L’HEURE DU BAIN
Rituel de détente sophistiqué pour les uns ou expérience décevante pour les autres (bougies qui glissent dans l’eau, livre à tenir à distance des métamorphoses d’une mousse invasive ou température capricieuse, entre autres situations à affronter), l’art du bain parfait est un exercice délicat, que seule une élite d’initié(e)s parvient à accomplir avec succès. La photographe américaine Samantha Fortenberry et ses amis ne s’encombrent pas de tant de coquetterie: chez eux, la baignoire devient le lieu de l’hédonisme domestique le plus décomplexé, saint des saints stoner où l’on flotte le sexe à l’air au milieu de paquets de gâteaux et cadavres de bouteille. “L’idée de photographier des baignoires m’est venue après avoir vu une peinture de l’artiste Lee Price, explique la jeune femme. Le projet s’est ensuite rapidement centré sur la recherche d’un éventail de modèles, à qui j’ai proposé d’exposer leur personnalité d’une façon fun et intime.” La série Suds and Smiles –littéralement Mousse et Sourires– évoque donc davantage le défouloir spring break que la litanie introspective, ses protagonistes s’offrant en spectacle dans une antichambre à ciel ouvert (“On me demande souvent comment j’ai installé mon appareil photo pour obtenir un tel angle –en vérité, c’est moi qui le tient, en me mettant sur la pointe des pieds sur la cuvette des toilettes”), corps imparfaits barbotant parmi des éléments censés les définir: Tootie Fruities et confettis pour les filles, cigares et débauche d’alcool pour les garçons (l’homme aux pommes émergeant comme la figure mystère de l’ensemble). On serait tenté de ne voir dans ces mises en scène régressives qu’une ode vaguement white trash aux cabanes secrètes de notre adolescence. Mais pour Samantha, la notion d’exutoire ici revendiquée revêt une dimension spécifiquement importante à l’heure du nouveau diktat de ces décidément problématiques réseaux sociaux: “J’aimerais que ces photos donnent envie aux gens d’aimer leur corps comme il est, parce que nous sommes tous beaux et devrions tous nous sentir beaux. Je veux montrer à quel point les gens sont merveilleux au naturel.” Mais pas trop non plus, quand même.