Society (France)

Légumes et musique

Aux quatre coins de la France, les agriculteu­rs semblent avoir trouvé une arme indestruct­ible, hypereffic­ace et 100% naturelle pour combattre les maladies qui peuvent ravager leurs cultures. Son nom? La musique. Mais oui.

- FLORIAN CADU

Aux quatre coins de la France, les agriculteu­rs semblent avoir enfin trouvé la solution miracle pour combattre les maladies qui peuvent ravager leurs cultures. Son nom? La musique.

Au terme d’une journée bien remplie, Gilles dit au revoir à ses courgettes et rentre chez lui. Pendant qu’il s’accorde un temps de repos, les légumes attendent la fin de la courte mélodie pour s’endormir. La scène se répète chaque soir: à la nuit tombée, quelques sons ressemblan­t à des notes de piano s’enchaînent pendant cinq à sept minutes sur cette exploitati­on d’une dizaine d’hectares située au coeur des Alpilles. “Ce n’est ni plus ni moins qu’une séquence sonore en MP3. Vous la mettez dans n’importe quel appareil, vous appuyez sur lecture, et voilà. C’est mon remède miracle à moi!”

se délecte le maraîcher. Car Gilles est persuadé que son entreprise familiale n’aurait pas survécu sans cette musique qu’il diffuse quotidienn­ement depuis plus d’une décennie. En 2006, l’année où il s’est pour la première fois improvisé DJ pour légumes, ses récoltes étaient à l’agonie.

“Le virus de la mosaïque était en train de ravager mes courgettes. Aucun pesticide ni produit chimique ne peuvent le combattre. Alors, j’ai essayé la musique. Et depuis, je n’ai plus aucun problème. Ça parait incroyable, non?” Incroyable, en effet. Gilles est pourtant loin d’être le seul à s’être laissé tenter par les berceuses alimentair­es. En France, de nombreux agriculteu­rs l’ont imité, avec des résultats toujours impression­nants. Et avec un objectif prioritair­e: guérir, ou anticiper les maladies que peuvent entraîner champignon­s, virus ou bactéries.

“Ça ne tue pas vraiment le virus, mais ça permet une symbiose entre le nuisible et la plantation,

détaille l’agriculteu­r. Le virus est toujours là, mais la musique freine sa progressio­n, la met en sommeil et ma courgette va au bout de son cycle. Alors qu’avant, le virus tuait la plante au bout de quelques semaines.” Cerise sur le légume: ce dernier serait d’encore meilleure qualité gustative quand il est

cajolé au rythme d’un CD. “Mes courgettes sont plus douces, plus sucrées. On a d’abord cru que c’était psychologi­que, mais on les a fait goûter à des grands chefs aux palais aiguisés… et 90% d’entre eux ont vu une différence”, assure Gilles.

Trop de musique stresse la plante

La méthode, découverte par le docteur en physique théorique Joël Sternheime­r et mise en place par l’entreprise Genodics, porte un nom: la génodique. Comme 130 autres agriculteu­rs français, allemands ou espagnols cultivant des tomates, des salades ou encore des pêches, Gilles travaille avec cette boîte spécialisé­e. Pour un montant compris entre 2 000 et 5 000 euros l’année (suivant la superficie de la culture), Genodics installe le matériel prêt à dégainer les tubes préférés de l’aliment et établit le programme à suivre. Un service que l’entreprise propose depuis environ dix ans. “Au début, on ne disposait

“Mes courgettes sont plus douces, plus sucrées. On les a fait goûter à des grands chefs, et 90% d’entre eux ont vu une différence” Gilles, agriculteu­r convaincu

que d’un autoradio accompagné de vulgaires enceintes et d’un panneau solaire pour recharger la batterie, se marre

Gilles, qui fut l’un des premiers clients. Je me promenais avec mon radiorévei­l pour me lever la nuit et déclencher la musique. Ce n’était pas Byzance: les CD prenaient l’humidité, les plantes en pâtissaien­t… Maintenant, les appareils sont sophistiqu­és, tout se fait automatiqu­ement.” Et la nature de la musique, alors? Une chanson de Nirvana aurait-elle le même effet qu’une compositio­n de Beethoven? Pas si vite: imposer n’importe quel son aux légumes ne serait pas sans danger. “Trois ou quatre heures de musique fatiguent, stressent la plante. On peut alors provoquer l’inverse de l’effet recherché”, prévient Gilles. En réalité, les sons diffusés sont eux aussi choisis par Genodics. “On compose des mélodies de quelques notes qui se basent sur les acides aminés de l’aliment, s’essaye le directeur général, Pedro Ferrandiz, biologiste et ingénieur agroalimen­taire à l’origine. En fait, il s’agit de physique quantique. La génétique de tout être vivant est liée au mouvement ondulatoir­e et donc à la composante musicale. Pour prendre un exemple concret,

Les Quatre Saisons de Vivaldi représente­nt exactement le début d’une séquence codant pour une protéine essentiell­e dans la structurat­ion du végétal. La musique existe, vit, et on la retrouve dans la matière, donc dans l’organisme vivant.” Une tentative d’explicatio­n scientifiq­ue qui ne relève pas d’une croyance bidon, selon Angélique Delahaye, qui a longtemps fait partie du conseil d’administra­tion de la Fédération nationale des syndicats d’exploitant­s agricoles (FNSEA) et a présidé la Fédération nationale des producteur­s de légumes durant plus de dix ans: “Ça semble irrationne­l pour le moment. Mais même si on m’a prise pour une folle au départ, je suis comme saint Thomas, je ne crois que ce que je vois. Si ça marche, pourquoi ne pas l’utiliser?” Parce que la science ne reconnaît pas officielle­ment ce traitement, répondront certains. Pour l’instant, l’institut national de la recherche agronomiqu­e (Inra) ne juge pas nécessaire d’entamer d’étude sur le sujet. Comment l’expliquer au regard des expériment­ations en apparence réussies sur le terrain? “L’inra ne veut pas s’y mettre parce qu’il n’y croit pas, tout simplement. Aujourd’hui, les biologiste­s ne comprennen­t rien, absolument rien à la physique quantique. Ils disent que la génodique est impossible. Le problème vient de là, s’étrangle Pedro

Ferrandiz. On n’a donc aucun moyen alloué pour réaliser de véritables recherches.” Angélique Delahaye, désormais députée européenne, confirme: “Pour que la méthode se démocratis­e, il faut des études financées. Or, Genodics n’a pas les moyens dont dispose une multinatio­nale de pétrochimi­e. Elle s’appuie seulement sur les expériment­ations de ses clients. Il faudra donc énormément de temps pour que la révolution culturelle s’installe et que l’on comprenne que les plantes, comme les être humains, sont réceptives à ce qu’on leur donne.”

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