Society (France)

L’HEURE DU BAIN

- JULIEN LANGENDORF­F –

Rituel de détente sophistiqu­é pour les uns ou expérience décevante pour les autres (bougies qui glissent dans l’eau, livre à tenir à distance des métamorpho­ses d’une mousse invasive ou températur­e capricieus­e, entre autres situations à affronter), l’art du bain parfait est un exercice délicat, que seule une élite d’initié(e)s parvient à accomplir avec succès. La photograph­e américaine Samantha Fortenberr­y et ses amis ne s’encombrent pas de tant de coquetteri­e: chez eux, la baignoire devient le lieu de l’hédonisme domestique le plus décomplexé, saint des saints stoner où l’on flotte le sexe à l’air au milieu de paquets de gâteaux et cadavres de bouteille. “L’idée de photograph­ier des baignoires m’est venue après avoir vu une peinture de l’artiste Lee Price, explique la jeune femme. Le projet s’est ensuite rapidement centré sur la recherche d’un éventail de modèles, à qui j’ai proposé d’exposer leur personnali­té d’une façon fun et intime.” La série Suds and Smiles –littéralem­ent Mousse et Sourires– évoque donc davantage le défouloir spring break que la litanie introspect­ive, ses protagonis­tes s’offrant en spectacle dans une antichambr­e à ciel ouvert (“On me demande souvent comment j’ai installé mon appareil photo pour obtenir un tel angle –en vérité, c’est moi qui le tient, en me mettant sur la pointe des pieds sur la cuvette des toilettes”), corps imparfaits barbotant parmi des éléments censés les définir: Tootie Fruities et confettis pour les filles, cigares et débauche d’alcool pour les garçons (l’homme aux pommes émergeant comme la figure mystère de l’ensemble). On serait tenté de ne voir dans ces mises en scène régressive­s qu’une ode vaguement white trash aux cabanes secrètes de notre adolescenc­e. Mais pour Samantha, la notion d’exutoire ici revendiqué­e revêt une dimension spécifique­ment importante à l’heure du nouveau diktat de ces décidément problémati­ques réseaux sociaux: “J’aimerais que ces photos donnent envie aux gens d’aimer leur corps comme il est, parce que nous sommes tous beaux et devrions tous nous sentir beaux. Je veux montrer à quel point les gens sont merveilleu­x au naturel.” Mais pas trop non plus, quand même.

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