PING-PONG DIARIES
“Ma principale motivation en tant que photographe est l’ennui.” L’histoire débute presque comme un film de Jim Jarmusch: étudiant japonais en école d’art à Leipzig, Hayahisa Tomiyasu remarque un jour un renard rôder autour de la table de ping-pong qui fait office de vue depuis la fenêtre de son dortoir. Guettant en vain le retour de la vision furtive, le photographe en herbe commence alors à délaisser l’espoir de retrouvailles avec sa nouvelle mascotte pour s’intéresser de plus près au petit théâtre humain qui se déploie quotidiennement sous son balcon, point de convergence multiculturel où se déroule à peu près tout, sauf des réunions de pongistes. “J’ai progressivement pu observer comment les personnes de différents pays utilisaient la table de ping-pong, chacune à leur manière”, explique le Japonais, qui photographiera sans relâche le même point de vue pendant la totalité de son cursus universitaire, entre 2011 et 2016. “Finalement, je me suis rendu compte que cet endroit aurait pu se trouver absolument partout, n’importe où. Je crois que c’est cela que j’ai voulu exprimer avec ce travail.” Expérience tant sociologique que poétique, la série TTP (pour “Tischtennisplatte”) évoque une partition répétitive au sein de laquelle microvariations et accidents forment un véritable mille-feuille social à l’arrièregoût métaphysique: qu’elle soit utilisée pour bronzer, brosser son chien ou préparer un barbecue, la table de ping-pong devient à la fois le témoin immuable du passage de la vie sur terre et le générateur magnétique de fragments de réalité, dont le séquençage hypnotique fait peu à peu glisser le banal dans l’étrange. Hayahisa le contemplatif avoue que la vue ne lui manque pas spécialement –“Ça devenait un peu oppressant sur la fin”– et qu’à part avoir renforcé sa propension à la patience, ce voyage immobile ne lui a finalement pas appris grand-chose de plus que ce qu’il a simplement capturé derrière sa fenêtre: “Honnêtement, je ne sais pas si la table de ping-pong joue un rôle important dans le tissu social. Je sais juste qu’il y en a beaucoup en ville.” Reste maintenant à trouver les joueurs.