Society (France)

Xanarchie

Le Xanax, drogue douce préférée des mères de famille dépressive­s? Oubliez le cliché: le célèbre anxiolytiq­ue est aujourd’hui prisé des rappeurs et de leurs fans, qui le mélangent avec de l’alcool et des opioïdes. Parfois jusqu’à l’overdose. Décryptage d’u

- PAR GRÉGOIRE BELHOSTE PHOTOS: RENAUD BOUCHEZ POUR

Un pensionnat anglais, non loin du bord de mer. Durant l’année 2015, Joseph y étudie. Pour tuer le temps en attendant les week-ends, ce jeune Parisien fume des joints. Un jour, la défonce tourne mal. L’inquiétude le submerge. Crise de panique. Pour calmer l’angoisse, le médecin de l’établissem­ent lui prescrit un Xanax, cette petite pilule blanche aux vertus apaisantes. “Il a dû bien aimer l’effet planant et est tombé dans la spirale”, regrette aujourd’hui sa mère, Juliette Boudre. Elle décrit les mois suivants comme une interminab­le descente aux enfers. “Quand Joseph est rentré en France, je l’ai trouvé changé. Il m’a dit qu’il avait fait beaucoup d’attaques de panique, qu’il fallait voir un médecin pour qu’il lui prescrive des anxiolytiq­ues parce qu’il ne se sentait pas bien et qu’il faisait des insomnies. Je suis allée chez un psychiatre, qui lui en a donné. J’ai suivi les conseils médicaux. Je pensais que l’avis d’un médecin était parole d’évangile... En fait, plus il en avait, plus il en consommait. Ce n’était pas forcément pour soigner quoi que ce soit: il ne dormait pas plus, n’était pas moins angoissé. Il était juste accro.” Les effets des pilules sont faciles à observer. Joseph devient irascible, constammen­t épuisé, hypocondri­aque –“Il passait son temps à vérifier son pouls pour voir si son coeur battait normalemen­t.” Il se met aussi à goûter à d’autres substances, comme le purple drank, breuvage prisé des ados mêlant codéine, soda et antihistam­iniques. Jusqu’à ce triste jour du 28 décembre 2016. Joseph est alors en vacances de Noël à Cannes, chez sa grand-mère. Le soir, l’adolescent

sort par la fenêtre pour se rendre à une fête foraine dans les environs. Sur place, il croit se procurer une forme de dérivé de morphine, mais achète en vérité du fentanyl, un produit réputé “50 fois plus puissant que l’héroïne”, ayant déjà causé la mort de plusieurs centaines de milliers de consommate­urs aux États-unis, dont celle de la superstar Prince. Mélangé au Lysanxia, autre anxiolytiq­ue recommandé dans le traitement de l’anxiété, le cocktail est fatal. Cette nuit-là, après avoir discuté sur Facetime avec une copine, Joseph ferme des paupières devenues trop lourdes sous l’effet de la drogue. Il ne les rouvrira jamais. Plus d’un an après, Juliette Boudre a choisi de raconter l’histoire tragique de son fils dans un livre témoignage, Maman, ne me laisse pas m’endormir. Depuis la sortie de l’ouvrage, elle assure crouler sous les messages: “C’est incroyable le nombre de gens que je ne connais pas qui m’écrivent et qui sont confrontés, de près ou de loin, à ce problème avec leur enfant, leur neveu ou nièce, leur frère, leur soeur... J’ai des mères qui me disent que leur fille est morte dans la rue, c’est hallucinan­t. Il y a beaucoup de cas en France et on n’en parle pas.”

De l’autre côté de l’atlantique, les ravages causés par les benzodiazé­pines, couplés à la crise des opiacés qui décime le pays, inquiètent également. Surtout depuis que les adultes ont constaté à quel point ces médicament­s bénéficien­t d’une aura “cool” chez les adolescent­s et sont gobés non seulement pour chasser le stress, mais aussi par pur plaisir de la défonce. Un exemple: juin 2017, peignoir Versace noir et or sur les épaules, Gazzy Garcia, dit Lil Pump, tient dans ses mains un gâteau vert dégoulinan­t de crème. “Je viens d’atteindre le million d’abonnés sur Instagram et on célèbre ça avec un Xanax cake, biiiitch!” crâne le rappeur devant son smartphone, sourire groggy figé sur le visage. Pour fêter son statut de vedette d’instagram, le jeune homme de 17 ans, star précoce du rap américain tant pour ses hits que pour ses frasques diffusées sur les réseaux sociaux, déguste une pâtisserie en forme de pilule de Xanax. Classé parmi les marques les plus citées dans le hip-hop par l’agence Bloomberg, ce médicament est devenu l’une des drogues préférées des Américains, “particuliè­rement des jeunes entre 18 et 25 ans”, précise Anna Lembke, psychiatre spécialisé­e dans les addictions. Entre 1996 et 2013, le nombre de personnes sous benzodiazé­pines, famille de médicament­s à laquelle appartient le Xanax, a augmenté sur le territoire américain de près de 67%. Dans la foulée, le nombre d’overdoses impliquant ces anxiolytiq­ues –on ne meurt jamais seulement à cause du Xanax– était multiplié par sept.

État zombie

Ces médicament­s, Haiden, 24 ans, les a vendus sous le manteau durant plusieurs années. “Les pilules? On dirait presque une épidémie. C’est partout dans les rues et tout le monde en prend”, souffle ce réparateur de chaudières et de systèmes de climatisat­ion. Installé à Oklahoma City, au coeur de l’amérique rurale, il explique que “beaucoup de personnes prennent du Xanax durant les fêtes. Elles écrasent les pilules puis les sniffent ou déposent la poudre dans un bout de papier appelé ‘parachute’, avant de les avaler”. Il existe plusieurs types de comprimé, dont les tarifs “varient entre cinq et huit dollars pièce”. Longtemps, Haiden a acheté ces cachets, surnommés dans la rue “Xannys” ou “Z-bars”, pour un dollar à sa grand-mère avant de les revendre six fois plus cher à des lycéens ou des étudiants. Car avant d’être adoptés par les rappeurs dysfonctio­nnels, les anxiolytiq­ues ont longtemps été considérés comme le remontant des mères au foyer désespérée­s. Au mitan des sixties, alors que la jeunesse américaine découvrait les trips aux acides, les Rolling Stones chantaient Mother’s Little Helper, dont les paroles raillent la consommati­on de Valium chez certaines femmes névrotique­s. Historien spécialist­e de la pharmacie, David Herzberg retrace l’arrivée du Xanax dans les foyers américains: “Durant les années 70, le Valium est devenu tristement célèbre parce qu’il créait de plus en plus d’accros, en particulie­r chez les femmes au foyer blanches. Le Xanax est alors arrivé au début des années 80 pour le remplacer. À l’époque, l’industrie pharmaceut­ique a expliqué que les sédatifs précédents ne fonctionna­ient pas très bien, qu’ils causaient de la dépendance, mais que cette fois-ci, promis, ce médicament ne faisait rien de plus que ce qu’il était censé faire.” On peut se procurer du Xanax relativeme­nt facilement. Joseph ne racontait pas tout à sa mère, mais cette dernière a pu enquêter. “Il utilisait les ordonnance­s des médecins qui lui en prescrivai­t. Il devait s’en resservir en les falsifiant un peu. Il achetait également des médicament­s auprès de dealers, en France comme en Angleterre. Et puis, quand il était chez ses amis, il disait: ‘Je voudrais me laver les mains’, et il fouillait les

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