Society (France)

Casse mystérieux en altitude

Le 24 novembre 1971, un certain D. B. Cooper détournait un avion à Portland, aux États-unis, et réclamait 200 000 dollars en échange de la libération des 35 autres passagers. Une fois la somme remise et les voyageurs libres, il demandait à l’équipage de r

- PAR WILLIAM THORP, À PUYALLUP

Le 24 novembre 1971, un certain D. B. Cooper détournait un avion aux États-unis, obtenait 200 000 dollars et sautait en plein vol, les billets contre lui. Personne ne l’a revu depuis.

Quand l’hôtesse de l’air Tina Mucklow avait demandé des explicatio­ns à D. B. Cooper, celui-ci avait répondu par cette seule phrase: “Je n’ai pas de haine contre votre compagnie, mademoisel­le. J’ai juste la haine”

De l’avis de tous, Florence Schaffner était une jolie femme. Elle avait été élue Miss Pink Tomato, Miss Swimming Pool, puis Miss Fordyce, le prix de beauté de la petite ville de l’arkansas d’où elle était originaire. Ce qui explique pourquoi, le 24 novembre 1971, quand cet homme en imperméabl­e noir assis à la rangée 18 de l’avion lui a tendu une enveloppe blanche, l’hôtesse de l’air de 23 ans n’y a rien vu d’autre qu’une énième déclaratio­n d’amour et l’a enfouie dans son sac sans l’ouvrir. En cette veille de Thanksgivi­ng, le Boeing 727 de la Northwest Orient Airlines rallie Seattle depuis Portland, aux Étatsunis. Un simple vol de 28 minutes au-dessus de l’état de Washington. “Mademoisel­le, je pense que vous feriez mieux de lire la lettre”,

dit finalement l’homme à Florence Schaffner. Elle plonge alors la main dans son sac et en sort ceci: “Mademoisel­le, je détourne l’avion. J’ai une bombe. Asseyez-vous à côté de moi.” “Vous rigolez? –Non, mademoisel­le. Tout cela

est vrai.” Puis l’homme ouvre sa mallette et lui montre ce qui ressemble à des sticks de dynamite rouges reliés à une large batterie. Le passager, enregistré sous le nom de “Dan Cooper”, réclame 200 000 dollars “de devise américaine

négociable” dans un sac à dos et quatre parachutes. Sinon, il “fait le boulot”. Autrement dit: il fait tout exploser. Quelques minutes plus tard, l’avion atterrit à Seattle, le pirate de l’air effectue sa transactio­n –l’argent contre les 35 autres passagers– et demande à l’équipage de faire redécoller l’appareil vers 19h, direction le Mexique cette fois. Puis, peu avant 20h, il attrape deux parachutes, en met un sur son dos, fourre l’argent dans le second, qu’il porte contre son ventre, et saute de l’avion en plein vol, dans une forêt noire de conifères. C’était il y a 47 ans, entre Seattle et Reno, dans le Nevada. Et plus personne n’a revu Dan Cooper depuis.

Quand Tina Mucklow, la seconde hôtesse de l’air, avait demandé des explicatio­ns à Dan Cooper –rebaptisé ensuite par erreur D. B. Cooper par un journalist­e–, celui-ci avait répondu par cette seule phrase: “Je n’ai pas de haine contre votre compagnie, mademoisel­le. J’ai juste la haine.”

Suffisant pour faire du pirate de l’air un dissident politique? Pas forcément. Encore aujourd’hui, le FBI n’a ni identité ni mobile à fournir. Simplement un portrait-robot et quelques estimation­s: à peu près 1,80 mètre et environ 80 kilos. Un mystère tellement épais qu’il a aiguisé la curiosité de centaines d’enquêteurs privés et laissé fleurir les théories du complot les plus farfelues, impliquant notamment –qui d’autre?– la CIA et le gouverneme­nt américain. Certains de ces enquêteurs ont mal tourné, tel Karl Fleming, journalist­e à Newsweek, qui a fini en asile psychiatri­que à subir des électrocho­cs après s’être persuadé, à tort, d’avoir résolu l’affaire. “Avec le temps, les personnes parties à la recherche de D. B. Cooper sont devenues aussi intéressan­tes que l’affaire elle-même, sourit Tom Kaye, un scientifiq­ue embourbé dans l’enquête depuis dix ans. Cette histoire est comme un vortex: elle vous aspire et vous n’en ressortez jamais.” Bob, Barb’ et D. B. Cooper Celui-là s’appelle Ron Forman. Soixante-treize ans, une moustache blanche et un passé de mécanicien dans l’aviation. Son bureau est situé dans un hangar du Pierce County Airport, à Puyallup, une petite ville à 45 mn au sud de Seattle. Il montre un Cessna 140 gris, un avion d’aprèsguerr­e. Avant de lui appartenir, la carlingue était la propriété d’un certain Bob Dayton, un type que Ron Forman décrit comme “une belle grosse enflure”. Le genre de gars à “vous cracher sur les chaussures dans un bar pour que vous vous battiez avec lui ensuite”. Le genre de gars aussi à s’engager dans la marine marchande en pleine Seconde Guerre mondiale, puis, une fois démobilisé, à traîner avec les Hells Angels. “Il y avait tellement de colère en lui! reprend Ron Forman. Une fois, un chauffeur de taxi a trop klaxonné derrière lui dans un embouteill­age, il est sorti de sa voiture et l’a cogné avec une chaîne. Il m’a dit qu’il l’avait laissé en sang sans savoir s’il l’avait tué.” Ron Forman montre ensuite la photo d’une femme blonde, chemise à fleurs rouges sur le dos. Elle pose devant le même Cessna 140. C’est Barb’.

Barb’ et Bob étaient la même personne. “Bob est le premier homme à avoir changé de sexe dans l’état de Washington et à être devenu une femme.” Ron Forman grimpe dans son 4x4 Ford et en sort une boîte marron. C’est une urne funéraire. Écrit dessus, sur une bande blanche: Dayton, Barbara. “Je te présente D. B. Cooper, annonce-t-il en pesant les cendres dans ses mains. C’est lourd, hein?”

Accoudée à la table de la salle à manger de son ami Hannelore, à Puyallup, Pat Forman dissèque The Legend

of D. B Cooper, Death by Natural Causes, le livre qu’elle a coécrit il y a dix ans avec son conjoint. Pat Forman, 71 ans, est la femme de Ron. Pour eux, l’histoire a commencé en 1979. Le couple fréquente Barb’ depuis quelques années déjà, une amitié liée par leur amour des avions. La première vie de Barb’ sous le nom “Bob” est un secret éventé depuis des mois. Un jour, autour d’un hamburger pris avec des amis, la discussion dérive sur D. B. Cooper. À la surprise de Ron, Barb’ s’énerve lorsqu’un des convives critique le pirate de l’air. “Alors,

je lui dis en rigolant: ‘Je sais qui est D. B. Cooper. C’est toi!’ Et là, elle m’a lancé un regard de tueuse. Plus tard, elle m’a pris par l’épaule et m’a dit: ‘Ne dis plus jamais ça en public, même pour rire.’” Le sujet est remis sur la table une semaine plus tard. Dans un article du journal local, il est écrit que le FBI pense possible que le pirate de l’air n’ait pas survécu à son saut en parachute. “Barb’ s’est énervée une nouvelle fois et a dit que le FBI n’y connaissai­t rien, que le pirate de l’air n’était pas stupide. Elle nous a vus nous regarder avec l’air de dire ‘Mais comment peut-elle savoir cela?’ et s’est tournée vers mon

mari. Elle lui a dit: ‘OK Ron, tu avais raison la dernière fois: je suis D. B. Cooper’, explique Pat. Et elle nous

a tout raconté dans les détails.” Elle leur confie avoir sauté à Woodburn, dans l’oregon, à une centaine de kilomètres du point identifié par le FBI. Puis qu’elle a caché l’argent dans une citerne non loin de là. Finalement, avant de mourir à 75 ans le 20 février 2002, Barb’ leur déclarera qu’elle a tout inventé. Mais c’est trop tard: les époux Forman sont convaincus de sa culpabilit­é. Ils découvrent que la famille de Barb’ l’a également toujours soupçonnée. “Sa nièce nous a raconté que son propre père avait dit en

voyant le portrait-robot de l’homme à la télé: ‘Ça ressemble à mon frère, et ça ressemble certaineme­nt à une chose qu’il pourrait faire’”, raconte Ron. Les Forman découvrent aussi des coïncidenc­es troublante­s dans son dossier médical. “Les mois qui précèdent le détourneme­nt du 727, dit Ron, Barb’ n’arrive pas à trouver de travail à cause de son apparence. Elle n’a ‘littéralem­ent aucune source de revenus’ autre que les aides sociales et ‘pense à se suicider’. Deux semaines après le détourneme­nt, alors que trois mois plus tard elle ne touchera plus aucune

aide, Barb’ n’est plus ‘dépressive’ et se sent soudaineme­nt ‘heureuse’.” De manière théâtrale, Ron se saisit d’un mot de Barb’ envoyé à ses enfants, dans lequel la femme s’excuse de son comporteme­nt passé, et donne à la lettre des allures d’adieu: “Ne me haïssez pas pour ce que j’ai fait s’il vous plaît. La vie est pleine d’imprévus.” “C’était comme si elle voulait partir l’esprit tranquille, au cas où quelque chose se passerait mal”, souffle Ron. Treize jours plus tard, D. B. Cooper détournait l’avion. Bob devenu Barb’ Dayton était-elle aussi D. B. Cooper? C’est possible. Ce n’est pas certain non plus. Plus de 900 personnes ont avoué être l’homme à l’imperméabl­e noir depuis cette journée du 24 novembre 1971.

Bruce A. Smith, 60 ans, vient de s’asseoir à la table des Forman. C’est par eux qu’il a sombré à son tour dans l’affaire. Depuis, Bruce est devenu incollable sur D. B. Cooper. Il sait qu’il était assis à la place 18D de l’avion, qu’il buvait un “bourbon et 7UP” et fumait “des Raleigh”, puis qu’il s’est déplacé à la rangée 18E. Il sait aussi qu’il existe un vrai débat sur la localisati­on du saut de D. B. Cooper. “La version officielle dit que l’homme a sauté à Ariel, une zone forestière dans le sud de l’état de Washington, parce que le pilote dit avoir ressenti une petite oscillatio­n dans l’avion lorsqu’il était au-dessus du lieu. Mais en réalité, personne ne le sait vraiment. L’équipage était enfermé dans le cockpit. Ils ne l’ont pas vu sauter.” Sa conviction: le pirate

En février 1980, un gamin découvre, sur une plage, trois liasses de billets. Jackpot: les numéros de série correspond­ent à ceux du détourneme­nt. Mais vite, l’argent retrouvé apporte plus de questions que de réponses

de l’air avait nécessaire­ment des connaissan­ces en aéronautiq­ue “pour demander au pilote de ne pas dépasser les 3 000 mètres d’altitude et, ainsi, ne pas se faire aspirer une fois

la porte arrière ouverte et manquer d’oxygène”. Puis Bruce prend l’air mystérieux. “Jusqu’à quel point veux-tu aller voir

au fond du terrier?” demande-t-il, laissant entendre qu’il y a bien plus dans cette affaire que ce que l’on veut bien croire. Selon lui, la clé est le Boeing 727. “Quand D. B. Cooper est arrivé au comptoir pour acheter son billet, la première chose qu’il a demandée était si l’avion était un 727. La particular­ité de cet appareil était d’avoir une porte et un escalier qui se dépliait sur l’extérieur en dessous de la queue de l’avion. Ce modèle était utilisé par la CIA pour parachuter des agents derrière les lignes ennemies durant la guerre du Vietnam. C’était une informatio­n top secret à l’époque, personne ne le savait, si ce n’est la CIA et les ingénieurs Boeing. D. B. Cooper connaissai­t cette informatio­n, visiblemen­t. Comment? Ça...” Comme il est d’usage dès que l’on appuie sur le bouton “CIA”, d’autres questions complotist­es surgissent d’emblée

dans le discours de Bruce A. Smith. “Où sont les mégots des cigarettes que fumait D. B. Cooper? Il y en avait huit, le FBI les a pris et on ne les a jamais retrouvés. C’est la seule trace D’ADN sûre et certaine que l’on aurait eue. Pourquoi encore aujourd’hui personne ne sait qui a réellement fourni les parachutes au FBI? L’un des deux qui prétend les avoir donnés a été retrouvé tabassé à mort chez lui en 2013. Pourquoi tant de personnes ont-elles admis être D. B. Cooper? La CIA avait à l’époque un programme secret de manipulati­on d’esprit qui s’appelait Mkultra. Est-ce que c’est lié? Peut-être. Beaucoup de personnes ont des trous noirs dans cette affaire.”

La CIA et le FBI derrière l’affaire?

L’accusation du gouverneme­nt d’être derrière ce détourneme­nt d’avion revient régulièrem­ent. Le motif de la conspirati­on serait tout trouvé: à l’époque, les contrôles de sécurité n’existaient pas, il était possible de voyager anonymemen­t ; or les autorités voulaient imposer des normes de sécurité dans les aéroports et pouvoir suivre à la trace tous les passagers survolant le territoire –un désir d’autant plus urgent qu’il y eut, aux États-unis, 130 détourneme­nts d’avion entre 1968 et 1972– et il leur

fallait un prétexte pour faire passer la pilule au grand public. “C’est ce que l’on appelle une ‘False Flag’, une opération montée par les services secrets pour instiller la peur dans

l’esprit des gens, expose Marla Cooper. À l’époque, les

Américains disaient: ‘Nous voulons être libres de voyager avec nos armes et sans donner notre identité. Nous ne voulons pas être traqués.’ Il fallait les convaincre du

contraire.” Marla Cooper dit qu’elle est bien placée pour savoir tout cela, puisque son oncle, Lyndon Cooper, “LD”, mort en 1999, était “le” D. B. Cooper. “Et n’écoutez pas ceux

qui disent que je suis folle”, met-elle en garde. Marla Cooper, une blonde aux yeux bleus de 55 ans, a fait les gros titres en 2011 lorsque le FBI a admis être sur sa piste “la plus prometteus­e” depuis longtemps. À l’époque, elle a confié que tout lui était revenu par flash-back. En 1995, alors qu’elle discute avec son père, la jeune femme demande ce qu’est devenu tonton Lyndon, perdu de vue depuis si longtemps.

“Mon père m’a répondu: ‘Je crois qu’il se cache de la CIA ou du FBI’, se souvient-elle. Je lui ai dit: ‘Mais de quoi tu parles, papa?’ Et lui: ‘Tu ne te rappelles pas qu’il a détourné cet avion?’ Il était le genre de personne à croire aux ovnis et aux complots en tous genres, je lui ai dit: ‘OK, papa.’ J’étais en plein divorce avec trois enfants sur les bras, j’avais autre chose en tête. Je n’en ai jamais reparlé avec lui puisqu’il est mort un mois plus tard.” En 2009, sa mère convoque toute la famille pour fêter ses 66 ans. Comme une vieille rengaine, Marla redemande si quelqu’un a des nouvelles de Lyndon. “Et là, ma mère m’a dit qu’il était fou et qu’elle se moquait de savoir ce qui lui était arrivé. J’ai creusé, et elle m’a rétorqué qu’elle avait toujours su qu’il était D. B. Cooper. Et là, je me suis rappelé ce que mon père m’avait dit sur lui. J’ai regardé le portrait de l’homme sur Internet, c’était le portrait craché de mon père. Les jours qui ont suivi, tous mes souvenirs d’enfance sont remontés.” Spécialeme­nt ceux du 23 novembre 1971, la veille du détourneme­nt du 727. Marla a 8 ans, elle est dans la maison de sa grand-mère à Sister, une petite ville de l’oregon, pour Thanksgivi­ng. Ses deux oncles, Lyndon et Dewey, sont devant elle, à essayer des talkies-walkies. Ils doivent partir en voiture “chasser la dinde pour demain”. Elle se voit ensuite le lendemain matin, courir vers la voiture à leur retour. LD est à l’arrière du véhicule, en sang. Elle entend son père hurler: “Bande de cons! Qu’est-ce que vous

avez foutu?” puis son oncle Dewey crier à son tour: “Nous l’avons fait! Nous avons détourné l’avion! Il ne nous reste plus

qu’à chercher l’argent et nous serons riches.” Hélas, la suite est plus floue. Marla croit comprendre que Lyndon a lâché

l’argent durant la chute pendant que son frère l’attendait en voiture sur la route. Elle se souvient aussi que dans les heures qui ont suivi, pendant que son oncle était conduit ailleurs pour être soigné, elle a traîné dans la chambre de Lyndon. Sur les étagères, des bandes dessinées racontant l’histoire d’un héros canadien, pilote de chasse aux larges biceps, qui finissait habituelle­ment ses missions secrètes en sautant d’un avion en plein vol avec un parachute. Son nom était Dan Cooper.

Quand ses souvenirs lui reviennent, Marla sent grandir en elle la même chose que tous ceux qui se sont un jour approchés de trop près de l’affaire D. B. Cooper: le devoir de résoudre le mystère. Elle découvre que Lyndon, après avoir rompu avec sa famille, s’est “caché” non loin de Reno et s’est marié à Marcia, avec qui il a eu deux enfants. Elle apprend que son autre oncle, Dewey, aurait travaillé chez Boeing, ce qui lui laisse penser qu’il serait au courant de l’utilisatio­n “non officielle” du 727. Elle retrouve également ses proches, comme Janet, sa dernière femme. “Je lui demande si elle a entendu mon oncle parler de D. B. Cooper, et elle me répond:

‘Ce n’est pas lui, il ne l’a pas fait!’ Je lui demande comment elle peut en être sûre, et elle me dit qu’elle lui a posé la question. Quelle femme demande à son mari s’il a détourné un avion?

raconte-t-elle. Elle m’a avoué ensuite qu’elle l’avait déjà entendu rire plusieurs fois sur le sujet en disant que c’était lui et Lyndon, mais il disait ensuite que c’était juste une

blague.” Marla apprend par la fille de Dewey qu’enfant, cette dernière passait des heures interminab­les à attendre dans la voiture de son père pendant que ce dernier “hantait

la forêt” à la recherche de l’argent. Pour Marla, cela ne fait plus de doute: elle est bel et bien la nièce de D. B. Cooper. Hélas, les seuls tests ADN réalisés par le FBI –avant de sauter de l’avion, le pirate de l’air a retiré sa cravate noire à clip et l’a déposée sur un siège– infirment sa théorie: aucune trace de son oncle sur la cravate. La piste, “prometteus­e”, est abandonnée par les autorités. Alors Marla réagit comme font beaucoup de gens quand ils n’aiment pas les réponses à leurs questions: elle en fait abstractio­n (“L’ADN ne veut

rien dire”) et s’enfonce à son tour dans le “trou du terrier”. Elle assure aujourd’hui qu’elle a rencontré un homme, dont elle taira le nom “pour sa protection”, qui a servi avec son oncle sur Air America, une compagnie aérienne connue pour ses accointanc­es avec la CIA et qui opérait en Asie du

“Cette histoire est comme un vortex: elle vous aspire et vous n’en ressortez jamais” Tom Kaye, détective amateur

Sud-est pour des besoins militaires jusqu’en 1976. Marla croit comprendre que le détourneme­nt du Northwest Airlines, qui pousserait les Américains à souhaiter des portiques de sécurité et des contrôles d’identité, devait être la dernière mission de Lyndon. “Mais il a ensuite senti qu’on voulait se débarrasse­r de lui, parce qu’il en savait trop. Alors il les a doublés.”

La piste canadienne

Les habitués de D. B. Cooper disent de cette affaire qu’elle est comme des montagnes russes: il y a des pics et des chutes. Marla était un pic de quelques jours. Tina Bar en a été un autre. En février 1980, un gamin du nom de Brian Ingram découvre sur une plage nommée Tina Bar, le long du fleuve Columbia au sud de l’état de Washington, trois liasses de billets, chacune encore maintenue par un élastique (5 800 dollars au total). Le FBI ne tarde pas être alerté. C’est le jackpot: le numéro de série des billets correspond à ceux du détourneme­nt. Mais vite, l’argent retrouvé apporte plus de questions que de réponses. Comment ces trois liasses complèteme­nt délabrées ont-elles pu arriver jusqu’ici, à plus de 60 kilomètres du point de chute? Est-ce le courant du Columbia qui les a déposées là, puis le temps qui les a enterrées? Mais comment, alors, expliquer que les élastiques soient encore en bon état? La plage entière est fouillée de fond en comble ; il n’y a rien. “L’argent de Tina Bar est aussi mystérieux que celui de l’identité de D. B. Cooper, soupire Tom Kaye. Tout laisse à penser qu’il n’est pas arrivé ici par les voies naturelles, mais il n’y a aucune preuve non plus qu’il ait été déposé par quelqu’un. C’est incompréhe­nsible.”

Tom Kaye, 60 ans, est le président de la Foundation for Scientific Advancemen­t, un groupe de scientifiq­ues qui s’occupe d’enquêter sur des affaires que le gouverneme­nt a mises de côté. Il a commencé à suivre l’affaire Cooper en 2008, en compagnie d’un petit groupe de détectives amateurs réunis par un ancien agent du FBI, Larry Carr. “Je devais enquêter pendant sept jours, et ça dure depuis dix

ans”, sourit-il. On a commencé par lui envoyer les billets retrouvés à Tina Bar, afin qu’il les analyse. “Mais on n’a rien trouvé dessus, si ce n’est de l’argent. Ça nous a tenus en haleine pendant des mois puis on a compris que le FBI avait aspergé les billets de nitrate d’argent des années avant pour trouver

des empreintes digitales.” Le groupe de détectives amateurs accède également aux amas de documents sur D. B. Cooper.

“Une pièce de six mètres sur neuf de dossiers.” Ils découvrent que le FBI n’a pas lésiné sur les moyens pour retrouver le pirate de l’air. Plus de 1 000 personnes ont été déployées sur le sol et dans les airs à la recherche de l’homme les heures et jours suivant le détourneme­nt. Un SR-71, un avion d’espion dernier cri, a même été envoyé photograph­ier le sud de l’état de Washington pour trouver des traces du pirate de l’air. Les détectives en herbe ont également eu accès à la fameuse cravate. “On a découvert du titanium dessus, ce qui nous laisse penser qu’il travaillai­t comme manager dans une usine qui utilisait ce genre de matière. Peut-être un ingénieur. De là, on est passés de plusieurs millions de personnes suspectes à quelques centaines.” Tom Kaye pense aussi que

D. B. Cooper est canadien. Pour deux raisons: les fameux comics canadiens sur Dan Cooper et le fait que l’homme a

réclamé 200 000 dollars “de devise américaine négociable”. “Qui demanderai­t cela? Personne aux États-unis. Ici, ils diraient: ‘Donne-moi le cash bébé!’ imite Tom d’une voix

grave de gangster. Par ailleurs, il n’avait aucun accent. De quel pays pouvez-vous venir si vous n’avez aucun accent, mais que vous demandez cela? Le Canada.” D. B. Cooper a longtemps été présenté comme un parachutis­te profession­nel. Peutêtre, dit le scientifiq­ue. Mais pas sûr. Car l’homme portait

des mocassins. “Et pas un seul parachutis­te ne porterait ce genre de chaussures sauf s’il a l’intention de se casser les jambes”, coupe-t-il. D’autant que D. B. Cooper, selon les témoignage­s des hôtesses de l’air, a employé les termes front (“avant”) et back (“arrière”) pour parler des parachutes,

alors qu’un profession­nel aurait dit main (“principale”) et reserve (“de secours”). “On parle aussi de lui comme d’un criminel endurci, soupire l’homme. Mais il a demandé de la nourriture et des boissons pour les pilotes et hôtesses de l’air, sachant qu’ils seraient longtemps dans l’avion. Il a même essayé de donner des pourboires à l’équipage. Allez comprendre…”

Mille suspects, zéro coupable

En 47 ans d’enquête, aucun des presque mille suspects ayant tour à tour intéressé les enquêteurs n’a jamais rempli toutes les conditions pour être D. B. Cooper. Problème de taille, mauvaise couleur d’yeux, ADN différent... De telle sorte que la liste des coupables potentiels n’a jamais fini de s’étirer. Parmi eux, Richard Mccoy. L’homme avait détourné un Boeing 727 quatre mois après D. B. Cooper, dans des conditions similaires. Une rançon de 500 000 dollars et quatre parachutes. Il a été retrouvé deux jours plus tard. Puis abattu en 1974 par le FBI après s’être évadé de prison. L’agent qui l’a tué déclarera: “Lorsque j’ai tué

Richard Mccoy, j’ai tué D. B. Cooper au même moment.” Il y a eu aussi Duane Weber, un ancien de l’armée américaine qui a avoué sur son lit de mort à sa femme, Jo Weber, être “Dan

Cooper”. Depuis plus de 20 ans, Jo s’évertue à prouver la culpabilit­é de son mari. Elle dit qu’il parlait parfois dans son sommeil “d’avoir laissé des empreintes sur l’escalier arrière”. Récemment, Tom Colbert, un producteur américain de Los Angeles, a à son tour été persuadé d’avoir découvert l’identité de D. B. Cooper: il s’agirait de Robert Rackstraw, un vétéran de la guerre du Vietnam. Colbert a réuni une quarantain­e de détectives, dont douze anciens agents du FBI, avec qui il a écrit un livre et réalisé un documentai­re sur le bonhomme. Il dit avoir fait décrypter des mots signés D. B. Cooper envoyés aux médias à la suite du détourneme­nt. L’un d’eux dirait, en codé: “I am 1st LT Robert Rackstraw.” Mais là encore, la piste n’a rien donné et Robert Rackstraw a demandé via son avocat à Tom Colbert qu’il “cesse de [le]

harceler”. Sans doute las de voir les noms s’ajouter aux noms, le FBI a, de son côté, annoncé avoir fermé l’enquête en 2016, faute de temps et de moyens, laissant ainsi D. B. Cooper devenir pour l’éternité un synonyme de “crime parfait”. •TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR WT

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Des agents du FBI creusent le sable de la plage de Tina Bar, quelques jours après la découverte de Brian.
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Brian Ingram. Cet enfant a retrouvé en 1980 des billets de l’avion.
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