Meurtres dans la drill
Depuis le début de l’année, plusieurs dizaines de jeunes s’entretuent à coups de couteau dans les rues de Londres. Une criminalité que politiques et médias imputent à la drill, un rap lancinant venu des ghettos de Chicago.
Panique à Londres. Depuis le début de l’année, plusieurs dizaines de jeunes s’entretuent à coups de couteau, à tel point que la capitale britannique a récemment dépassé New York en matière de criminalité. Un pic de violence inédit que politiques et médias locaux imputent à la drill, un rap lancinant venu des ghettos de Chicago. Au risque d’une nouvelle croisade morale?
Cest arrivé par une belle soirée de printemps, le 5 mai dernier, au milieu des immeubles en briques du sud de Londres. Des coups de feu ont retenti, plusieurs adolescents ont couru et l’un d’eux s’est écroulé, en sang. Des voisins ont jeté un oeil à travers leurs fenêtres, dévalé les escaliers quatre à quatre puis tenté un bouche-à-bouche, avant que les secours n’arrivent. Tous ont espéré qu’un oeil s’ouvre, que la respiration reprenne. Mais le jeune homme étendu sur le pavé ne s’est jamais relevé. À 18h56, avant que sa mère ait pu se rendre sur place, Rhyhiem Barton, 17 ans, était déclaré mort. Tué par balles, dans le quartier de Camberwell, à quelques rues seulement de chez lui. Depuis, son éducateur, Sayce Holmes-lewis, répète les mêmes mots à ceux qui viennent lui rendre visite au Damilola Taylor Center, complexe sportif où il dispense conseils et “leçons
de vie” à des jeunes en difficulté. Certes, Rhyhiem n’était pas un “ange”, il enchaînait les renvois de l’école, testait
“souvent les limites de l’autorité”, mais ces derniers mois, il tentait de tirer un trait sur son passé de petite frappe. Deux ans plus tôt, il s’était déjà fait poignarder. Le coup avait frôlé le coeur. Rhyhiem avait survécu. Un miracle. Sa mère l’avait envoyé loin des embrouilles, chez son oncle, en Jamaïque, puis avait accepté son retour à Camberwell. L’adolescent avait entamé un parcours pour devenir architecte. “Il venait d’être accepté en stage dans un cabinet”, soupire Holmeslewis. Le Damilola Taylor Center est un bâtiment grisâtre planté au coeur du quartier voisin de Peckham, dont la porte d’entrée est barrée par un panneau rouge et blanc: “Do not bring weapons into the center.” À l’intérieur, suspendu à un mur, le cliché d’un garçon au visage poupin rappelle celui du jeune Rhyhiem quelques années avant le crime, quand il s’amusait encore à imiter l’accent jamaïcain ou à remuer la patte sur du dancehall pour épater la galerie. “C’est Damilola Taylor, informe Holmes-lewis. Cette histoire a eu lieu il y a plusieurs années (en 2000, ndlr). Damilola se promenait dans la rue et deux gosses l’ont poignardé au niveau de l’artère fémorale. Il n’avait que 10 ans.” À Camberwell, Rhyhiem avait une réputation à tenir. Celle d’un dur à cuire, rappeur de Moscow 17, un groupe connu dans le Grand Londres pour ses rimes et ses productions glaçantes. Dans leurs textes, les membres du collectif n’hésitaient jamais à menacer la concurrence, à commencer par le groupe Zone 2, établi à quelques rues de là, dans les estates de Peckham. Très vite, les provocations ont laissé place aux agressions physiques. Une guerre a éclaté, avec son lot de menaces quotidiennes et d’embuscades. Quelques semaines après le meurtre de Rhyhiem, ce fut au tour du leader de Moscow 17, Siddique Kamara –alias Incognito, suspecté un temps d’avoir assassiné un membre de Zone 2 à coups de katana–, de succomber lors d’un règlement de
comptes. Deux semaines plus tard, en guise de représailles, quatre garçons étaient attaqués dans la même rue de Camberwell. Identifiés, comme le veut la rengaine macabre, au milieu des sanglots et des sirènes de la police. La même chose est arrivée dans d’autres quartiers, à d’autres jeunes. Le soir du Nouvel An 2018, trois personnes se faisaient poignarder en ville. Quelques jours plus tard, le mannequin Harry Uzoka était assassiné dans un quartier résidentiel de l’ouest londonien. Hasan Ozkan, Promise Nkenda, Lewis Blackman, Kelva Smith ou Sadiq Aadam Mohamed avaient entre 17 et 20 ans. Ils ne sont que quelques noms parmi tant d’autres. Depuis le début de l’année, une soixantaine de personnes auraient déjà été tuées dans une rixe de ce type dans les rues de Londres. La plupart des victimes ont connu le même sort: poignardées à mort.
Le son d’une perceuse en marche
Le plus souvent, ces faits divers terminent sur les manchettes des tabloïds locaux, saturées d’horror stories et de zombie
knives, termes désignant ces longues lames récemment interdites, aperçues dans quelques séries B où l’intrigue tient tout entière sur un Post-it: survivre face à des morts-vivants. Les médias et les politiques semblent aussi s’être mis d’accord sur le grand coupable de cette épidémie de meurtres. Tout serait de la faute de la drill, bande-son officieuse de la vie des jeunes de Camberwell et alentour. Avec son rythme ralenti et ses mélodies lancinantes, cette musique née dans les ghettos américains évoque le son d’une perceuse en marche. Elle raconte la vie de rue, dans ses travers les plus sombres. Son icône, Chief Keef, devenu star à l’orée des années 2010, vient tout droit d’un quartier coupe-gorge de Chicago, l’une des premières villes des États-unis en termes de criminalité. “On rappait comme lui, en même temps que lui, sur le même genre de tempo lent, une musique avec de l’énergie, sur laquelle tu peux faire des exercices à la salle de sport. Même si certains en débattent encore, c’est nous qui avons ramené la drill dans ce pays”, claironne LD, leader du groupe phare de la ville, 67. En traversant l’atlantique, le genre a légèrement mué, se nourrissant de l’argot local. Un slang empreint de patois jamaïcain, parlé dans les rues de Camberwell, Peckham ou Brixton Hill, quartier caribéen du sud de Londres d’où viennent les membres de 67. Sur sa première vidéo à dépasser le million de vues, LD proclame avoir des “live corn” –des balles– dans son flingue. Chez les “drillaz”, le langage est codé: une arme à feu se dit skeng ;
fishing signifie “poignarder” ; swimming, “se faire planter”. Dans certaines rues, le nom du chef cuisinier Gordon Ramsay servirait même de subterfuge pour désigner les lames sans se faire repérer par la police. Et telle l’épingle à nourrice au temps des Sex Pistols, le couteau apparaît aujourd’hui comme l’un des accessoires fétiches de la drill britannique. Dans certains quartiers de Londres, aujourd’hui, il est devenu courant de croiser des ados arborant des gilets de protection contre les armes tranchantes, et d’autres foulant le bitume avec une allure boiteuse. Sayce Holmes-lewis les voit quotidiennement. “On reconnaît ceux qui ont des couteaux à leur démarche, dit-il. Les lames sont de plus en plus longues, toujours plus pointues et aiguisées. Ces gars ne peuvent même plus plier leur jambe.” Dans la moiteur d’un studio du centre de Londres, le producteur Carns Hill organise des “open mic” réunissant les rappeurs les plus prometteurs de la ville et leurs compères beatmakers. À l’entrée, ce soir de fin septembre, chacun est palpé des pieds à la tête. Alors que la nuit tombe sur la ville, le lieu se remplit de musiciens, certains à peine sortis de l’adolescence. Tous s’allument des joints, sifflent des gobelets de rhum, engloutissent quelques patties jamaïcains, avant de s’emparer tour à tour du micro. Un long type en doudoune noire peine à bredouiller quelques rimes. Un autre, bob vissé sur de fines dreadlocks, la moitié du visage couvert par un masque, rappe le torse bombé. Soudain résonnent les premières notes d’une instru drill. Une ritournelle sournoise aux basses furieuses. Les rappeurs secouent la tête, pour s’imprégner du rythme. Un métis
“On reconnaît ceux qui ont des couteaux à leur démarche. Les lames sont de plus en plus longues, toujours plus pointues et aiguisées. Ces gars ne peuvent même plus plier leur jambe” Sayce Holmes-lewis, travailleur social
“La police ne voulait pas que je rappe. Les concerts étaient annulés les uns après les autres. J’ai fini par mettre un masque, sinon ils m’auraient envoyé en prison” LD, du groupe 67
capuché surgit au milieu de la ronde et rappe jusqu’à s’époumoner, sous le regard admiratif de ses challengers du jour. Son texte évoque des “épées” et des
“sabres”. Il a le flow, mais aussi l’attitude. Celle qui fait arborer aux rappeurs de drill, été comme hiver, le “black tracksuit”, ce survêtement noir porté le plus souvent avec une paire de baskets assortie. Le lendemain, de l’autre côté de la ville, la prestigieuse salle de l’electric Brixton accueille d’ailleurs le rappeur Headie One, venu chanter son hymne
Tracksuit Love devant une arène pleine à craquer de jeunes issus de la classe moyenne, fascinés par les cagoules et les sourcils froncés des artistes présents sur scène. Dans un coin, une estrade a été installée pour accueillir des spectateurs
en fauteuil roulant, bien trop jeunes pour souffrir d’arthrose. À Londres, on se bat pour défendre un coin de rue, qu’importe
le prix à payer. “Tu ne peux même plus traverser certains coins sans risquer de te faire planter, souffle Sayce Holmes-lewis. Ces types disent qu’ils défendent leur rue, leur territoire. Mais tu te bats pour quoi? Tu ne possèdes rien! Ils ne sont même pas propriétaires de leur appartement et se battent jusqu’à la mort pour des codes postaux.” Plus que dans la rue, c’est encore sur la toile que les caïds et les rappeurs de drill se montrent, s’admirent ou se toisent. Instagram Live est l’endroit idéal pour que les rappeurs cagoulés s’embrouillent en chat vidéo. Snapchat voit parfois des bandes se filmer en train de tourner un clip en pleine nuit sur le territoire ennemi. Quant à Facebook, il permet par exemple de poster des selfies au sortir du bloc opératoire après avoir survécu à une attaque au couteau. Depuis quelques mois, une nouvelle tendance semble prendre une ampleur de plus en plus alarmante: les scoreboards. Il existe en effet, au sein des gangs de Londres, des tableaux de points qui donnent lieu à une véritable compétition macabre, parfois évoquée au détour de certains
lyrics. Le principe est simple: deux coups de couteau dans l’épaule rapportent un certain nombre de points. Une lame dans le ventre donne le droit au double. Souvent, les scores sont ensuite convertis en prime d’argent liquide. Travailleur social à Brixton et journaliste musical pour le Guardian ou Pitchfork, Ciaran
Thapar détaille: “C’est une compétition pour savoir qui va poignarder le plus d’adversaires. Les scoreboards existaient déjà avant mais les réseaux sociaux amplifient le phénomène en relayant les vidéos d’attaques qui servent de preuves.” Au milieu de tout ça, pour recenser les morts, informer des allers-retours en prison des rappeurs ou suivre les clashs de près, des comptes de fans comme @Gangsexposeduk ou @Sgsnitchgang fourmillent désormais sur Twitter. La réponse de la police a été à la hauteur du tapage médiatique. En mai dernier, Scotland Yard a fait suivre à Youtube une longue liste de clips de drill datant des deux dernières années. En tout, c’est une trentaine de vidéos qui ont finalement été retirées par la plateforme américaine sous prétexte de paroles trop violentes ou d’images montrant des couteaux ou des armes à feu. Certaines de ces vidéos ont même été utilisées comme preuves lors de procès. À cause de son clip de M to
da N, dans lequel il se vantait de plusieurs meurtres, le rappeur Lynch, aussi connu comme membre du gang des Burger Bar Boys, a par exemple été condamné à 27 ans de prison.
Perchée en haut d’une tour du quartier de Chancery Lane, l’avocate Jude Lanchin a l’habitude de défendre ces jeunes rappeurs embarqués dans de sales histoires judiciaires. Comme elle l’explique parfois devant la cour, il est impossible de comprendre pleinement l’étendue de cette vague de violence sans remonter jusqu’aux événements d’août 2011, quand un certain Mark Duggan, père de famille d’origine antillaise soupçonné de dealer de la cocaïne, est abattu par les forces de l’ordre lors d’une fusillade. S’ensuivent des émeutes sans précédent qui donneront lieu à plus de 3 000 arrestations, causeront plus de 200 millions d’euros de dégâts et feront cinq morts supplémentaires. “Le Premier ministre, David Cameron, voulait pouvoir dire que toute cette violence avait été orchestrée par les gangs. La matrice a donc été
mise en place à ce moment-là, comme
une réponse aux émeutes”, fulmine Jude Lanchin. La matrice, c’est une immense base de données listant tous les supposés membres de gang, tous ceux qui l’ont été et tous ceux qui pourraient potentiellement le devenir. Y sont aussi référencés leur entourage et leurs amis, tout comme ceux qui pourraient les côtoyer au quotidien. Pour chaque individu, un code couleur allant du vert au rouge permet de jauger le degré de dangerosité. “À moins qu’ils finissent par l’apprendre lors d’une affaire criminelle, les jeunes listés dans la matrice ne savent pas qu’ils le sont. La semaine dernière, j’ai encore vu quelqu’un se faire refuser l’inscription dans une école sous prétexte que son nom y apparaissait”, reprend l’avocate. Autant dire le genre de fichier opaque qu’amnesty International s’est empressée de dénoncer à plusieurs reprises, d’autant plus que 78% des personnes enregistrées y sont noires. D’après les informations recueillies par Jude Lanchin, certains policiers utiliseraient même le fait de fumer du cannabis comme critère pour classer des individus comme membres de gang. Quant aux clips de drill, ils servent aussi à remplir le fichier. À tel point que des rappeurs ont fini dans la base de données, recensés parmi les individus les plus recherchés. Comme LD, qui assure avoir été classé numéro 2 de la matrice il y a quelques années à peine. Aujourd’hui encore, il n’en revient pas: “Je n’avais rien fait, juste de la musique.” C’est, de l’avis général, l’explication au fait que tant de rappeurs de drill, en Angleterre, se produisent le visage masqué. LD, encore: “Ça paraît fou, mais la police ne voulait pas que je rappe. Elle disait que j’avais trop d’influence sur les jeunes, que je les poussais à faire des choses. Les concerts étaient annulés les uns après les autres. J’ai fini par mettre un masque, sinon ils m’auraient envoyé en prison, que ce soit légal ou pas.”
L’école de Chicago
Ciaran Thapar est l’un des rares à défendre la drill dans les médias britanniques. Il rappelle qu’un genre comme le punk a lui aussi été accusé de mettre de l’huile sur le feu de son époque. “La musique peut encourager une certaine violence mais elle ne la cause pas, soupiret-il. Comme dans tous les phénomènes de croisade morale de ce type, l’erreur est de se concentrer sur ce que l’on voit dans les médias plutôt que sur ce que cette dénonciation collective nous apprend de la société. La manière dont le gouvernement a traité tout ça est juste une extension de la manière dont la société voit les adolescents noirs de la classe populaire.” Peut-être est-ce justement parce que personne ne semble vraiment vouloir s’attaquer aux racines du mal que les membres de l’association Chaos Theory ont choisi de passer à l’offensive euxmêmes. Pour les rencontrer, il faut d’abord remonter tout au nord-est de la ville, dans la lointaine zone 4 du métro londonien. Là, au milieu du quartier riche de Woodford, un grand parc bordé de saules pleureurs rappelle aux promeneurs qu’il restera toujours ici des pelouses où la misère et le crime n’existent pas. “Bienvenue, vous êtes ici dans ce que l’on appelle entre nous la safe zone”, annonce d’emblée Pam en ouvrant la porte de l’association. Aux murs, des photos de jeunes adolescents souriants, toutes surmontées d’une mention “Rest in peace”. “Il faut que les gens avec qui on travaille puissent avoir un endroit sûr où aller. S’ils sortent de prison, ils peuvent venir ici plutôt que de retourner dans la rue”, explique Pam. Elle sait de quoi elle parle. La rue, Pam l’a côtoyée pendant des années en tant que travailleuse sociale, avant de baisser les bras devant le nombre de morts impossible à endiguer et l’acharnement policier à remplir les prisons au maximum. Bien décidée à trouver d’autres solutions, elle est alors partie à Chicago. Pas pour la musique, mais pour trouver un vaccin à toute cette violence. Car pour faire chuter son taux vertigineux d’homicides, la mégalopole du Midwest américain a mis au point de nouvelles méthodes au début des années 2000.
À l’origine se trouve un homme nommé Gary Slutkin. Après avoir passé dix ans en Afrique à combattre le sida, la malaria et le choléra, ce médecin épidémiologiste
“La manière dont le gouvernement a traité tout ça est juste une extension de la manière dont la société voit les adolescents noirs de la classe populaire” Ciaran Thapar, critique musical
identifie dans les quartiers chauds de sa ville les symptômes d’une maladie contagieuse. En résumé: un enfant exposé à l’horreur reproduira l’horreur. Comme face à une épidémie de grippe ou de tuberculose, il faut donc identifier les foyers de contamination et s’y attaquer de l’intérieur avant qu’ils ne se répandent. Il lance alors le programme Ceasefire, qui vise à recruter à Chicago d’anciens membres de gangs et à leur donner pour mission de convaincre les jeunes de déposer les armes. On les appelle des “interrupteurs de violence”. “J’ai rapporté ce modèle ici, en l’adaptant
au contexte de Londres”, reprend Pam en montrant un tableau blanc sur lequel est inscrit en gros le mot “Résilience”. Pour éviter l’escalade et endiguer l’épidémie,
les membres de Chaos Theory ont mis en place une technique qu’ils nomment le mapping. Elle consiste à cartographier pendant des mois chaque coin de rue d’un quartier pour savoir précisément qui fait quoi, tant dans les activités légales qu’illégales. Sans jamais rien dire à la police. “Regardez cette carte, dit Pam en montrant au mur l’immense plan urbain de l’est londonien. On couvre maintenant tout le quartier de Waltham Forest, à l’ouest de Woodford. On a des relais partout, on connaît tous les acteurs locaux et on est en contact avec tous ceux qui sont dans la rue. Avant, on ne contrôlait que certaines zones mais maintenant, on est implantés dans tout le secteur.” Grâce à son action, Chaos Theory a réussi à éviter 21 règlements de comptes l’année dernière, tout en aidant de nombreux jeunes à retrouver un emploi, un logement ou à décrocher des aides sociales. Mais difficile d’être partout. Au milieu de la carte, Vallentin Road fait tache. La presse anglaise a surnommé cette portion de béton “la rue la plus dangereuse d’angleterre”. Le visage de Pam s’assombrit. Quelques jours plus tôt, les ambulances y ont ramassé le corps d’un garçon de 19 ans.
Gospel sous cagoule
C’est dans une grande salle polyvalente au bord de la Tamise que sont parfois signés les armistices de ces longues batailles de territoires et de mots. Dimanche 30 septembre, comme chaque semaine, le Riverbank Plaza Hotel accueillait dans le sud de Londres la SPAC Nation Foundation, une organisation chrétienne qui s’attache à sortir les jeunes Noirs de la misère et des gangs grâce à la foi. Depuis sa création, cette église improvisée a fait couler beaucoup d’encre. À tel point que la police y a même fait, il y a quelques mois, un raid en plein milieu d’une messe. En cause, les prêches pas vraiment comme les autres délivrés par le pasteur Nathan Oki. Cet ancien membre d’un gang du sud-est londonien a fondé un groupe de drill hors norme: Hope Dealers. Via des morceaux comme Postcode Gods and God ou
Bally’s and Bibles, la bande de Nathan exhorte les jeunes malfrats à rendre les armes et à épouser la foi chrétienne. Quitte à prêcher la tête encagoulée. Ce dimanche, pourtant, Nathan est à visage découvert. Il a même sorti son plus beau costume. Aujourd’hui, ce n’est pas son groupe qui anime la messe mais un éducateur spécialisé nommé Armstrong Martins, dont les talents vocaux ont été révélés par le télé-crochet
The X Factor. Secouées de spasmes, plusieurs personnes se sont accroupies devant la scène tandis qu’à côté d’elles, une femme au chemisier rouge s’est évanouie. Derrière, des croyants lèvent les bras au ciel en récitant des psaumes d’un air possédé. On croirait assister à une cérémonie d’exorcisme collectif. Vient ensuite le moment du sermon. Un micro à la main, l’un des pasteurs de SPAC Nation appelle sur scène les âmes perdues qui souhaiteraient s’en remettre au Christ. Transperçant la foule d’un pas décidé, un jeune homme monte alors sur l’estrade. Habillé tout en sportswear, il ressemble à n’importe quel autre jeune des quartiers sensibles de Londres. Mais il porte sur l’épaule un sac à dos d’écolier. Alors qu’il en ouvre la fermeture éclair, un reflet métallique flashe l’assistance. Le visage grave, le jeune homme sort un long couteau de cuisine qu’il dépose délicatement sur l’autel. Ce jour-là, la guerre des codes postaux a perdu un nouveau soldat. Sans sanglots ni sirènes.