Society (France)

Philippe Katerine

- PAR FRANCK ANNESE ET MAXIME CHAMOUX / PHOTOS: FRANKIE & NIKKI POUR SOCIETY

Il illumine de sa folie et de son empathie un Grand Bain d’eau tiède. Il épate les rappeurs sur Skyrock en freestylan­t sur des accidents de la route. Il découvre la musique assistée par ordinateur en 2018. Est-il vraiment possible de ne pas aimer Philippe Katerine?

Il illumine de sa folie et de son empathie un Grand Bain d’eau tiède. Il épate les rappeurs sur Skyrock en freestylan­t sur des accidents de la route. Il découvre la musique assistée par ordinateur en 2018. Philippe Katerine n’est jamais là où on l’attend mais, bizarremen­t, il vise toujours juste. Et si sa dernière surprise était de fomenter une révolution?

Vous allez avoir 50 ans. Ça vous fait quoi? Ça fait plaisir. Je pensais ne jamais y arriver. C’est toujours une satisfacti­on de passer entre les gouttes. Bon, je ne vais jamais chez le médecin, faut dire…

Vous avez l’impression d’être plus épanoui aujourd’hui qu’à 25 ans? Disons que j’ai l’impression de savoir trouver le soleil plus rapidement. À 20 ans, j’avais plus tendance à m’enfermer, à m’abandonner au désespoir. Aujourd’hui, c’est totalement hors sujet pour moi, mais à l’époque, j’étais totalement mélancolo. À part le premier groupe que j’ai monté avec mon voisin (il chante) ‘Ne marchez pas sur l’heeerbe,

fumez-laaa’, mes premières chansons personnell­es étaient très mélancolo. Mon deuxième disque… Comment il s’appelait déjà? L’éducation anglaise. Bah, c’était très mélancolo. C’est parce que je suis un homme de l’ouest. Je crois que ça compte. Les plus beaux couchers de soleil sont pour nous. Donc la mélancolie. Et la plage. Les garçons de la plage.

Et la bossa nova. Vos premiers disques avaient un parfum bossa nova… Ça, c’est mon oncle. Il était de Walliset-futuna. Là-bas, ils jouent aussi en picking (technique de jeu à la guitare caractéris­tique du blues, de la country et

de la bossa nova, ndlr). C’est lui qui m’a appris les rudiments de la guitare. Je ne savais même pas ce que c’était que la bossa. Et un jour, on m’a dit: ‘Ah ton

disque, il fait un peu bossa nova.’ Mais bon, quand tu réécoutes, ça fait surtout bossa jouée par un type qui ne sait pas ce que c’est.

À partir de quel moment avez-vous pu vivre de votre musique? C’est arrivé très vite. Dès 1991, j’ai fait des concerts tout seul avec ma guitare et je prenais 2 000 francs. À l’époque, j’étais en contrat emploi solidarité, et tout à coup, en un soir, je gagnais plus qu’en un mois. Et rapidement, on m’a demandé de faire des chansons pour une Japonaise, Kahimi Karie, qui était une grande vedette dans son pays. Ils me payaient les chansons 10 000 francs cash, dans une enveloppe, c’était génial. Comment avez-vous fait votre éducation musicale? Comme on n’avait pas de disques chez mes parents, à Chantonnay

(en Vendée, ndlr), je me ruais sur les magazines musicaux pour lire les toutes petites chroniques. Quand je lisais ‘excentriqu­e anglais’, ça me galvanisai­t. Ça me semblait être des gens seuls dans leur chambre qui devaient un peu me ressembler. J’étais un fou de The Pastels, The Monochrome Set et surtout Momus. Un génie. Je lisais un fanzine qui venait de Nantes qui s’appelait Les Anoraks sages, auquel j’avais envoyé ma cassette. Une fille là-bas l’avait repérée, elle s’appelait Anne Moyon. On s’est mis à correspond­re. Elle m’envoyait des cassettes que je chérissais, je pouvais découvrir des milliers de choses: Jonathan Richman,

Johnny Thunders… On s’écrivait tout le temps, et on s’est déclaré la flamme. On ne s’était jamais vus, c’était une relation épistolair­e. Et puis, un samedi après-midi à Nantes, il pleuvait très fort et j’ai vu cette silhouette sous la pluie. Elle avait un kabic rouge et je me suis dit: ‘C’est elle, bien sûr

que c’est elle !’ Je l’ai suivie. Elle est arrivée à une porte, elle a sorti une clé, je lui ai dit: ‘C’est toi, peut-être? Je suis Philippe.’ On s’est regardés et on s’est embrassés. On a eu un enfant ensemble. Elle était étonnante: à la fois hypercatho­lique et adorant les grands drogués, les martyrs du rock’n’roll.

La religion, c’était quelque chose de très fort en Vendée, et pour vous… C’était ma vie. Je voulais être curé. J’étais dans une école catholique avec frère Gérard. Il était exactement comme on peut l’imaginer, frère Gérard. Bien chelou. Suspect. Attention, il n’y a jamais eu de sévices, hein. Moi, j’étais fan de Jésus. La figure érotique de Jésus. Je me prenais un peu pour lui. J’ai eu ma première éjaculatio­n dans mon lit, les bras en croix. Je sentais Marie-madeleine et Marie au pied de la croix, j’entendais l’orage, je sentais que tout était là, je m’étais même mis une petite serviette autour du bassin, pour faire comme sur les représenta­tions de Jésus sur la croix. J’étais Jésus, dans mon épisode préféré de la Bible, la crucifixio­n, et c’est parti à ce moment-là. Par le petit tuyau. C’était l’extase. L’extase totale. Y avait que ça qui m’intéressai­t, la crucifixio­n. Avec des femmes à mes pieds. J’avais 12 ans, un truc comme ça. L’école catholique, c’était un choix de vos parents? Non, c’était naturel. Ma mère était instit de maternelle dans cette école catholique. Elle a été ma première maîtresse, comme j’aime à le dire. En Vendée, c’est comme ça: tu vas chez les cathos, tu fais du basket et pas du foot parce que si tu fais du foot, tu vas dans le laïc. Le basket, c’est un sport de curés par excellence. J’y ai joué dix ans, je ne pensais plus qu’à ça. Mais j’aurais voulu jouer au foot, j’ai toujours adoré le foot.

Il paraît que vous habitez en face de chez Neymar, aujourd’hui. C’est vrai. Je l’observe avec des jumelles. Il boit du champagne. Ce que j’aime bien, c’est guetter les dimanches soir de match au Parc, quand il rentre chez lui. La lumière s’allume dans la nuit, vers 1h. Il revient du boulot, quoi. Mais je dois reconnaîtr­e que Mbappé réinvente plus le foot que Neymar. C’est très impression­nant à voir, ce génie. Et en direct! Je veux dire, on voit ça dans le courant de notre vie. Il redéfinit tout, comme PNL redéfinit le hip-hop en France. Dès qu’ils sortent un truc, tout le monde est là: ‘Ah ouais d’accord…’

Vous aimez PNL? C’est juste que je trouve ça ‘sexe’. C’est animal, ça sent fort. Un morceau comme À l’ammoniaque, je l’ai réécouté des dizaines de fois. C’est un arpège éculé qu’un musicien de 15 ans d’âge repoussera­it tout de suite. Mais il y a quelque chose de ‘sexe’. Je les ai vus à Cannes, pendant le festival. Ils avaient un gros budget coiffeur. Moi, j’avais gobé un truc, donc j’étais complèteme­nt fasciné. Leurs coiffures étaient incroyable­s, lissées au millimètre. Ce soir-là, j’ai aussi eu la joie de rencontrer Thomas Bangalter, de Daft Punk. Il est arrivé vers moi avec son ami acteur et dessinateu­r Romain Duris. Il était sans son casque. Je n’aime pas rencontrer mes héros mais je ne savais pas que c’était lui. Quand il m’a dit qui il était, j’ai eu le souffle coupé. Il avait une haleine fraîche…

Vous lui enviez son anonymat? Je prends encore le métro. Mais bon, là, avec le film de Lellouche (Le Grand Bain, ndlr), c’est niqué. Ce matin, j’étais dans la rue et quelqu’un m’a dit: ‘Hé Thierry, t’as pas oublié tes affaires de piscine, j’espère?’

Sympa, mais un peu hors sujet.

Vous vous attendiez à ce succès? Je ne m’attendais à rien, je ne savais pas.

Pourquoi avez-vous accepté ce film? Parce que je l’ai tout de suite aimé, lui. Lellouche. Quelque chose dans ses yeux, dans son corps, qui m’attirait. Avec mon obsession de Jésus, je voyais un Romain. Il a le physique d’un Romain, Lellouche.

Les gens rient beaucoup dans la salle quand votre personnage apparaît. Ils ne rient pas de vous, ils rient comme en voyant un vieil ami. Vous étiez conscient de créer cette empathie en jouant? Non, pas du tout. Je suis dans un personnage, je ne suis pas moi. Ou plutôt, je suis moi à 14, 15 ans, quand on m’appelait ‘Poubelle’. À cette époque, je portais un blouson dont les manches descendaie­nt très bas, on ne voyait pas mes mains. On m’a appelé ‘Poubelle’ pendant un an. Le blouson jusqu’au bord des ongles, je l’ai refait dans le film, c’était ma propositio­n pour le rôle.

Quels souvenirs gardez-vous de ce tournage? Des vertiges insensés de sons. Quand je vais travailler, c’est plutôt pour trouver du calme, et là, je retrouvais l’agitation de 60 personnes avec un gars, Benoît, qui te hurle dans les oreilles. Je n’ai jamais vu ça. La nuit, j’avais la voix de Benoît Poelvoorde qui résonnait dans ma tête. Il accapare l’attention de tout le monde avec sa voix puissante, ça peut durer un après-midi. Et ce qu’il y a de fou, c’est que les 60 personnes en face sont pliées de rire pendant tout l’aprèsmidi. Ce n’est possible que parce qu’il est génial. Il criait: ‘Gros menton!’, c’est comme ça qu’il appelait Gilles Lellouche. Il est excessivem­ent drôle à observer,

“J’étais fan de Jésus. Je me prenais un peu pour lui. J’ai eu ma première éjaculatio­n dans mon lit, les bras en croix. C’était l’extase. L’extase totale”

“PNL, je trouve ça ‘sexe’. C’est animal, ça sent fort. Je les ai vus à Cannes, ils avaient un gros budget coiffeur”

Benoît. Il se met dans un coin, il fait un campement –comme ceux des SDF dans la rue avec des cartons– pour pouvoir lire tranquille. Et il ne faut jamais toucher à son campement. C’est une poésie, le mec.

Vous aimez ce rôle d’observateu­r, sur un tournage? Ah oui. D’ailleurs, j’ai beaucoup dessiné sur ce tournage. C’est un terrain d’observatio­n insensé. Il faut manger ensemble, donc: qui se met à côté de qui? Il y a des habitudes qui se créent, c’est une microsocié­té, un monde. Là-dessus, le cinéma me fait beaucoup de bien, du point de vue ‘réinsertio­n sociale’.

Comment ça? Manger à 20 autour d’une table, pour moi, c’est une épreuve insensée. Mais je le fais parce que je sais que ça me fait du bien. Après, le problème avec le cinéma, c’est que je suis du genre à laisser déborder mon personnage sur la réalité. Par exemple, dans le film Le Petit Spirou, ils m’avaient collé des énormes oreilles. Ma virilité s’en était trouvée galvanisée. Ça me plaisait énormément. Tant et si bien que j’ai pris contact avec un chirurgien plastique pour me faire agrandir les oreilles. Il était stupéfait: ‘–Ah non, mais ça, on ne peut pas… –Comment ça, on ne peut pas? Les gens peuvent se faire réduire les oreilles, on

devrait pouvoir se les faire agrandir.” Il m’a dit que ça allait me coûter 15 000 euros et que ça ne serait pas remboursé par la Sécu. Je lui ai dit: ‘C’est pas grave: j’ai le budget.’ Mais il m’a refusé l’opération. ‘C’est un

délire’, qu’il m’a dit. Un ‘délire’! Je déteste ce mot. Heureuseme­nt, après le tournage, j’avais la permission de me balader avec mes fausses grandes oreilles. Un jour, je suis allé à la piscine avec. J’ai plongé et avec l’impact de l’eau, mes fausses oreilles ont explosé et se sont retrouvées au fond de la piscine. Un type est allé les chercher en apnée et est remonté en me les tendant: ‘Monsieur! Vos oreilles!’

Vous avez tourné, depuis Le Grand bain? La semaine dernière, je tournais avec Valérie Donzelli à l’hôtel de Ville, dans les bureaux d’anne Hidalgo. C’est monstrueux, ce qui est proposé au niveau de la décoration. Monstrueux. Du coup, au bout d’un moment, tu regardes le plancher parce que tu as envie de vomir, et c’est rempli de souris! Des rongeurs qui te passent entre les jambes alors qu’on est 50 dans la pièce. C’est affreux. Qu’est-ce qu’ils attendent pour raser ce bâtiment? Moi, j’aime bien Hidalgo, mais quand même, je trouve que son bureau, c’est n’importe quoi. Il y a une oeuvre de Speedy Graphito (peintre français à michemin entre le mouvement de la figuration libre des années 80 et le street art, ndlr) qui dit: ‘La peinture me rend marteau.’ Tu te dis: ‘C’est ça qu’elle a posé dans son

bureau à l’hôtel de Ville?’ Ça rend service ni à la peinture ni au lieu. Faut raser. Comme le Louvre. C’est fini, tout ça.

Qu’est-ce qui est fini? Le lieu du pouvoir. Ce voyage au coeur de l’hôtel de Ville m’a amené à cette conclusion: rasons de près, pour faire du frais.

On n’avait pas perçu ce jusqu’au-boutisme anarchiste dans votre oeuvre… Je suis vendéen. Donc la République… Vous avez entendu ma chanson pour Les Herbiers? J’y disais toute ma haine du pouvoir. L’arrivée de la cinquantai­ne ne se fait pas du tout dans la sérénité. D’ailleurs, le disque que j’enregistre actuelleme­nt est très, très agité.

Qu’est-ce qui vous agite? J’ai l’impression qu’il y a eu un séisme fin août, début septembre. Ça a été vraiment cruel: nos ennemis ne sont plus les mêmes, on n’a plus vraiment Daech, on ne sait plus tellement. Quand on regarde les actualités, on se sent perdu. Autour de moi, c’est le bordel total.

C’est important de savoir qui est ‘l’ennemi’? Bien sûr, il faut des repères! C’est une équipe de foot contre une autre. Tu choisis ton maillot.

Si l’ennemi n’est plus Daech, qui est-ce? J’ai bien des idées, mais… Il faut vraiment raser l’hôtel de Ville. Il faut passer à autre chose. Quand je lis le livre d’hidalgo sur la pollution –qui se lit en une demi-heure–, bon, elle est contre la pollution comme tout le monde, mais quand je referme le livre, quand les pages se referment, il y a une odeur qui se dégage et cette odeur, c’est le crottin de cheval.

C’est-à-dire? Ce que je regrette dans l’époque, c’est qu’elle n’est pas assez radicale: on veut le beurre et l’argent du beurre. Mais quand on referme le bouquin, ce qu’on veut, c’est aller dans la rue pour tout brûler. Regardez les jeunes qui balancent du sang sur les boucheries. Bon, je trouve ça affreux comme idée, mais ça a le mérite d’être complèteme­nt radical. Là, ça bouge. J’ai besoin de sang, même s’il est faux.

On ne vous attendait pas en révolution­naire. Je ne vous le cache pas, c’est la crise de la cinquantai­ne.

On a pourtant du mal à vous imaginer très en colère! Il y a une phrase de Macron qui m’a complèteme­nt sidéré. La phrase la plus idiote depuis le début de la République. C’est un jeune qui lui dit, lors d’une visite en province: ‘Eh Manu, tu veux faire un

selfie?’ et lui, il répond: ‘D’abord, vous me vouvoyez, et je m’appelle Emmanuel. Ensuite, si vous voulez faire la révolution,

passez d’abord des diplômes.’ ‘Si vous voulez faire la révolution, passez d’abord des diplômes’? C’est un crachat sur tous les révolution­naires de 1789, ceux grâce à qui il est là. C’est hallucinan­t, tellement insultant pour ceux qui sont allés dans la rue! J’ai envie de tout foutre en l’air.

En attendant de tout casser, vous travaillez donc sur un nouveau disque. Je suis en studio depuis mai, oui. C’est très long parce que j’ai été interrompu par la promo du film et puis j’ai beaucoup de chansons. Beaucoup de choses à dire. Je me suis mis à l’informatiq­ue: la MAO (musique assistée

par ordinateur, ndlr). Je ne connaissai­s pas. Vachement bien!

Votre voix a beaucoup changé avec le temps, elle est désormais beaucoup plus haut perchée, enfantine. Quand j’ai écrit

Louxor j’adore, je ne savais même pas que je pouvais aller aussi haut. C’était un dimanche soir, je l’ai faite très vite. Et ça m’a libéré. Je me suis dit: ‘Ah, je peux faire ça aussi.’

Qu’est-ce que ça a libéré? C’est comme quand tu te mets à poil devant plein de gens. Tu y trouves plus d’avantages pour toi que pour les autres. Toi, ça te libère. Les autres, ils en chient, mais ce n’est pas ton problème. La nudité, au fond, ça ne fait chier que les autres. Pas celui qui est à poil.

Votre rapport à la nudité semble avoir changé aussi. Sur la pochette de L’homme à trois mains, votre nudité était un peu dandy. Aujourd’hui, elle semble plus sauvage. Je me pose moins de questions. Je m’en branle complèteme­nt. Dans ma vie privée, je ne m’appelle pas Philippe Katerine, je ne peux pas me mettre à poil comme ça. En revanche, quand c’est Philippe Katerine, faut pas me le dire deux fois, hein. Surtout s’il y a un appareil photo ou une caméra. Là, je suis content.

Katerine est exhibition­niste, là où Philippe est voyeur? Complèteme­nt voyeur, le Philippe.

En parlant de voyeurisme, vos interviews télé sont souvent très dures à regarder. Les animateurs et chroniqueu­rs y font régulièrem­ent planer le doute d’une imposture et vous parlent comme si vous étiez idiot –on pense notamment à vos passages dans On n’est pas couché. Est-ce que ça vous touche? Au contraire. Il y a un grand plaisir à être incompris et à être invité tout de même. Moi, mon préféré, c’était Zemmour. J’adorais quand il disait: ‘Pour moi, c’est la lie de la civilisati­on d’aujourd’hui, votre musique!’ C’étaient des fleurs que je recevais! Je me souviens, après l’émission, je le remerciais. Il faisait une tête… comme les rongeurs de l’hôtel de Ville! À renifler partout. Enfant, je regardais Platine 45 de Jacky Jakubowicz. Forcément, quand tu vois ça, ça te libère. C’était l’idiot à la télé, et brillant en même temps. Une figure fascinante, très pop, qui faisait passer des chefs-d’oeuvre.

Les Inconnus, Les Nuls, tout ça, vous regardiez? Tous les gens nés entre 66 et 84 ont baigné là-dedans, dans cette ironie. Donc comment faire avec ça? J’essaie de m’en tenir éloigné parce que c’est affreux, au bout d’un moment, l’ironie. T’as tout qui crève autour de toi et on nous donne juste de l’ironie. Ce n’est plus du tout l’affaire des jeunes, d’ailleurs: l’ironie est complèteme­nt démodée. Je vois ma fille avec son mec, ils prennent les problémati­ques liées à l’avenir de la planète à bras le corps. Les jeunes sont vachement là-dedans, vous avez noté? Alors que nous, on s’en branlait complèteme­nt.

Comment on fait pour bien vieillir dans ce domaine de la pop, la musique de la jeunesse par excellence? Il faut être curieux. Il y a plein de chanteurs en activité qui n’achètent plus de disques depuis des années. Ils ne savent plus ce qui se fait, ils sont déconnecté­s. Moi, je suis très curieux. Avec mon copain Dominique A, dès qu’il y a un disque qui sort, on s’appelle, on est énervés. On a la même excitation. C’est comme Ferré après 68 qui se met à jouer avec un groupe de pop: on sentait que les jeunes étaient excités de jouer avec lui, et lui était excité de jouer avec les jeunes. C’était sexuel. Ça donne des disques super. Et je ne dis pas ça parce que je vais vers sa coiffure

(rires). Quand tu écoutes Kendrick Lamar aujourd’hui, c’est puissant, et puis toutes ces chanteuses que j’adore: la petite Angèle, Tal ou la délicieuse Aya Nakamura. ‘La plus bonne de mes copines’, j’en suis fou.

Vous êtes très chanteuses. Je suis une chanteuse, moi aussi. Je m’appelle Katerine. Il paraît que vous êtes fan de Kanye West. J’adore son dernier disque, Ye. Il m’a rendu fou. C’est comme un open space, un atelier, ça rappelle la Factory, Warhol. On est dans un laboratoir­e du CNRS contrôlé par un cerveau amoindri, détérioré. Je crois que c’est quelqu’un de malade et, souvent, la grâce arrive des gens malades. Je ne sais pas si vous avez eu la chance d’être malade récemment ou juste d’avoir une vraie gueule de bois. C’est dans ces moments-là qu’arrive la lumière. Et puis, il s’est mis dans une situation familiale complexe avec les Kardashian, ce qui obstrue pas mal sa vision des choses. Cet aveuglemen­t fait que la lumière arrive d’un autre côté. C’est comme Mbappé, il crée des formes nouvelles. Et puis, la pochette est magnifique. ‘I hate being bipolar, it’s awesome’ (‘Je déteste être

bipolaire, c’est génial’, ndlr), j’adore ca. Kanye West, c’est un enfant malade créatif.

Vous avez dit traverser des petites dépression­s chaque fois que vous terminez un disque. Il y a plein de façons de composer un disque. Moi, ça se fait souvent en trois mois. Au début, je suis lourd, je suis plein de quelque chose, il faut absolument que ça sorte. Et après, je suis vidé. Je ne suis plus rien, juste une serpillièr­e. On peut me marcher dessus. Alors que quand je compose, je suis Dieu: je reconstrui­s du temps. Ces trois minutes n’auraient jamais existé sans toi.

Qu’est-ce qui vous fait refuser un projet?

(Il hésite) Pour que je dise oui, il faut qu’il y ait une excitation sexuelle. Mais sexuelle dans le sens du petit enfant qui découvre la sexualité. Qui découvre que quand il triche à l’école, quand il se cache derrière un arbre et que tout le monde le cherche, il est excité.

Tout est souvent affaire de sexe, avec vous. Bien sûr. Tout tourne autour de ça. Vous ne le constatez pas? Et plus on vieillit, plus c’est le cas. Il y a ce réalisateu­r portugais que j’adore, João César Monteiro. Comme tous les artistes, il associe érection et création. Mais son dernier film, c’est sur le fait de ne plus bander. C’est son film le

plus beau. Quand tu ne bandes plus, tu ne crées plus.

Depuis Peau de cochon, vous n’avez plus réalisé de film. Vous aimeriez en refaire un? Oui, j’aimerais bien. Mais ce n’est pas facile. Pour être acteur, tu n’as pas besoin de bander. Je crois que Darry Cowl, à la fin de sa vie, il ne bandait plus. C’est l’un de mes acteurs préférés. Mais pour être réalisateu­r, il faut triquer à mort. T’imagines l’énergie qu’il faut avoir pour faire des réunions? Réaliser un film avec toute une équipe, ça, ça me dit bien. Un film en costumes, sur la vie des Chouans. Je trouve que la chouanneri­e a été très mal traitée au cinéma. Terrence Malick aurait fait un très beau film sur les Chouans.

Pourquoi avoir refusé la médaille de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres? Il faut faire une démarche, et c’est une démarche très déplaisant­e. Ceux qui la reçoivent font semblant de tomber des nues, mais en fait, il faut renvoyer une lettre de motivation pour que ça aboutisse. Il faut se soumettre à la République. Ce qui, pour moi, en tant que Vendéen, est impossible. Je ne me soumettrai jamais à la République. Jamais.

Vos parents étaient sur la même ligne? Oh oui! Tous mes ancêtres ont été décimés durant les guerres de Vendée. Mon père était passionné d’histoire vendéenne, il me décrivait des choses terribles. Les oreilles tranchées des Vendéens que les Bleus se mettaient en collier, comme des trophées. C’est quelque chose comme 300 000 morts (les historiens évoquent plus de 200 000 morts, ndlr). À l’école, on n’en parlait pas, mais c’était un génocide, hein.

Politiquem­ent, ils se situaient comment, vos parents? À droite. Bon, centre à la fin. Parce que Sarkozy ne leur plaisait pas du tout. Moi, j’étais complèteme­nt contre. La droite, ça me dégoûte toujours autant.

Quel est votre rapport à l’argent? Mes parents n’en avaient pas trop. On n’allait jamais au resto, par exemple. Toute gratificat­ion ou cadeau se méritait. J’ai aussi été élevé dans l’idée qu’on n’abandonne jamais: quand on a une proie en main, il faut la manger jusque dans ses organes. Mais moi, j’ai fait en sorte de gagner de l’argent pour n’avoir jamais à en parler. Quand j’entends parler d’argent, ça me dégoûte. Je dépense très peu. Je ne dépense qu’au resto. Je ne porte que des fringues d’occasion. C’est vraiment un sujet qui me répugne.

Pour finir, tout autre chose: comment expliquez-vous votre succès auprès des femmes? Encore une fois, je suis une femme: Katerine. Le succès dont vous parlez, si éventuelle­ment il existe, c’est parce que les femmes ne ressentent aucun danger. Je n’ai jamais eu l’esprit de conquête. Je me sens plus comme un nounours. Ça m’arrive même souvent de m’en plaindre. Plus jeune, c’était dur, j’avais du mal à conclure à cause de ça. Je vais vous raconter une histoire. L’autre jour, je rentrais de l’anniversai­re de Dominique A, complèteme­nt cuit. 18h. Retour vers Paris. Train à grande vitesse. Je range mes affaires, chancelant, et j’entends une voix qui me dit: ‘J’aime

beaucoup ce que vous êtes.’ Pas ‘ce que vous faites’, ‘ce que vous êtes’. Étonnant. Je me retourne: Catherine Deneuve. Choc. J’ai balbutié ce que j’ai pu: ‘Vous savez, si je m’appelle Katerine, c’est grâce ou à cause de vous parce que j’aurais voulu m’appeler Catherine et vous ressembler un peu, pour être vous.’ Elle était interloqué­e. Et j’ai ajouté: ‘C’est d’autant plus vrai aujourd’hui qu’à l’époque des films de Demy. Je vous préfère aujourd’hui.’ Ce qui est vrai: je la trouve enrichie. Avant, c’était une région ; aujourd’hui, c’est un pays, Catherine Deneuve. À un moment, elle s’est endormie, je me suis approché de ses naseaux, avec sa bouche légèrement entrouvert­e. J’ai dilaté mes narines pour respirer l’air qu’elle respirait. Je me sens elle.

“Je ne me soumettrai jamais à la République. En tant que Vendéen, c’est impossible”

 ??  ?? Philippe Katerine sur une barque du lac Daumesnil, à Paris. Une institutio­n qui propose aujourd’hui 94 barques au grand public, qui se presse entre mars et novembre. Autrefois fabriquées en bois, ces embarcatio­ns sont aujourd’hui en polymère, ce qui facilite leur séchage et les rend plus étanches, et fiables évidemment.
Philippe Katerine sur une barque du lac Daumesnil, à Paris. Une institutio­n qui propose aujourd’hui 94 barques au grand public, qui se presse entre mars et novembre. Autrefois fabriquées en bois, ces embarcatio­ns sont aujourd’hui en polymère, ce qui facilite leur séchage et les rend plus étanches, et fiables évidemment.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Philippe Katerine tentant de saisir une feuille d’érable du Japon. Attention, l’érable du Japon peut atteindre 12 à 15 mètres.
Philippe Katerine tentant de saisir une feuille d’érable du Japon. Attention, l’érable du Japon peut atteindre 12 à 15 mètres.

Newspapers in French

Newspapers from France