Society (France)

Virgin suicide

Le père Sèbe s’est suicidé dans les combles de son église de Rouen, le 18 septembre dernier. Il venait d’être accusé d’agression sexuelle. Qu’est-il arrivé? Parmi ses fidèles, tout le monde s’interroge.

- PAR HUGO WINTREBERT, À ROUEN

Adulé par ses fidèles, le père Sèbe s’est donné la mort dans les combles de son église de Rouen, le 18 septembre dernier. Il venait d’être accusé d’agression sexuelle.

Le sacristain a découvert la dépouille accrochée à une poutre. En apercevant le col romain, il a tout de suite compris. Le père Jean-baptiste Sèbe s’est suicidé dans les combles de l’église Saint-romain, son église, située en plein coeur de Rouen, là où il officiait depuis cinq ans. C’était le 18 septembre, dans la matinée, et la nouvelle a fait l’effet d’un tremblemen­t de terre dans la ville normande. Un prêtre qui se suicide? Et ce prêtre-là? L’avant-veille, Jean-baptiste Sèbe, 38 ans, avait célébré la grande messe de rentrée des scouts d’europe devant plus de 500 personnes. Pas le temps de réaliser que venait la deuxième secousse, diffusée par les journaux cette fois: une semaine plus tôt, le curé avait été accusé d’agression sexuelle. Au choc d’une mort fulgurante se mêle, d’un coup, le goût amer du soupçon. Face aux journalist­es des chaînes d’info en continu, l’archevêque Dominique Lebrun, plus haute autorité religieuse de Haute-normandie, est alors contraint de convoquer une conférence de presse. “Il

y a cette plainte, commence-t-il par dire d’un débit lent et abattu. Une plainte d’une maman disant que sa fille lui avait dit que le père Sèbe avait eu, il y a deux ou trois ans, des gestes inappropri­és.” Le primat de Normandie précise ensuite que la jeune femme était majeure à l’époque des faits et qu’aucune plainte n’a été à ce jour déposée devant la justice. Il indique également que deux enquêtes préliminai­res sont en cours. L’une pour déterminer les circonstan­ces de la mort du père Sèbe, l’autre pour qualifier les faits survenus deux ou trois ans plus tôt. Monseigneu­r Lebrun avait convoqué le jeune prêtre la veille de son suicide. À l’évocation du nom de la jeune fille, il avait avoué. Oui, il avait eu une “conduite inconvenan­te”, “un geste inappropri­é”, “un comporteme­nt déplacé”, “une imprudence

dans la relation avec cette femme”, selon les termes soupesés de l’archevêque. “Jeanbaptis­te était un homme estimé et apprécié. C’est une épreuve de se rendre compte qu’à l’intérieur de soi-même, on n’est peut-être pas à la hauteur de l’image que l’on donne.” Quelques jours plus tard, l’enterremen­t du père Sèbe venait confirmer sa popularité. Alors que l’église refusait les célébratio­ns pour les suicidés il y a encore cinq décennies, plus de 2 000 personnes, de l’adepte de la messe du dimanche au non-croyant curieux, se pressent ce jour de début d’automne à l’église Saintromai­n. Le cercueil du père Sèbe ouvre la procession, suivi d’une centaine de prêtres du diocèse de Rouen et d’ailleurs, arborant l’étole violette, couleur liturgique du deuil et de la pénitence. À l’extérieur, un millier de fidèles sont immobilisé­s sur le parvis, dans un silence seulement rompu par des airs de Bach. Ils encerclent le corbillard dont le coffre reste ouvert le temps de la célébratio­n. Certains sont à genoux sur le trottoir quand ils perçoivent ces mots de Monseigneu­r Lebrun en conclusion de la prière universell­e: “Accueillon­s dans nos prières la famille blessée qui a mis en cause Jean-baptiste.” Un peu plus tôt, l’archevêque avait énuméré une litanie

de “pourquoi”. Sans donner de réponse. “Nos pourquoi affluent même lorsque notre raison dit l’impossibil­ité de comprendre.”

En l’absence de lettre d’adieu, chacun peut s’interroger à sa guise. Qu’est-ce qui a poussé le père Sèbe à se donner la mort? Le poids du soupçon? Celui de la culpabilit­é? Quelle est cette conduite inconvenan­te qu’il a avouée? Y a-t-il autre chose? “Personne ne comprend, reconnaît Pierre, rigoureux paroissien de Saintromai­n depuis cinq ans. Ça reste une énigme et je pense que ça le restera pendant très longtemps. Peut-être que l’on ne comprendra qu’au ciel.”

Certains fidèles enregistra­ient ses discours

Deux mois ont aujourd’hui passé depuis la tragédie. Bien que consigne ait été donnée par la communicat­ion du diocèse à l’ensemble des croyants de ne pas répondre aux questions des journalist­es, plusieurs paroissien­s acceptent de témoigner, pour “rétablir la mémoire de Jean-baptiste”. Ils prennent parfois deux heures de leur temps, reçoivent dans leur maison cossue, pour retracer le parcours du père Sèbe et, systématiq­uement, chanter ses louanges. D’abord, les repères biographiq­ues: Jean-baptiste Sèbe est né à Strasbourg en 1979. Il est l’aîné d’une famille de six enfants où la pratique de la religion est une évidence. Catéchisme le mercredi, messe le dimanche, camp scout le week-end et pendant les vacances. À sa confirmati­on, l’adolescent prend conscience de sa vocation. Il sera prêtre et en parle comme d’une certitude. Il entre au séminaire à 19 ans avec l’image d’un intellectu­el dévoreur de livres. Une impression renforcée par les années qui suivent: thésard en théologie de l’institut catholique de Paris et de Louvain, il écrit régulièrem­ent dans la prestigieu­se revue

Études, un mensuel catholique séculaire. Jean-baptiste Sèbe parle le latin, comprend l’hébreu et l’araméen. Ses camarades le comparent à une bête de course. En 2005, il est ordonné prêtre. Il n’a que 25 ans. Pendant près de dix ans, il est vicaire à la cathédrale Notre-dame de Rouen. En 2013, il est propulsé à l’église Saint-romain, repaire de la bonne société rouennaise, des familles avec souvent trois enfants minimum, adeptes du scoutisme et des rallyes. Le désormais père Sèbe remplace trois prêtres âgés, taiseux mais attachants, qui vivaient en communauté depuis plus de 50 ans. Vite, il exploite cette rupture génération­nelle. Le nouveau curé est un homme pressé qui a toujours une idée pour lutter contre le lent déclin de l’église. Il instaure ainsi des temps de prière pour préparer Pâques ou Noël. Le rendez-vous est fixé à 7h en semaine. Les fidèles chantent éclairés à la chandelle. Le tout se conclut autour d’une brioche et d’un café au lait, avant que chacun ne prenne le chemin de l’école ou du travail. Au départ, une dizaine de personnes seulement ont le courage de se lever aux

“C’est une épreuve de se rendre compte qu’à l’intérieur de soi-même, on n’est peut-être pas à la hauteur de l’image que l’on donne” Monseigneu­r Lebrun, archevêque de Rouen

aurores. Quelques mois plus tard, ils sont une centaine. “Son principal chantier a été de former un véritable esprit de communauté, de rassembler un maximum

de gens. Il avait le don de fédérer”, résume Véronique, mère de famille et fidèle parmi les fidèles. Le père Sèbe fait attention à ne mécontente­r personne. Ni les croyants attentifs à la défense de la famille ni les plus scrupuleux sur l’accueil de l’étranger. En 2015, le jeune curé ouvre d’ailleurs un cours d’alphabétis­ation à destinatio­n des migrants installés en Normandie. Aujourd’hui, le programme bénéficie à une soixantain­e de personnes. Jean-baptiste Sèbe ramène aussi à l’église des divorcés, des veufs, des jeunes couples qui se détournaie­nt de la messe. Les statistiqu­es de baptêmes, communions ou confirmati­ons progressen­t continuell­ement. “Les gens n’avaient pas peur de dire: ‘On va à Saintromai­n pour écouter Jean-baptiste’”, se rappelle François-xavier Henry, un ami quasiment du même âge, prêtre d’une paroisse en périphérie de Rouen. Certains fidèles enregistre­nt ses discours pour les réécouter dans la semaine.

Capable de diffuser Rivers of Babylon de Boney M. dans la sage église rouennaise et de jouer au foot ou au basket avec les adolescent­s comme d’instaurer une “Chandeleur pour les anciens” à destinatio­n des retraités, le père Sèbe est partout. Y compris chez ses fidèles. Bon vivant, l’homme de Dieu ne refuse jamais une bonne bouteille. Et aime disserter sur le whisky. “On avait des discussion­s riches. Pas les poncifs de l’église”, explique Pierre, divorcé remarié et hôte régulier du prêtre. “La sortie de la messe durait plus longtemps

que l’office en lui-même”, se souvient de son côté Antoine, la cinquantai­ne. Le prêtre sert des mains à la pelle et s’enquiert de la situation de chacun avec un large sourire. On dirait un homme politique faisant campagne sur un marché.

Vu la popularité du père Sèbe, les paroissien­s lui prêtent vite des ambitions. “Tout le monde s’attendait à ce qu’il soit tiré vers le haut”, reconnaît Véronique. Au moins évêque. Voire cardinal. Lui s’efforce de tempérer l’enthousias­me. “L’église n’a plus d’argent, plus de pouvoir. Évêque, ce ne sont que des emmerdes. Curé de paroisse, ça me va très bien”, confiet-il à Pierre. À son ami le père Henry, il évoque l’idée de servir une paroisse plus pauvre, “avec une sociologie différente”, et se “verrai[t] bien rive gauche, avec une

population plus ouvrière”. En attendant, il continue sur le même rythme de travail, boulimique. Une rencontre avec le père Sèbe se prévoit plusieurs mois à l’avance. Et puis, il y a tout le reste: les sacrements à célébrer, les réunions pastorales, les scouts, les inhumation­s qui, par nature, ne préviennen­t pas. Les tempes de Jeanbaptis­te ainsi que le sommet de son crâne se dégagent. À des prêtres dont il est proche, il confie une certaine fatigue. Certains sont surpris de le voir désormais s’emporter facilement, comme par impatience. En août dernier, il prend enfin un congé. Trois semaines rien que pour lui, après avoir écumé les camps scouts.

Part d’ombre

Est-ce dans un moment de fatigue qu’il a commis ce “geste inappropri­é”? Personne ne le saura. Le père Sèbe n’a laissé aucune note ni aucune rumeur circulant sur son compte. “Geste inappropri­é”. À voix basse, les fidèles ont tous décortiqué l’expression et multiplié les hypothèses. Ni le parquet, ni la famille de la victime présumée, ni celle du père Sèbe, ni l’église ne communique­nt sur l’affaire. On sait juste que la jeune femme, désormais âgée de 21 ans, a été entendue. Selon une source judiciaire citée par France Bleu Normandie, elle a expliqué aux policiers qu’elle était venue voir le père Sèbe dans son bureau pour préparer sa communion. Il aurait alors tenté de l’embrasser. Un délit pour la justice, susceptibl­e d’être qualifié d’agression sexuelle. À l’issue de son audition, la victime présumée a décidé de ne pas porter plainte. La jeune femme n’aurait pas vécu cet acte comme une agression sexuelle. Néanmoins, elle en avait parlé à l’époque à sa mère. Qui est venue le rapporter des années plus tard au vicaire général, sans que sa fille, qui n’habite plus à Rouen, soit au courant. “Quand on voit tout le bien qu’il a fait, c’est une petite part d’ombre pour tant de

lumière”, regrette Aude, mère de famille d’une quarantain­e d’années. “Il a peut-être préféré le jugement de Dieu au jugement

des hommes”, fait de son côté remarquer

Pierre. Le suicide du père Sèbe intervient alors que l’église est en pleine tourmente. En Allemagne, en Australie, aux États-unis, des rapports lui reprochent d’avoir couvert des scandales de pédophilie. En France, le 17 octobre dernier, le Sénat a refusé la création d’une commission d’enquête parlementa­ire sur les abus sexuels au sein de l’église. À la place, une “mission d’informatio­n” a été ouverte, portant sur “la prévention et la protection contre les abus sexuels dans tous les lieux d’accueil des mineurs”. Le 19 octobre, comme en écho au décès du père Sèbe, un prêtre des environs d’orléans, de 38 ans également, se suicidait. Il était accusé par plusieurs familles d’agression sexuelle, cette fois-ci sur des mineurs. Le cas de Jean-baptiste Sèbe qui, quand il recevait une personne mineure dans son bureau, veillait à ce que la porte demeure toujours ouverte, est différent. Pas de pédophilie ici. En revanche, son suicide relance le débat sur le célibat des prêtres. La doctrine officielle est-elle dépassée? Le père Henry coupe court: “Dans l’exercice actuel de mon ministère, je ne pense pas pouvoir rendre heureux une femme. Je ne pourrais pas me consacrer juste deux heures par semaine à mon épouse.” Il ajoute néanmoins: “On était tous impression­nés par l’intelligen­ce de Jean-baptiste. On a découvert petit à petit qu’il avait un coeur qui n’avait jamais été exposé. On découvre aussi qu’il avait un corps.” Lors de sa conférence de presse, Monseigneu­r Lebrun, lui, avait fait un aveu rare: “Moi aussi, il m’arrive de mentir. Moi aussi, il m’arrive de désobéir. Moi aussi, il m’arrive de désirer la femme d’autrui. Je qu’unsuis archevêque de Rouen, mais je ne suis

homme.”•

“L’église n’a plus d’argent, plus de pouvoir. Évêque, ce ne sont que des emmerdes. Curé de paroisse, ça me va très bien” Le père Sèbe

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/ ILLUSTRATI­ON: ANNE-GAËLLE AMIOT POUR SOCIETY

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