Ian Brossat
Ian Brossat, adjoint chargé du logement à la mairie de Paris et future tête de liste du PCF aux européennes, publie Airbnb ou la ville ubérisée. Et raconte son combat contre une entreprise devenue surpuissante.
Airbnb est-il un danger pour Paris? Adjoint chargé du logement à la mairie de Paris et future tête de liste du PCF aux européennes, Ian Brossat en est convaincu.
Vous décrivez dans votre livre une relation pour le moins tumultueuse entre vos services et Airbnb. Quand j’ai été nommé en 2014, la première demande de rendez-vous a émané d’airbnb. Présumant sans doute que le nouvel adjoint communiste chargé du logement avait l’intention d’être dans une stratégie de régulation, la plateforme a essayé de construire des relations de travail positives. Sauf que, très vite, nous nous sommes heurtés à un mur. Lorsque, en 2016, nous avons demandé que la plateforme alerte systématiquement les loueurs lorsqu’ils dépassent la durée légale des 120 jours de location par an, Airbnb nous a dit oui. Quelques jours plus tard, après le vote de la loi pour une République numérique, Airbnb s’est fâchée, et sa représentante a reconnu par téléphone qu’ils ne le feraient pas. Après, je n’ai été confronté qu’à des attitudes similaires.
C’est quoi, le fond du problème? Depuis que la Ville de Paris a décidé de mettre en place le numéro d’enregistrement, c’est-à-dire l’obligation pour tout loueur de s’inscrire auprès d’elle, ils ont décidé de rompre toute relation avec nous. Ils ont eu deux stratégies, en fait. La première a consisté à tenter de m’isoler, en construisant des relations directes avec d’autres adjoints, laissant penser qu’il y avait plusieurs opinions au sein de l’exécutif municipal. Assez vite, Anne Hidalgo a tranché en ma faveur. La seconde a été de contourner la Ville de Paris en s’adressant au gouvernement et à l’opinion publique via les médias.
Comment lutter contre ça? Dans chaque ville, les responsables d’airbnb tentent d’expliquer qu’avec toutes les autres villes du monde, ça se passe très bien, et qu’ils ne comprennent pas pourquoi là, c’est si difficile. Ils ont fait le même coup à Barcelone, Berlin et Amsterdam. Finalement, nous avons quand même décidé de se regrouper pour agir ensemble. Mais avec Airbnb, le rapport de force est vraiment déséquilibré. C’est une multinationale qui génère un cash incroyable, et jusqu’à il y a peu, la loi ne nous aidait pas. Là, nous avons quand même obtenu du nouveau gouvernement la responsabilisation des plateformes, puisque celles qui ne retirent pas les annonces sans numéro d’enregistrement pourront être soumises à des sanctions allant jusqu’à 50 000 euros par annonce. C’est pour ça que je pense que nous gagnerons: même un gouvernement Macron, qui est d’assez mauvaise volonté, finit par y venir.
“Dans chaque ville, les responsables d’airbnb tentent d’expliquer qu’avec toutes les autres villes du monde, ça se passe très bien, et qu’ils ne comprennent pas pourquoi là, c’est si difficile”
Ian Brossat
Comment expliquez-vous ce revirement du gouvernement? Vous voulez que je vous dise franchement? Comme ils veulent gagner la mairie de Paris, ils savent bien qu’ils ne peuvent pas être à la fois contre l’encadrement des loyers et contre la régulation d’airbnb, parce que les Parisiens n’en peuvent plus et se plaignent tous les jours de ce phénomène. À défaut d’avoir été convaincus sur le fond, il y a sans doute un peu d’opportunisme électoral chez eux.
Dans votre livre, vous pointez du doigt Airbnb sur des problèmes comme la gentrification à Paris, la flambée des prix du foncier, l’accroissement des inégalités. Mais tout cela s’est amplifié sous votre mandature… À Paris, il y a aujourd’hui 21% de logements sociaux. Il y en avait 13% en 2001. Donc la politique municipale de gauche a quand même permis que 500 000 Parisiens vivent aujourd’hui en logement social. Mais je ne nie pas qu’être adjoint chargé du logement à Paris, c’est aussi être confronté à des frustrations. Nous avons des marges de manoeuvre puissantes sur le logement social, mais celles sur le parc privé sont extrêmement faibles. Nous sommes engagés dans une course de vitesse contre le marché, et si l’état ne nous aide pas à lutter contre la spéculation, nous pourrons difficilement gagner…
Concrètement, comment Airbnb peut-elle transformer un quartier? J’habite rue Lepic, dans le XVIIIE arrondissement, depuis dix ans. Aujourd’hui, dans le quartier, vous avez exactement la même succession d’enseignes de fringues que dans le Marais. Il y a une uniformisation des quartiers les plus touristiques. Un taux important de logements sont transformés en meublés touristiques et, finalement, les quartiers sont de moins en moins faits pour les habitants, et de plus en plus pour les touristes. Ils perdent leur identité, et se ressemblent tous.
L’un des arguments fréquemment opposés à ceux qui veulent réguler Airbnb est que cela va freiner le tourisme et générer moins de croissance. Que répondez-vous à ça? D’abord, Paris continuera à être une ville touristique. Nous avons un plan de développement d’hôtels en catégorie moyenne, qui est aujourd’hui ce qui manque le plus dans la capitale. Mais le développement du tourisme ne doit pas se faire au détriment du logement. Si nous laissons Airbnb se développer de manière anarchique, nous finirons par tuer l’esprit même de Paris, son tissu commercial, son identité et, finalement, la poule aux oeufs d’or, et les touristes ne retrouveront plus le Paris authentique qu’ils recherchent.
En tant que communiste, vous n’avez jamais pensé à lancer un Airbnb de la Ville de Paris? L’idée que j’avais était la suivante –mais elle se réduisait au logement social: on a 500 000 Parisiens qui vivent en logement social, et n’ont pas le droit de sous-louer leur logement sur Airbnb. Mon rêve serait d’être capable d’organiser un système d’échange avec un bailleur social en Espagne ou ailleurs, de permettre à des locataires du parc social parisien d’échanger leur logement pendant l’été avec un bailleur social de Madrid ou Barcelone. J’en ai parlé avec des élus de Barcelone il y a deux mois. Le problème, c’est que le parc social de la capitale catalane s’élève à 1,5%. Mais nous allons quand même y travailler.