état auprès de Bruno Le Maire, mais on a pensé que ce n’était pas le bon moment au milieu du vote du budget”. Darmanin acquiesce: “Je ne serais pas surpris qu’elle le soit rapidement.” À sa place, au Budget? “Elle ne dépareille­rait pas. Je n’ai pas peur de la concurrenc­e, vous savez. Je pourrais être ministre d’autre chose”, envisage déjà celui qui doit répondre actuelleme­nt de ses actes devant la justice dans une affaire “d’abus de faiblesse”. En attendant, un énième rendez-vous attend la députée dans le bureau du président d’harvard, pour causer cette fois transfert de technologi­es entre université­s et secteur privé. Sur les murs, des clichés de tous les plus grands diplômés: Bill Gates, Vaclav Havel, Mark Zuckerberg, George Bush, Barack Obama. Se verrait-elle un jour en photo parmi ces anciens élèves? “Pour ça, il faudrait devenir présidente, ce n’est pas pour tout de suite.” Elle réfléchit pour ne pas dire de bêtise. “Il faut

même.”•tous rester humble, quand

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