La psychiatrie en France
Douze millions de Français sont atteints d’une maladie mentale. Et nous ne savons plus comment les soigner. Voilà le constat du professeur de psychiatrie Pierre-michel Llorca, coauteur avec Marion Leboyer de Psychiatrie: l’état d’urgence.
Douze millions de Français sont atteints d’une maladie mentale. Problème: nous ne savons plus vraiment comment les soigner.
Entre 7 à 10% de la population française souffrent de dépression. Et pourtant, selon vous, les problèmes de santé mentale restent globalement occultés en France. Comment expliquez-vous cela? Je donne souvent cet exemple désespérant de notre ancien ministre de l’intérieur, Gérard Collomb,
qui déclarait l’an dernier: ‘Si les psychiatres voient des gens en délire mystique, ils doivent contacter les forces de police.’ C’est un ministre d’état, un type cultivé, agrégé de lettres, qui se pique de parler le grec et conforte cette représentation de la maladie mentale comme dangereuse. Les patients psychiatriques dangereux sont une infime minorité. Bien sûr, il y a des grands drames qui sont des situations épouvantables, mais la majorité des patients sont avant tout des victimes. On continue à rapprocher la maladie mentale et la folie, mot-valise par excellence.
La France a pourtant largement contribué à la naissance et au développement de la psychiatrie… Dans les années 60, un dispositif ambitieux et basé sur la notion de secteur a été mis en place: vous aviez une institution dédiée pour chaque zone française, basée sur la démographie de l’époque. Mais rapidement, la population a quitté les campagnes, les maladies et les techniques ont évolué. Le système n’était plus adapté. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a déclaré une ineptie sur France Inter récemment. Juste après avoir présenté le plan pauvreté, elle a expliqué qu’il n’y avait pas besoin d’agence en psychiatrie puisqu’il n’y avait pas dans cette discipline de progrès techniques comme en cancérologie… Sauf que dire qu’il n’y a pas de progrès en psychiatrie, c’est totalement faux. Les connnaissances avancent, mais il faut se donner les moyens de profiter de ces progrès.
Actuellement, quelle est la principale urgence du milieu psychiatrique, selon vous? La coordination de l’organisation des soins. Tout le monde parle des manques de moyens, et il est en effet primordial d’y penser, mais le principal problème repose sur l’organisation. La France est un millefeuille et quand vous rajoutez une couche, vous n’enlevez pas celles du dessous, donc plus personne ne comprend rien. Il faut une coordination nationale et régionale. Si l’on ne fait pas un gros effort de pilotage, on restera bloqués dans cette situation. Et en l’état, la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine. Dans l’introduction de votre livre, vous expliquez que ‘loin d’un tableau désespéré et sans issue’, il existe de nombreuses raisons d’espérer de véritables changements…
L’enjeu est désormais d’avoir une psychiatrie de précision. C’est-à-dire la capacité à définir, pour un patient donné –en prenant en compte tout un tas de facteurs–, les modalités optimales pour le soigner. Or, on a de plus en plus d’éléments qui permettent de spécifier et d’apporter des soins plus précis. C’est aussi pour ça qu’il est ridicule de dire qu’il n’y a pas de progrès. La recherche appliquée est fondamentale. Et en France, elle est insuffisamment soutenue. On est à la traîne par rapport aux autres pays. On investit deux à trois fois moins que le Royaume-uni ou que les États-unis. Mais je continue à croire que des progrès sont possibles. Sinon, je ferais déjà un autre métier.
“Dire qu’il n’y a pas de progrès en psychiatrie, c’est totalement faux. Les connnaissances avancent, mais il faut se donner les moyens de profiter de ces progrès”