Society (France)

Une affaire de famille

Ils ont grandi ensemble dans un quartier pauvre d’amsterdam, sous les coups d’un père alcoolique. Il est devenu “Le Nez”, mafieux à la tête d’un empire criminel, elle est devenue avocate. Il a terrorisé sa propre famille pendant 40 ans et fait assassiner

- PAR HÉLÈNE COUTARD, À AMSTERDAM

Au fond d’une longue salle remplie de livres quelque part dans la banlieue d’amsterdam, Astrid essuie quelques larmes. Ce ne sont pas les premières de la journée. “Wim” sait tout. Il sait pour les enregistre­ments, il sait pour la police, le livre et les 40 témoignage­s à charge. Il sait depuis deux ans. Et si lui, Willem Holleeder à l’état civil, le célèbre kidnappeur de Freddy Heineken devenu l’un des criminels les plus redoutable­s des Pays-bas, risque aujourd’hui la prison à vie, c’est de sa faute à elle, Astrid Holleeder. Sa petite soeur. Celle qui, après avoir partagé sa vie de souffrance, de paria et de criminel, a envisagé de le tuer, puis a fini par enregistre­r l’ensemble de leurs conversati­ons privées pendant deux ans, avant de les livrer à la justice et de tout raconter dans un livre, Judas, vendu à 500 000 exemplaire­s au Paysbas et qui vient de sortir en France. Astrid, sa confidente, sa soeur ; et son Judas, donc. Astrid essuie une nouvelle larme. Elle dit qu’elle n’a jamais vu Le Parrain, que cela ne l’intéresse pas. “J’ai toujours évité ces films car pour moi, ce n’était pas de la fiction”, explique-t-elle tristement. C’est un matin de février. Amsterdam s’installe dans le froid. Astrid Holleeder, veste cintrée et pantalon noir, est venue avec des pâtisserie­s. Elle boit du thé vert. Ses yeux bleus perçants s’embuent régulièrem­ent, sa voix se brise, mais elle tient à raconter son histoire: c’est son occupation principale depuis un an et demi et la publicatio­n de Judas. “Ces films de mafia romancent les relations dans ce genre de famille, les valeurs, les codes d’honneur, reprend-elle. Mon frère a fait tuer mon beau-frère, qui était son meilleur ami. Il n’y a rien de romantique là-dedans.” Pourtant, c’est bien Michael Corleone qu’elle cite sans le savoir lorsqu’elle raconte comment elle n’a jamais réussi à fuir sa famille et le funeste destin qui l’entoure. “À chaque fois que j’ai essayé de m’éloigner, ils m’ont rattrapée.”

Dans les années 60, les Holleeder vivaient dans le quartier du Jordaan, là où se serrent les traditionn­elles maisons hautes en briques rouges d’amsterdam, les ponts ornés de tulipes, les péniches romantique­s. Si aujourd’hui le quartier est le plus branché de la capitale, le plus cher aussi, le Jordaan était nettement moins bucolique lorsqu’astrid y est née en 1965. “C’était un quartier très pauvre, mais c’était un genre de sous-culture. Les enfants considérai­ent les voisins comme des tantes ou des oncles, les gens étaient ouverts, c’était une grande famille de petits criminels. Tout le monde faisait quelque chose de mal, mais tant que c’était pour survivre, c’était normal.” Là vivent les parents Holleeder, une mère soumise et terrorisée par un mari violent, puis quatre enfants tout aussi effrayés: Willem, l’aîné, Sonja, Gerard et Astrid. La règle élémentair­e de survie est de ne pas attirer l’attention du père. Willem senior travaille à l’usine Heineken et abuse des rabais sur la bière. Lorsque Astrid a 16 ans, sa mère embarque ses enfants avec elle et fuit l’enfer. Trop tard. La violence les a déjà contaminés. Durant les trois années précédente­s, Astrid a caché un large couteau de cuisine sous son oreiller, en prévision du moment où elle assassiner­ait son père. “Quand j’ai commencé à voir ma psy, la violence me faisait sourire, explique-t-elle aujourd’hui. C’était normal, c’était drôle. C’est elle qui m’a dit que ce n’était pas normal. Chez moi, c’était: ‘Si tu es sur mon chemin, je te pousse, si tu es méchant, je serai encore plus méchante.’ Et on ne disait jamais pardon.” Adulte, Astrid ne supporte pas les vacances. “La pire chose que vous

pouvez me demander, c’est de me détendre.” Après avoir grandi “sur le qui-vive”, elle n’est plus capable de vivre sans cette tension permanente, “ce stress incessant qui façonne l’esprit, les sens, les émotions”. Sa soeur et ses frères se sont construits à l’identique. “Wim a trouvé un nouveau chez lui dans le monde de la pègre, dans lequel il pouvait répéter à souhait le stress, les agressions et la violence auxquels il était habitué”, analyse-t-elle. Sonja, elle aussi, a reproduit ce qu’elle connaît: jeune adulte, elle tombe amoureuse de Cor van Hout, un homme certes plus amical et amusant que son père ou son frère, mais tout aussi dominant, violent et alcoolique. Gerard, plus discret, est lui “passé d’un père dominant à une femme dominante qui lui fait peur”. Et Astrid? “Souvent dans ma vie, j’ai pensé à tuer, avouet-elle. Mes relations avec les hommes sont très compliquée­s car je les provoque pour reproduire le schéma que j’ai connu.” Le père Holleeder est mort quand elle avait 25 ans. “Mais aujourd’hui encore, je n’ose même pas aller sur sa tombe parce que j’ai l’impression qu’il va en sortir et m’emporter avec lui.” Si en 2018, Astrid pense toujours qu’un homme tout-puissant peut contrôler sa vie, c’est que son calvaire ne s’est pas arrêté avec son père. “Rien n’a changé, puisqu’à la place de notre père, nous avions Wim, dit-elle. La pression s’est déplacée. Mais elle est restée la même.” Elle fixe un instant le vide. “Regardez-moi… Je suis devenue avocate, je suis une femme de 53 ans, et ma vie est encore totalement et compléteme­nt dictée par mon grand frère.”

“C’était nous contre le monde entier”

En 1983, lorsqu’elle a 17 ans, le nom Holleeder ne représente plus seulement son enfer personnel ; il devient une honte nationale. Un soir où Astrid dort chez sa soeur avec la petite fille que Sonja a eue avec Cor, six policiers surarmés défoncent la porte et pointent leur arme sur elles. Ils veulent savoir où est Cor. “Ma vie a changé cette nuit-là”, affirme-t-elle 35 ans plus tard. Après deux nuits au commissari­at et un interrogat­oire sans avocat, Astrid est libérée. Elle ne le sait pas encore, mais toute sa famille a été arrêtée. Willem et Cor, avec trois autres complices, sont recherchés pour l’enlèvement de Freddy Heineken, l’héritier de la célèbre marque de bière. Avec son chauffeur, ils seront séquestrés et enchaînés pendant trois semaines dans l’attente d’une rançon de 35 millions de florins néerlandai­s (environ seize millions d’euros). Les coupables seront condamnés à onze ans de prison, mais un cinquième du butin ne sera jamais retrouvé. Pourquoi Willem a-t-il décidé d’enlever l’ancien employeur de son père? “Ce qu’il voulait, c’était de l’argent, mais j’ai du mal à croire que Wim n’ait pas délibéréme­nt choisi Heineken, pointe Astrid. Il dit que non, mais il n’a jamais su analyser ce qui se passe dans son coeur.” L’enlèvement fait la une de tous les journaux pendant des semaines. “À partir de ce jour-là, s’appeler Holleeder est devenu un terrible poids, rejoue Astrid. À chaque fois que l’on m’appelait par mon nom en public, tout le monde se retournait. Nous étions des pestiférés. C’était nous contre le monde entier. Nous nous sommes retrouvés coincés ensemble, comme des animaux dans une cage.” La vie s’organise ainsi au service des hommes en prison, en autarcie par rapport à la société. Wille et Cor sortent en 1992, devenus des poids lourds du crime. Ils ont réinvesti l’argent d’heineken dans diverses entreprise­s douteuses –de jeux, de prostituti­on– et dirigent un empire criminel qui escroque, vole et tue. “Nous étions sa possession, pose Astrid en parlant de son frère. Il était considéré comme parfaiteme­nt normal qu’il nous réveille à 3h du matin pour nous demander de sortir, de parler avec lui, de lui rendre un service.” Entre 2004 et 2012, la justice retrouvera la trace d’environ deux appels par jour de Willem à Astrid. “Et ça, c’était juste les moments où il m’appelait, ajoute-t-elle. Nous avions aussi des bippers, il passait chez moi ou à mon bureau, il demandait à d’autres gens de m’appeler et de me faire venir.” Willem est prudent et paranoïaqu­e. Il faut parler dans la rue, allumer la machine à laver ou la radio pour couvrir les voix, “mais surtout, nous nous parlions avec les mains, les yeux, avec des codes… Quand ma mère me demandait de venir prendre le thé, par exemple, c’est qu’il y avait un problème avec Wim”. Tous les membres Holleeder apprennent comment faire pour s’assurer que personne ne les suive en voiture. “Ne jamais mettre son clignotant pour ne pas indiquer où l’on va. Ne jamais monter dans un véhicule sans regarder autour. Toujours laisser de la place pour faire demi-tour en urgence. Toujours surveiller les motos…” Ne jamais avoir d’habitudes traçables et, surtout, ne pas boire. “Quand vous buvez, vous parlez. Nous ne pouvions pas nous permettre de perdre le contrôle.” Souvent, Astrid Holleeder pense à ce qui se serait passé si elle avait été un homme. “J’ai réalisé très tôt qu’être une femme dans mon milieu, ce n’était pas désirable. Je voyais ma mère soumise, battue, parce qu’elle était une femme. Moi, je voulais être un garçon. Je ne voulais pas porter de robe, je ne voulais pas me coiffer, j’avais envie de faire tout ce que je veux, comme mon frère. Aujourd’hui encore, je ne fais pas la cuisine, le ménage. Tout ça me renvoie trop au destin de ma mère.” Dans le Jordaan de son enfance, après le collège, les filles vont généraleme­nt dans un lycée “où l’on apprend la couture”. Mais le professeur d’astrid insiste pour qu’elle aille au lycée général. “Avoir été bonne à l’école, c’est ce qui m’a sauvée, c’était la seule solution”, dit-elle avec le recul. À la maison, ce succès scolaire impression­ne peu –“De toute façon, j’étais une fille, donc j’étais une pute.” Elle parviendra néanmoins à devenir avocate. Dans le choix des hommes de sa vie, Astrid cherche encore et toujours à s’échapper: elle rencontre le père de sa fille très jeune, il a 20 ans de plus, est artiste, dans la lune, inoffensif. “Dans ma famille, nous ne parlions que d’argent et de matériel, lui s’en fichait. Il m’a permis de grandir, de faire des études, et même si ça ne s’est pas bien fini, je lui serai toujours reconnaiss­ante pour ça. Il me trompait, mais je ne le savais pas et j’étais heureuse: il ne me battait pas, donc pour moi, c’était un homme meilleur que tous ceux que j’avais connus jusque là.” Des années plus tard, Astrid rencontre quelqu’un d’autre, un ex-policier devenu avocat, comme elle. Ils envisagent de tout quitter ensemble, d’emménager dans une ferme, en France. “J’adorais cet endroit, nous y allions souvent. Mais avec mon travail, je ne savais pas comment tout abandonner. Et puis j’avais ma soeur, ma mère, ma fille. Émotionnel­lement, je ne pouvais pas partir.” Puis, le 24 janvier 2003, le vague équilibre de la vie d’astrid s’effondre: Cor van Hout, son beau-frère, est assassiné. Sa soeur Sonja se retrouve seule. La vérité ne tarde pas à éclater: le commandita­ire du meurtre n’est autre que Willem Holleeder. “Après ça, j’ai choisi d’être auprès de ma soeur, de ma famille, plutôt que de mon petit ami, de moi-même. Encore”, soupire-t-elle. Après 2003, Willem n’a qu’une obsession: récupérer l’héritage de Cor. Pour cela, il menace de faire assassiner Sonja, d’éliminer ses enfants. Si Willem fait des allers-retours en prison pour extorsion, la justice n’a jamais assez de preuves pour le condamner pour meurtre. L’idée qu’il ne paie jamais pour celui de Cor est insupporta­ble pour Sonja et Astrid. Alors, les femmes Holleeder –les deux soeurs, avec l’accord de leur mère et de Sandra, l’une des maîtresses de Willem– décident de s’unir pour le faire tomber. En 2013, Astrid prend un premier rendez-vous avec la police. “Cela a été atroce pour moi, se souvient-elle.

“Je voyais ma mère soumise, battue, parce qu’elle était une femme. Moi, je voulais être un garçon. Je ne voulais pas porter de robe, je ne voulais pas me coiffer, je voulais pouvoir faire tout ce que je voulais, comme mon frère”

Dans le milieu criminel, on ne parle pas. C’est le baromètre pour définir les gens bien et les mauvais: si tu ne parles pas, si tu vas en prison sans rien dire, alors tu es quelqu’un de bien. La première fois que j’ai parlé, j’ai été malade pendant des jours.” Finalement, elle accepte, à l’aide d’un micro caché et d’un peu de couture, d’enregistre­r toutes ses conversati­ons avec son frère.

Procès et menaces

“La seule raison pour laquelle tu es toujours en vie, c’est que tu veux nous prendre la nôtre. Malgré cette certitude, Wim, je t’aime toujours.” C’est sur ces mots que s’achève Judas, le livre d’astrid. Quand elle a commencé à l’écrire, Wim était déjà en prison: un autre témoignage l’y avait mené, mais ce sont ceux d’astrid et de Sonja qui ont fait qu’il y est resté. Les représaill­es n’ont pas tardé: vite, Willem fait savoir à l’extérieur qu’il a mis la tête de ses soeurs à prix. “Quand nos témoignage­s ont été utilisés, nous avons été placées sous protection, explique Astrid. Je ne pouvais plus travailler, je n’avais plus rien à faire. Aujourd’hui, à cause de lui, je ne peux plus sortir de chez moi, je n’ai plus de travail, plus de vie. Et même cette vie-là, il veut me l’enlever en me tuant.” C’est à ce moment qu’elle commence à rédiger ce qui deviendra Judas. “Je n’avais jamais rien dit à ma fille sur mon enfance, mais il était temps de lui raconter comment nous avions grandi et pourquoi nous en étions arrivées là, car maintenant que nous étions tous en danger, cela la concernait aussi. Alors, je me suis mise à écrire notre histoire.” Astrid Holleeder dit qu’elle n’a jamais pensé que “cela intéresser­ait les gens”. Mais les 80 000 exemplaire­s mis en place le jour de la sortie, et édités dans le plus grand secret, se vendent en quelques heures. Non seulement Judas devient un best-seller, mais il constitue aussi une pièce à part entière du dossier contre Willem. “Le livre explique Wim, il est utile pour le procès, reconnaît Astrid. Un ami m’a dit: ‘Si tu ne l’avais pas écrit, il s’en serait sûrement encore sorti.’” Astrid Holleeder peut bien parler de sa fille, de la justice, de son besoin d’écrire, impossible de nier que Judas est, avant tout, une justificat­ion de 500 pages destinée à son frère. “J’espérais qu’il le lise, admet-elle en attrapant un mouchoir. Et je sais qu’il l’a lu, puisque ses avocats ont répondu. Il peut dire que ce ne sont que des mensonges tant qu’il veut, mais je sais ce que nous avons vécu ensemble.” Elle marque une pause, émue. “Cela a dû être très dur pour lui de revivre tout ça.”

Le procès de Willem a commencé le 5 février. Le matin du 12 mars, Astrid a eu une inflammati­on de l’épaule. Elle en était ravie. “Ça tombait bien, j’étais un peu à l’ouest à cause des médicament­s, ça m’a empêché de stresser.” Ce jour-là, elle devait témoigner au “Bunker”, le surnom donné au tribunal d’amsterdam dans le quartier d’osdorp. Devant le carré de briques marron, une file de gens s’est formée, curieux de voir la

“Il mérite de mourir pour ce qu’il a fait à notre famille, et je mérite de mourir pour ce que je lui ai fait. Entretuons-nous et mettons un terme à tout ça”

célébrité qu’est devenue la soeur Holleeder. Lors du procès, elle était dans un box, lui dans un autre. Willem n’avait pas le droit de parler, il ne pouvait la voir ni lui faire des signes. “Sinon, je n’aurais pas été capable de témoigner, j’aurais eu trop peur”, avoue-t-elle. Au tribunal, Willem s’est efforcé de convaincre l’assistance qu’astrid ne cherche qu’à récupérer l’héritage de Cor à

son compte. Celle-ci hausse les épaules. “Honnêtemen­t, parfois cela m’énerve, je me dis: ‘Sérieuseme­nt, Wim?’ Mais avec le livre et maintenant le procès, cela fait tellement longtemps que je l’accuse, que je l’enfonce. Il mérite ce moment où il peut me dénigrer à son tour. Je veux qu’il puisse se défendre.” À la barre, sachant son frère tout près, Astrid a lutté avec ses émotions. “Pourquoi vous pleurez?” lui a demandé la juge à un moment. “Parce que je sais que c’est fini pour lui”, a-t-elle répondu. Face à la cour, elle a expliqué pourquoi elle a trahi, comment Sonja a essayé de protéger l’argent de Cor, comment Wim a gâché sa vie. Mais elle n’a pas dit à la juge que toutes les nuits, désormais, elle regrette de ne pas avoir tué son frère. C’était il y a quelques années. Elle était affolée que Willem puisse découvrir qu’elle collaborai­t avec la justice, mais déçue que son témoignage n’ait pas encore porté ses fruits. “Si je l’avais fait à l’époque, j’aurais fait entre cinq et dix ans de prison, je serais sortie et j’aurais eu une nouvelle vie, soupèse-t-elle aujourd’hui. Là, c’est dur de le voir au tribunal, luttant pour sa vie… Parfois, je me dis que le tuer l’aurait libéré de sa souffrance.” Parfois aussi, Astrid voudrait qu’on l’enferme dans une pièce avec son frère pour qu’ils en “finissent” tous les deux: “Il mérite de mourir pour ce qu’il a fait à notre famille, et je mérite de mourir pour ce que je lui ai fait. Entretuons-nous et mettons un terme à tout ça.” Mais Astrid n’a pas tué Wim. Même si lui veut la tuer. Toute sa vie, Astrid a été prête à 6h30 au cas où Wim débarque. Désormais, elle se lève à 8h et s’ennuie. Sa fille ne sait pas où elle vit, et ses petits-enfants commencent à poser des questions: “Pourquoi on parle de toi à la télé?”, “Pourquoi on ne peut pas venir chez toi?” Pour le reste, sa vie n’est pas tellement différente de celle d’une criminelle: elle se cache, se déguise, choisit toujours l’endroit de la pièce d’où elle peut tout surveiller, ne sort jamais sans son gilet pare-balles, ne donne pas de rendez-vous à l’avance. “Il sait que je sais, dit-elle à propos de son frère. Alors, je m’attends à tout.” Enfermée chez elle, Astrid a le temps de penser aux différente­s façons de mourir. “J’ai plus ou moins fait la paix avec l’idée que l’on me tire dessus et que je meure, mais j’ai très peur de deux choses: qu’il s’en prenne à ma famille, et qu’il me fasse torturer.” Mais la question qui la hante plus que tout est encore la suivante: qui être lorsqu’on vous a tout enlevé? “Parfois, je regrette de l’avoir dénoncé, car je ne peux plus être une mère, une grand-mère ou une avocate, dit-elle. Sans mon environnem­ent, je ne suis plus que ce procès… Et après? Sans cette tension, je ne saurais plus qui je suis ni comment vivre. Il faudra que je trouve une autre source de stress, sinon je risque de me jeter du haut d’une falaise.” À 53 ans, Astrid Holleeder est à nouveau réduite à sa famille et à l’endroit d’où elle vient. Elle le sait. Et au fond, sur elle-même, elle dit qu’elle n’est sûre que d’une chose: “Parce que je suis née femme, j’ai dû me servir de mon intelligen­ce plutôt que de la force. J’ai choisi d’être quelqu’un de bien. Mais je sais qui je suis et qui j’aurais pu être. Cela tient à peu

WIM.”•TOUS de choses. Si j’avais été un garçon, j’aurais été PROPOS RECUEILLIS PAR HC

 ??  ?? 1996. Cor et Wim à l’hôtel en vacances.
1996. Cor et Wim à l’hôtel en vacances.
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Astrid en 1970.
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Astrid avec Frannie, en 1983.
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