Society (France)

Le don des corps à la science

Vous avez toujours voulu savoir ce qui arriverait après? Voici la réponse.

- – SIMON LESAGE

Centre du don des corps de Paris-descartes. Dans le bureau de la direction, une lettre fraîchemen­t dépliée menace de tomber d’une grande table en bois. Dessus, quelques lignes écrites à la main. “Je ne peux pas fixer de date de livraison, car je profite encore du soleil et de la vie. En espérant que les étudiants en médecine tireront profit de leurs travaux pratiques, je souhaite à tous les étudiants et membres de ce centre de don de sourire, de rire en continuant à vivre des situations cocasses.” La lettre n’a évidemment pas été posée là par hasard et est sûrement plus joyeuse que les autres qui traînent dans le fond de la pièce. Mais le message est toujours le même. Pour aider la recherche, leurs auteurs font don de leur corps à la science. Obligatoir­e, l’étape de la lettre manuscrite fait office de testament et scelle leur décision. “Concrèteme­nt, vous mourez, et votre famille voit un sac noir partir de chez vous. Fin de l’histoire”, explique le professeur Richard Douard, qui a dirigé le centre, le plus grand des 28 français, de 2013 à fin 2017.

Une fois le sac noir emporté, que devient-il? Dominique Hordé, qui a succédé à Richard Douard, admet avoir le “devoir d’informatio­n sur ce qu’il advient des corps des donateurs”. Mais elle prend toujours des pincettes au moment de fournir des explicatio­ns. Car il est impossible d’avoir des exigences lorsqu’on est donateur: on ne peut pas choisir la partie de nous qui sera utilisée ni la façon dont elle le sera. Si vous léguez votre corps à l’université Paris-descartes, il pourrait en effet finir percuté par une voiture lancée à grande vitesse ou démembré, pour y accrocher par exemple des prototypes de prothèses, étape indispensa­ble à leur conception. Richard Douard parle aussi d’un “marché des têtes: il faut des têtes pour les dentistes”. S’il a imposé de rendre chaque tête à son ou sa propriétai­re une fois les travaux effectués, “il arrive que ce ne soit pas possible”, avoue-t-il. Les corps des donateurs sont donc parfois incinérés en plusieurs fois et les cendres, quand elles sont rendues à la famille, ne sont pas nécessaire­ment “complètes”. Pourtant, dans les textes, le code pénal empêche de porter atteinte à l’intégrité physique des cadavres. Dominique Hordé évoque une “évolution de l’interpréta­tion du code pénal, que

la science peut se permettre”… Les conditions de conservati­on des corps sont également très sensibles. Richard Douard confie que le Centre du don des corps de Paris-descartes n’a pas évolué depuis sa création, en 1950. Résultat: les frigos contenant les cadavres tombent en panne, les portes ne ferment plus et il n’y a pas de caméras de surveillan­ce. Des demandes de rénovation ont été faites. Les technicien­s de laboratoir­e, eux, n’ont jamais été formés à la prévention de base, déplore Dominique Hordé. Richard Douard fait une moue compatissa­nte, en parlant de “ces mecs qui passent la majeure partie de leur temps dans des frigos à 3°C à découper des têtes”.

“Les cadavres étaient ultrasecs”

Finalement, un corps légué à la science pourra être utilisé par des étudiants en médecine, des chercheurs, mais aussi des industriel­s qui auraient besoin de se faire la main. Pour pouvoir disposer de corps, les structures extérieure­s à l’université doivent payer entre 1 000 et 3 000 euros par jour. Elles doivent surtout présenter un projet complet. Richard Douard affirme avoir dû serrer les boulons à son arrivée à la direction du Centre du don des corps. “Quand j’ai été nommé, il suffisait de dire ‘je suis anatomiste, j’ai besoin de quinze cadavres’, et le tour était joué. Alors que quand on va dans une animalerie et que l’on dit vouloir quinze rats, on nous demande de préciser pourquoi...” Sur les 500 corps qui arrivent à Paris-descartes chaque année, très peu sont donc utilisés par les étudiants en médecine. Marie fait partie des 50 élèves de troisième année annuels à avoir choisi l’option dissection. Quand elle a passé son examen pratique final, plus de la moitié avait déserté ce cours. “On était huit autour d’un seul cadavre, se souvient-elle. Les profs ne nous disaient rien et on ne pouvait presque pas poser de questions. Les cadavres étaient ultrasecs, presque indisséqua­bles, avec un aspect parfois poussiéreu­x.” Pour cet examen, Marie a dû disséquer un pied. L’étudiante regrette les conditions de cet apprentiss­age,

Il est impossible d’avoir des exigences lorsqu’on donne son corps. Celui-ci peut finir percuté par une voiture lancée à grande vitesse ou démembré pour aider à la conception d’une prothèse

qu’elle estime pourtant, comme la majorité des étudiants interrogés, “indispensa­ble pour étudier le rapport au corps et l’anatomie”.

Si la légende veut que des bras aient, par le passé, été cachés dans des casiers de camarades pour faire des blagues, la réalité évoque plutôt des photos prises sans autorisati­on ou des blagues morbides “qui ne font pas rire tout le monde”. Sachez donc qui si vous donnez votre corps à la science, on moquera peut-être la taille de votre bedaine ou l’état de vos poumons, et on vous fera éventuelle­ment faire des signes de gang avec vos doigts. Dans les couloirs du campus de Saint-antoine, à Paris, Clément, étudiant en sixième année, doute de l’utilité même de la dissection. “Ça ne m’a pas servi à grand-chose, ce cours. C’était juste drôle de tirer sur des tendons pour faire faire un doigt d’honneur, quoi.”

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