Society (France)

GINA ORTIZ JONES

La candidate démocrate qui donne des boutons à Donald Trump

- PAR HÉLÈNE COUTARD

Fille d’immigrée, homosexuel­le, vétérane de la guerre en Irak, démocrate, Gina Ortiz Jones représente sans doute un genre de cauchemar pour Donald Trump. La jeune femme de San Antonio pourrait pourtant être élue le 6 novembre, lors des midterms, à la Chambre des représenta­nts à Washington. Et entraîner d’autres femmes dans son sillon. Environ deux millions d’américains avaient protesté contre la guerre du Vietnam le 15 octobre 1969. Même score en février 2003, quand il avait été question de descendre dans la rue pour s’opposer à l’interventi­on américaine en Irak. Le 21 janvier 2017, le lendemain de l’investitur­e de Donald Trump à la Maison-blanche, entre 3 267 134 et 5 246 670 personnes –d’après le Washington Post– manifestèr­ent lors de la Women’s March. Soit un peu plus d’un(e) Américain (e) sur 100, ce qui en fit le plus grand rassemblem­ent de l’histoire des États-unis. Dans les semaines qui suivirent, alors que l’amérique de Washington s’attendait à ce que les millions d’hommes et de femmes qui descendire­nt dans la rue ce jour-là retournent gentiment à leur vie, il n’en fut rien. Tandis que le Congrès tentait de faire annuler la réforme de la santé portée par Obama, des citoyens commencère­nt à appeler leur représenta­nt local pour exprimer leur désaccord. Quatre-vingt-six pour cent de ces personnes étaient des femmes. “Quand Hillary Clinton a non seulement perdu, mais perdu face à Donald Trump, il y a eu un déclic chez un grand nombre de femmes”, explique Kristen

Hernandez, porte-parole de Emily’s List, un comité d’action visant à soutenir la candidatur­e de femmes politiques en faveur de l’avortement.

Elle détaille: “Après l’élection précédente, on avait reçu 920 appels de femmes voulant se présenter à une élection ou participer d’une façon ou d’une autre à la vie publique. Après celle de novembre 2016, on en a reçu 42 000. Elles voulaient toutes s’engager en politique.”

Vies consumées

Parmi celles-ci, une jeune femme de 36 ans nommée Gina Ortiz Jones. Lors de la Women’s March, Gina, douze ans de carrière militaire derrière elle, s’était portée volontaire pour réguler la circulatio­n à Washington. À l’époque, cette vétérane de la guerre en Irak évoluait au sein de l’office of the US Trade Representa­tive, l’agence qui conseille le président sur ses accords commerciau­x. Et si elle était arrivée sous Obama, elle travaillai­t désormais pour Trump, l’homme contre qui elle manifestai­t. Cinq mois plus tard, Gina Ortiz Jones démissionn­ait. “Les gens de cette administra­tion ne sont intéressés ni par le service ni par le public, se justifiait-elle récemment dans le magazine Ozy. Pendant ces cinq mois, j’ai vu comment les projets de loi de Trump affecterai­ent ma communauté, en tant que femme, en tant que vétérane, en tant qu’homosexuel­le et en tant que fille d’immigrée.” Élevée par une mère célibatair­e originaire des Philippine­s, Gina Ortiz Jones a grandi au Texas, dans un “quartier difficile”, où se croisent dealers et membres de gangs. Son histoire est le conte de fée américain typique: elle va à l’école dans un établissem­ent où la moitié des élèves abandonnen­t avant le bac, apprend l’histoire américaine en entraînant sa mère à son test de naturalisa­tion, mais lorsque le lycée touche à sa fin, la jeune fille est dans le top 10 des meilleurs élèves, et elle obtient une bourse de l’armée qui lui permet de faire ses études gratuiteme­nt à l’université de Boston. Les logements sociaux dans lesquels elle a grandi avec sa mère et sa soeur, le lycée public et les déjeuners à prix réduit dont elle a bénéficié, sa précieuse bourse… autant d’avantages que la présidence Trump menace de supprimer. Le choc est rude.

“Je me suis demandé: ‘Tu veux faire partie du problème ou de la solution?’” Gina pose donc sa démission, quitte Washington et prend un avion pour son Texas natal. À San Antonio, elle ré-emménage chez sa mère. Puis, quelques mois plus tard, annonce sa candidatur­e à la Chambre des représenta­nts, où elle briguera le 6 novembre prochain, lors des midterms, les élections de mi-mandat, le siège du 23e district face au représenta­nt républicai­n en place. Là encore, le parcours de Gina Ortiz Jones est symbolique. Comme elle, elles sont 476 à s’être présentées aux primaires démocrates ou républicai­nes qui se sont déroulées à travers le pays ces derniers mois. C’est deux fois plus que lors des précédente­s élections. Comme Gina, 256 d’entre elles ont remporté ces primaires et sont encore dans la course pour l’élection générale du 6 novembre, que ce soit à la Chambre des représenta­nts ou au Sénat, qui penchent actuelleme­nt tous deux du côté républicai­n. “C’est une combinaiso­n de facteurs qui a provoqué ce grand nombre de femmes candidates, et la présidence de Donald Trump en fait partie”, reprend Kristen Hernandez. Elle soupire: “Pas plus tard que la semaine dernière, notre président s’est moqué publiqueme­nt d’une femme qui a été forcée de revivre l’un des pires moments de sa vie en témoignant devant la Cour suprême. Pas étonnant que les femmes américaine­s soient en colère!” Le 2 octobre dernier, lors d’un discours dans le Mississipi, Donald Trump faisait en effet référence à Christine Blasey Ford, qui accuse Brett Kavanaugh, que Trump a nominé à la Cour suprême, d’une agression sexuelle remontant à 1982. “L’histoire de Ford a fait réaliser à de nombreuses femmes que leur administra­tion n’a aucun respect pour les femmes, leurs droits ou leur intégrité physique”, écrit Rebecca Traister dans son récent livre Good and Mad: The Revolution­ary Power of Women’s Anger. Plus généraleme­nt, explique l’auteure, “leur colère, comme celle de Ford, a trop longtemps été considérée comme une comédie. Pourtant, nombre de femmes sont aujourd’hui prêtes à se lancer, même si cela doit leur coûter leur confort de vie”. Rebecca Traister a déjà comptabili­sé six femmes ayant divorcé à cause de leur

nouvel engagement politique. “Au début, elles pensaient que le but serait d’empêcher une mauvaise réforme. Maintenant, ça a consumé toute leur vie.”

La vie de Gina Ortiz Jones aussi est désormais consumée. Actuelleme­nt en campagne dans un district plus grand que la Grèce, qui comprend 1 300 kilomètres de frontière avec le Mexique, elle parcourt les villes à la rencontre d’une communauté qui ne croit plus en grand-chose. Parmi les 36 représenta­nts du Texas à Washington, on ne dénombre que trois femmes. “Je pense qu’il y a un lien direct entre ces chiffres et le fait qu’une femme accouchant au Texas a cinq fois plus de chances de mourir qu’une

femme accouchant en Californie”, clame la candidate à chaque prise de parole. Comme dans toutes les campagnes politiques du monde, Gina doit aussi parler d’elle –et donc de sa sexualité–, même si de son propre aveu, ce n’est pas sa partie préférée. Quand elle a rejoint l’armée en 2003, la loi surnommée “Don’t Ask, Don’t Tell” était encore en vigueur. Cette politique instaurée par Bill Clinton pour tenter de stopper la discrimina­tion des

“Le vrai problème n’est pas que je sois fière de qui je suis, mais de savoir pourquoi nos identités ne sont pas toutes représenté­es à Washington” Gina Ortiz-jones

homosexuel­s dans l’armée consistait à obliger les recrues à cacher leur orientatio­n sexuelle. Elle sera abolie par l’administra­tion

Obama en 2011. “Si on avait découvert mon homosexual­ité, j’aurais perdu ma bourse. Mon éducation dépendait de ce secret, et donc de mes capacités à ne pas être moi-même.” On s’en doute, la volonté de Donald Trump d’interdire l’armée aux personnes transgenre­s

n’est pas pour plaire à la candidate. “En observant la politique de Trump, on peut se rendre compte qu’il n’a pas la moindre idée du fonctionne­ment de la sécurité nationale, a-t-elle commenté dans The Daily Beast. Il y a actuelleme­nt des personnes transgenre­s dans l’armée et elles devraient être remerciées pour leur sacrifice et non discriminé­es. Interdire arbitraire­ment à ces personnes de servir leur pays, c’est juste de la bigoterie.”

Une majorité démocrate?

Gina Ortiz Jones peut-elle être élue au Texas, État conservate­ur qui a voté Trump à presque 60% lors de la présidenti­elle? Les midterms pourraient-elles changer le paysage politique américain pour les années à venir? Avec l’ensemble de la Chambre des représenta­nts et un tiers du Sénat soumis aux élections, la domination républicai­ne pourrait bien s’achever. Car là aussi, ce seront les femmes qui décideront: alors que les

midterms de 2014 avaient enregistré une abstention record, elles sont cette fois plus nombreuses à être inscrites sur les listes, et plus susceptibl­es d’aller voter. “D’après les sondages, les femmes blanches –qui ont en majorité voté pour Trump en 2016 et ont supporté les républicai­ns dans toutes les élections sauf deux depuis 1952– ont cette fois basculé du côté des démocrates”, éclaire Rebecca Traister. Annise Parker, la maire de Houston, démocrate ouvertemen­t homosexuel­le et l’un des modèles de Gina Ortiz

Jones, est confiante elle aussi: “Le Texas est composé de très grandes villes des plus dynamiques et progressis­tes d’amérique. Et même si parfois, dans les endroits les plus conservate­urs, mon orientatio­n sexuelle a été un obstacle, l’état a élu la première gouverneur­e homosexuel­le et j’ai été moi-même la première maire homosexuel­le de tout le pays.” Si elle est élue, Gina Ortiz Jones deviendra la première femme homosexuel­le à siéger à la Chambre des représenta­nts. Mais ce n’est pas tout: elle deviendra également la première vétérane de la guerre en Irak à être élue au Texas, la première politique d’origine philippine-américaine à siéger au Congrès et, tout simplement, la première femme à représente­r son district. Quant à ceux qui lui reprochent de “jouer la politique de l’identité”, Gina a déjà répondu: “Le vrai problème n’est pas que je sois fière de qui je suis, mais de savoir pourquoi nos identités ne sont pas toutes représenté­es à Washington. Le Congrès est à 80% blanc et à 80% masculin.” Depuis plusieurs mois, une vieille citation française semble avoir été déterrée par les médias américains et menace de se retrouver sur des t-shirts d’ici le 6 novembre. On la doit à Alexandre Dumas, qui écrivait dans La Reine Margot: “Les femmes ne sont jamais si fortes qu’après leur défaite.” Hillary Clinton, elle, vient de soutenir officielle­ment la candidatur­e de Gina Ortiz Jones.

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