Society (France)

Escapades

Esther Perel a rencontré des milliers de couples. Des États-unis à l’inde en passant par le Brésil, la sexologue belge a recueilli autant d’histoires, aujourd’hui rassemblée­s dans son livre, Je t’aime, je te trompe. Attention, résultats étonnants.

- – LUCAS MINISINI

Esther Perel a rencontré des milliers de couples pour parler infidélité. Et elle a appris plein de choses.

Votre livre évoque beaucoup le thème de l’infidélité, tout comme votre podcast aux plus de cinq millions d’écoutes, Where Should We Begin. Pourquoi avez-vous décidé d’étudier le couple sous cet angle? J’ai fait l’expérience, et je peux vous dire que si vous demandez à un public de 4 000 personnes ‘Qui a été touché par l’infidélité dans sa vie?’, 90% des gens lèvent le doigt. Soit parce qu’ils sont l’enfant d’un parent qui est tombé amoureux de quelqu’un d’autre ou qui a trompé, un enfant adultérin, l’ami(e) sur l’épaule de qui quelqu’un pleure depuis un certain temps ou le(a) confident(e) de quelqu’un en train de vivre une grande passion ; soit, tout simplement, parce qu’ils font partie des trois personnage­s principaux du triangle amoureux constitué par l’infidélité. Cela prouve que ce n’est pas juste quelque chose qui arrive aux autres, mais que c’est un phénomène intergénér­ationnel et systémique. Et ce n’est même pas vraiment un problème de couple!

Comment ça? L’infidélité a toujours existé, parce que traditionn­ellement, le couple n’était pas censé amener la passion, le désir ni même l’amour. Le couple était une relation économique, pratique. Donc on allait chercher le reste ailleurs. Aujourd’hui, on va voir ailleurs parce que notre couple ne nous offre pas forcément la passion, l’amour ni le désir qu’il nous a promis. Les attentes du couple sont arrivées à un paroxysme extraordin­aire. On n’avait jamais attendu de son(sa) partenaire qu’il(elle) soit à la fois un(e) meilleur(e) ami(e), un(e) confident(e), un(e) amant(e) puis un coparent et un soutien économique. À notre époque, on demande à une personne de nous donner ce qu’un village tout entier nous offrait il y a plusieurs génération­s.

Existe-t-il des chiffres précis sur l’infidélité? La définition de l’infidélité n’est pas évidente à établir. Si on demande: ‘Avez-vous eu des rapports sexuels avec quelqu’un d’autre que votre partenaire au cours des douze derniers mois?’, on se retrouve dans la définition de Bill Clinton. Mais où commence le sexe? Est-ce que l’infidélité, ça ne serait pas aussi de rester inscrit(e) sur des applicatio­ns de rencontre alors qu’on voit quelqu’un, ou de chercher à retrouver ses ex sur Facebook, passer son temps sur des chats porno, aller voir des prostituée­s? La définition n’arrête pas de s’élargir. Les études expliquent qu’il y a entre 33 et 70% des hommes qui ont déjà trompé leur partenaire. Pour les femmes, la fourchette est presque la même.

“Le taux d’infidélité des femmes a augmenté de 40%, alors que celui des hommes n’a pas bougé. Cela montre qu’ils ont perdu le privilège de pouvoir faire tout ce qu’ils veulent”

À l’heure du mouvement #Metoo, voyez-vous des évolutions dans le comporteme­nt des hommes et des femmes vis-à-vis de l’infidélité? Le taux d’infidélité des femmes aurait augmenté d’environ 40% ces dernières années alors que celui des hommes n’a pas du tout bougé. Cela montre qu’ils ont un petit peu perdu le privilège de pouvoir faire tout ce qu’ils veulent. Longtemps, on a avancé toutes sortes de théories évolutionn­istes et biologique­s pour soutenir l’idée que les hommes ne sont pas monogames par nature. Mais en Occident, on se rend bien compte que les femmes agissent aujourd’hui exactement de la même manière. Cela correspond à l’évolution de leur place dans la société.

Vous défendez une nouvelle approche de l’infidélité… La plupart des livres sur le sujet traitent de l’infidélité par rapport à l’impact qu’elle a sur la personne trompée. Et le but est toujours de réparer le couple. Mais presque personne ne se demande pourquoi les gens font ça. Pourquoi prennent-ils parfois le risque de perdre tout ce qu’ils ont construit pour une passade d’une nuit? La plupart de ceux que je rencontre ne trompent pas à tout bout de champ, ce sont souvent des gens qui ont été fidèles et monogames pendant des années, et qui un jour passent de l’autre côté. Ce qu’ils cherchent, ce n’est pas le sexe, ça, c’est clair. J’ai entendu beaucoup de patients m’expliquer: ‘Je me sens vivant(e), je me retrouve, je retrouve des parties de moi-même que j’avais perdues depuis des années.’ En général, ce sont des gens très responsabl­es, qui me disent: ‘Je m’occupe de mes enfants, de mon(ma) conjoint(e), de sa mère, de la mienne, et c’est la première fois depuis des années que je fais quelque chose à moi, pour moi.’ Des milliers, des millions de gens traversent cette crise. Et le seul discours qu’on leur propose est un discours de jugement, de honte et d’isolement. À mon avis, ça ne les aide pas à s’en sortir. Sans compter que l’infidélité arrive même à des bons couples. Beaucoup ont élevé des enfants ensemble, ont enterré des parents ensemble, ont construit une maison, se sont aidés financière­ment ou dans la maladie. Et tout ça s’effacerait parce qu’il y a eu une infidélité? C’est complèteme­nt diabolisé!

On vous accuse parfois de défendre l’adultère… Mais l’adultère peut être un système d’alarme, clairement. Certaines infidélité­s tuent le couple déjà en train d’agoniser, d’autres le réveillent comme un coup de marteau en lui disant: ‘Tu t’es endormi(e), tu es dans la monotonie.’ Je me rappelle deux personnes en couple qui s’étaient remis à avoir des conversati­ons qu’elles n’avaient pas eues depuis dix ans grâce à l’infidélité d’une des deux. Et pour la première fois, aussi, ces deux personnes s’étaient remis à faire l’amour avec une intensité qu’elles n’avaient plus ressentie depuis dix ans. Mais est-ce que j’encourage l’infidélité en disant cela? Ce n’est pas parce que je dis qu’une crise peut apporter quelque chose de bien qu’elle est bonne et que je la suggère. Tout ce que je peux dire, c’est que pas mal de jeunes viennent me voir et m’envoient des messages dans lesquels ils me disent: ‘Personne ne nous guide sur ces questions de sexualité et de couple. C’est soit le porno, soit vous, Madame Perel.’ Moi, j’essaie juste d’aider en ayant une conversati­on.

Lire: Je t’aime, je te trompe, d’esther Perel (Robert Laffont)

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