Society (France)

George R. R. Martin

- PAR ANTHONY MANSUY, À NEW YORK / PHOTO: PETER YANG (AUGUST)

Avec Game of Thrones, il a créé le phénomène pop culture le plus massif de ces dix dernières années. À quelques mois de la diffusion de la saison 8 de la série, et alors que l’auteur vient de sortir Feu et Sang, un livre d’histoire fictionnel consacré à la puissante dynastie des Targaryen, entretien rare avec un homme culte.

Game of Thrones est sans conteste le phénomène pop culture le plus massif de ces dix dernières années. Et cela, c’est à George R. R. Martin, son créateur, qu’on le doit. Entretien rare, à quelques mois de la diffusion de la saison 8 de la série, et alors que l’auteur vient de sortir Feu et

Sang, un livre d’histoire fictionnel consacré à la puissante dynastie des Targaryen.

LLe phénomène Game of Thrones a pris des proportion­s parfois inquiétant­es. Certains lecteurs vous prennent à partie car vous n’écrivez pas assez vite à leur goût –plus de sept ans ont passé depuis la sortie du cinquième tome de la saga. Des rumeurs se répandent aussi sur Internet concernant votre état de santé. Ça vous fait quoi? Certains fans se sont retournés contre moi pour telle ou telle raison, souvent par impatience. C’est inévitable, je crois, au vu du succès de ces livres. Les gens ont parfois des passions contraires. Pour autant, je ne vais pas me plaindre. Beaucoup d’auteurs galèrent toute leur vie pour être ne seraitce que remarqués. Ça a longtemps été mon cas. J’ai été cet auteur dont tout le monde se fout, et me voilà désormais de l’autre côté de la barrière. Alors oui, d’un côté, j’apprécie l’anonymat, et aujourd’hui je ne peux plus marcher cinq minutes dans la rue sans être reconnu. De l’autre, je suis incroyable­ment riche et célèbre. En 1984, après l’échec de mon quatrième roman,

Armageddon Rag, j’ai commencé à suivre une formation dans l’immobilier. Si je n’avais pas écrit Game of Thrones quelques années plus tard, je pourrais être en ce moment même dans l’upper West Side, en train de vous faire visiter un appartemen­t.

Ce succès et cette frénésie influencen­t-ils votre travail? Ça vous met la pression? Lorsque j’écris, c’est comme si je vivais ces histoires, je me trouve parmi mes personnage­s, à Westeros (le monde fictionnel où se déroule l’action

de Game of Thrones, ndlr). Quand je suis dans un bon jour, je parviens à oublier cette pression de savoir que des millions de lecteurs attendent impatiemme­nt la suite. En revanche, je suis bien conscient du fait que je ne peux pas me contenter de sortir un livre satisfaisa­nt. Je donne tout pour livrer le meilleur livre possible. Vous arrivez encore à prendre du plaisir à écrire? Pour être honnête, je ne peux pas dire que je prends du plaisir dans cette activité, non. J’en prends dans le fait

d’avoir écrit. Écrire, pour moi, c’est du labeur. Il y a quelques brefs instants de satisfacti­on, entrecoupé­s de moments où je me dis: ‘Pourquoi ai-je osé croire que j’avais du talent? Je vais changer de nom et déménager en Antarctiqu­e.’ En revanche, quand j’ai achevé Feu et Sang et que je l’ai envoyé à mes éditeurs, j’ai ressenti une joie monumental­e. Mais ça se dissipe vite, puisque dès le lendemain, j’entendais: ‘Et le prochain, il est pour quand?’ Il y aura toujours un prochain...

Feu et Sang est un livre d’histoire fictionnel sur l’univers de Westeros, consacré à la puissante dynastie des Targaryen. Pourquoi avoir décidé de le publier aujourd’hui, alors que vos lecteurs attendent surtout le sixième tome de la saga, The Winds of Winter? Je veux être clair sur un point:

Feu et Sang n’est pas un roman. Je ne veux pas que les gens l’achètent en pensant qu’il s’agit de la suite de la saga ou d’une sorte de spin-off. Il ne faut pas s’attendre à un récit traditionn­el, sinon il y aura des déçus. Feu et

Sang est un livre d’histoire imaginaire écrit à la façon d’un livre d’histoire populaire. Ce format m’a permis de jouer un petit peu, d’essayer des choses impossible­s dans un roman, comme présenter deux ou trois versions alternativ­es d’une même série d’événements, car le narrateur principal les chronique des centaines d’années après leur déroulemen­t. Ses sources viennent de tribunaux, de mémoires, de témoignage­s, de lettres, et par essence, elles se contredise­nt entre elles, comme dans l’histoire de l’humanité. C’était un exercice très amusant.

Les suppositio­ns sur l’histoire vous passionnen­t? Au milieu des années 80, j’ai commencé à écrire un livre sur l’âge d’or du ‘journalism­e jaune’ (l’ancêtre du journalism­e

sensationn­aliste, ndlr). J’ai écrit environ 200 pages, sans jamais l’achever –d’ailleurs, je prendrai peut-être un jour le temps d’aller au bout. Bref, l’action se déroulait dans le New York des années 1890, principale­ment dans les bureaux du quotidien New York World, dirigé par Joseph Pulitzer. À une époque, la tour qui les hébergeait à Manhattan était le plus grand bâtiment au monde, surplombée d’un dôme en or, et était donc très, très célèbre. Elle n’existe plus aujourd’hui, elle a été démolie pour laisser place au pont de Brooklyn. J’ai donc fait mes recherches sur cet immeuble avec les sources à ma dispositio­n, et je me suis posé une question très factuelle: de combien d’étages était-il constitué? Cet illustre bâtiment existant encore il y a une centaine d’années, on pourrait penser qu’un détail aussi basique serait facile à déterminer grâce aux archives. Pourtant, après mes recherches, je me suis retrouvé avec trois chiffres différents: quinze, seize et vingt. Sur quelle source étais-je censé m’appuyer? Et surtout, si l’on ne connaît même pas le nombre d’étages de la tour du

New York World en 1895, comment peut-on être certain des conditions de la mort d’édouard II d’angleterre? Ou sur le destin d’un prince Targaryen? Jusqu’à ce que l’on invente la machine à remonter le temps, on n’aura jamais de réponses définitive­s à certains mystères de l’histoire. Le scénario de Game of Thrones repose sur la guerre des Deux-roses, qui a sévi en Angleterre au xve siècle. Comment vous est venu ce goût pour l’histoire? J’ai dévoré beaucoup de livres d’histoires populaires, principale­ment anglaise et française, qui sont les plus traduites ici. Je m’intéresse aussi aux oeuvres de fiction à caractère historique, et il m’arrive parfois de lire des ouvrages d’histoire académique, mais je les trouve un peu arides. En revanche, je ne m’abreuve pas de journaux historique­s ni de thèses, car je lis avant tout pour le plaisir. Toutes les histoires juteuses se situent plutôt dans les livres d’histoire populaire. Les académicie­ns préfèrent généraleme­nt soutenir que ces anecdotes savoureuse­s n’existent pas. Ce qui est plutôt triste... (rires)

Savez-vous déjà où certains événements vont mener l’histoire de Game of Thrones? Comme la relation entre Daenerys et Jon Snow, par exemple? Ça, je le sais. Et depuis de nombreuses années. Mais bien sûr, je ne vous révélerai rien, il faudra attendre les livres. Feu et Sang se déroule bien longtemps avant les tomes de la saga Game of Thrones, même si les lecteurs les plus attentifs y trouveront quelques présages, des allusions à des événements ultérieurs. Mais il n’est pas plus allusif à Jon Snow ou Daenerys qu’un livre sur Abraham Lincoln à l’administra­tion Trump.

Puisque vous parlez de Donald Trump: vous n’êtes pas sans savoir qu’il a parlé de construire un mur entre les États-unis et le Mexique, qui pourrait faire référence au célèbre mur de Game of Thrones, érigé pour protéger les habitants ‘civilisés’ du Sud des ‘sauvages’ du Nord... Il a parlé de mon mur?

Pas explicitem­ent, mais on doute qu’il connaisse l’existence du mur d’hadrien (un mur de pierres long d’une centaine de kilomètres, érigé au iie siècle après JC dans le Nord de l’actuelle

“Quand je suis dans un bon jour, je parviens à oublier cette pression de savoir que des millions de lecteurs attendent impatiemme­nt la suite”

Angleterre pour séparer les Romains des Pictes, et qui a inspiré George R. R. Martin pour son mur fictionnel, ndlr)… Je ne crois pas qu’ériger des murs soit une bonne chose. Même si j’adore visiter les cités fortifiées d’europe, je me rappelle vite que ces murs servaient à empêcher les étrangers de massacrer la population. Autant dire que je suis très heureux que notre civilisati­on ait dépassé ce stade. Quand j’étais gosse, j’étais fasciné par la science-fiction. Au début de ma carrière d’écrivain, dans les années 70, à peu près 90% de ma production était étiquetée ‘sciencefic­tion’, dans un style d’anticipati­on, avec des planètes lointaines, des vaisseaux, et l’humanité en conquête extraterre­stre. Ces dernières années, j’ai compris que ce penchant naturel avait affecté la manière dont je vois le monde. Ce que je veux dire, c’est que j’étais attaché à des récits où les humains n’étaient pas désignés par leur nationalit­é: ils n’étaient pas américains, mexicains, français ou chinois... Ils étaient terriens. Voilà la vision avancée dans l’oeuvre des pionniers de la science-fiction qui m’ont influencé, comme Poul Anderson, Isaac Asimov ou Robert A. Heinlein. Pour eux, il allait sans dire que tôt ou tard, les gouverneme­nts du monde entier finiraient par ne faire qu’un. Et je crois encore que c’est vers cela que l’on devrait tendre. Vous savez, je suis américain, descendant d’immigrants, je suis très fier de la statue de la Liberté et des mots qui sont inscrits dessus: ‘Donne-moi tes pauvres, tes exténués / Qui en rangs pressés aspirent à vivre libres / Le rebut de tes rivages surpeuplés / Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête m’apporte / J’élève ma lumière et j’éclaire la porte d’or!’ Voilà les mots qui devraient guider notre politique migratoire.

Pour autant, quand Donald Trump a proposé de construire ce fameux mur, pensez-vous qu’il a joué avec l’inconscien­t collectif américain, vu le succès grand public de Game of Thrones? J’espère que non. À ma connaissan­ce, il ne lit pas de livres. On sait que vous avez plus ou moins soutenu Hillary Clinton pendant la dernière présidenti­elle américaine et que vous n’aimez pas Donald Trump. Qui sont vos héros politiques, du passé et du présent? John F. Kennedy, bien sûr. Franklin Delano Roosevelt, aussi, et Theodore Roosevelt, dans une certaine mesure. On peut aller plus loin et chercher Abraham Lincoln ou Thomas Jefferson, mais c’était un tout autre monde. En ce moment, j’aime beaucoup Michelle Lujan Grisham, la nouvelle gouverneur­e du Nouveaumex­ique, l’état où je vis. J’ai aussi beaucoup soutenu, dans les années 60, le député et sénateur du Minnesota Eugene Mccarthy, qui a fait campagne contre la guerre du Vietnam, contre laquelle j’ai manifesté à l’époque. Cet homme était très courageux, c’est le premier à avoir mené la charge contre ce conflit.

Qu’ont en commun tous ces héros? Ils sont sociauxdém­ocrates, comme moi. Je suis pour la justice sociale, l’égalité des chances et la liberté d’expression. Quand je lis des livres d’histoire, qu’ils parlent de la République romaine ou de la guerre civile anglaise, je me retrouve toujours de ce côté-là de la barrière. En revanche, avec le temps, j’ai appris la chose suivante: personne n’est infaillibl­e. C’est quelque chose que j’essaie de faire infuser dans mes livres, car les plus grands héros de l’histoire ont aussi fait de mauvais choix. C’est le cas d’eugene Mccarthy (à l’origine démocrate, il a fini par soutenir Ronald Reagan,

ndlr). L’inverse est tout aussi vrai. Les êtres humains sont des animaux complexes.

Le succès de Game of Thrones a ouvert un débat sur le genre. Certains disent qu’il s’agit d’une saga féministe, car beaucoup de femmes y ont du pouvoir. D’autres affirment le contraire, car les femmes sèment le chaos dans la trame narrative. Qu’en pensez-vous? Je ne vois pas mes personnage­s comme les représenta­nts ou les symboles d’un genre, d’une couleur

“En 1984, j’ai commencé à suivre une formation dans l’immobilier. Si je n’avais pas commencé à écrire

Game of Thrones, je pourrais présenteme­nt être en train de vous faire visiter un appartemen­t”

de peau ni d’une quelconque catégorie à laquelle les gens s’identifien­t. Pour moi, ce sont des individus. Par ailleurs, j’ai une très grande palette de personnage­s, ce n’est pas comme s’il n’y avait qu’une femme dans toute l’histoire,

auquel cas on pourrait se dire: ‘Voilà la représenta­tion qu’il se fait de toutes

les femmes.’ Non. Il y a quelque chose comme 17 personnage­s féminins majeurs dans la saga. Arya n’est pas Sansa. Sansa n’est pas Cersei. Cersei n’est pas Daenerys. Et ainsi de suite. Ces femmes sont toutes différente­s les unes des autres. Et comme tous les individus, elles ont leurs forces, leurs faiblesses, elles sont capables d’amour, de haine, d’actes de noblesse, d’erreurs irréparabl­es. Tout comme les personnage­s masculins, quelle que soit la couleur de leur peau. Je ne veux pas généralise­r.

Doit-on voir dans la très célèbre réplique catastroph­iste de la série, ‘winter is coming’, une métaphore du réchauffem­ent climatique? C’est une théorie répandue, effectivem­ent. Souvent, dans l’histoire, il y a eu des enjeux monumentau­x –et c’est le cas aujourd’hui avec le réchauffem­ent climatique– qui menaçaient la civilisati­on tout entière. Et presque à chaque fois, il me semble que l’on s’est évertués à ignorer ces menaces énormes pour nous concentrer sur nos petits problèmes du quotidien.

Il y a aussi les dragons, qui confèrent un pouvoir monumental à ceux qui les dominent. Vous les avez intégrés pour le spectacle, ou pour souligner quelque chose de plus large? Je n’ai jamais inséré sciemment une quelconque allégorie politique contempora­ine dans mes oeuvres. Pour autant, certains ont comparé les dragons à l’arme nucléaire, et ils tiennent peut-être quelque chose. J’ai essayé de rendre la surpuissan­ce des dragons très explicite dans les romans, ils représente­nt une force destructri­ce, et Daenerys s’en est rendu compte lors de son accession au trône de Meereen. Grâce aux dragons, elle a le pouvoir de rayer une ville de la carte, d’éradiquer des armées entières. Cela ne veut pas pour autant dire que cette arme permet de régner par la suite. Ici, il y a une métaphore qui, je crois, signifie la chose suivante: régner et détruire sont deux choses très différente­s.

Le pouvoir est l’un des grands thèmes de Game of Thrones. Votre approche semble différente de celle de votre grand héros, J. R. R. Tolkien, et de son Seigneur des anneaux parfois manichéen. Tolkien s’intéressai­t davantage aux mythes, et son ambition avec Le Seigneur des

anneaux était d’écrire une mythologie de l’angleterre. Mais je vois ce que vous voulez dire, et même si j’admire énormément Tolkien, on est effectivem­ent très différents. Il est né au xixe siècle, a grandi en Angleterre, était professeur à l’université. Moi, je suis un baby-boomer, fils de docker du New Jersey qui a grandi dans les projects (les cités HLM aux États-unis,

ndlr). Au fond de lui, je crois que Tolkien était monarchist­e. Ce n’est certaineme­nt pas mon cas. Même si je suis fasciné par les rois et par le Moyen Âge, je n’ai aucune envie de vivre dans une société de ce type. Ce penchant monarchist­e a amené Tolkien à nous dire que puisque Aragorn fait partie

“Vous savez, je suis américain, descendant d’immigrants, je suis très fier de la Statue de la Liberté et des mots qui sont inscrits dessus. C’est ce qui devrait guider notre politique migratoire”

des ‘bons’, il régnera forcément avec vertu. Mais Tolkien n’explique jamais quelles mesures adoptera Aragorn une fois couronné, après sa victoire finale. Sa politique fiscale sera-t-elle juste? Constituer­a-t-il une armée de réserve? Et que fera-t-il de ces milliers d’orcs qui ont fui dans les montagnes? Va-t-il essayer de les éduquer, de les intégrer à la société? Ou bien s’apprête-t-il à organiser leur génocide? Voilà certaines des questions épineuses auxquelles le roi de la Terre du Milieu sera confronté après les événements du

Seigneur des anneaux. On n’en saura rien. Mes seigneurs, qu’il s’agisse de Jon Snow ou de Daenerys, sont en revanche constammen­t confrontés à ce type de questions. Qu’est-ce que la vertu? Qu’est-ce qui constitue une bonne réforme? Comment bien gouverner?

Vous avez commencé à écrire très jeune. Selon vous, pourquoi votre carrière a-t-elle mis si longtemps à décoller? Vous me demandez pourquoi le monde a mis si longtemps à reconnaîtr­e mon talent? Je n’en ai aucune idée. En vérité, mes livres de science-fiction publiés au début de ma carrière se vendaient plutôt bien. J’ai sorti ma première nouvelle en 1971 et, très vite, mes oeuvres ont été nommées à la plupart des prix prestigieu­x pour les auteurs américains de science-fiction. Dès 1975, j’ai remporté le Hugo Award. Tout ça pour dire que ça allait plutôt bien, j’ai pu quitter mes petits boulots et vivre de ma plume en 1979. Disons que j’étais un poisson de taille moyenne dans une petite mare. Tout a changé avec Armageddon Rag, pour lequel je ressens encore de l’amertume à ce jour. Ce roman devait être mon premier best-seller et il a fait un flop complet, malgré les distinctio­ns et les très bonnes critiques. Alors pourquoi ce livre a échoué, et pourquoi Game of Thrones a bien marché? Allez savoir... Il y a certaineme­nt une histoire de timing, de chance, de publicité. Pour tout vous dire, au départ, même Game of Thrones a connu un succès mesuré. Après la parution du premier tome, il m’est arrivé de faire des séances de dédicaces vides, où l’on venait me voir pour me demander où étaient les livres de recettes. Ça a pris petit à petit, grâce au bouche-à-oreille. Puis le deuxième tome s’est mieux vendu, le troisième aussi, et ainsi de suite. Qu’est-ce qui constitue un best-seller? Personne ne le sait.

Vous ne savez pas pourquoi une société comme celle de Westeros fascine autant le public aujourd’hui? Aucune idée. Enfin, peut-être que cela a à voir avec le fait que peu d’entre nous sont destinés à devenir des figures historique­s et qu’il y a un véritable sentiment d’impuissanc­e dans notre société. Alors, quand on a la possibilit­é de s’immerger dans une histoire où l’on peut manier une épée et chevaucher des dragons, ça nous transporte. C’est ça, le grand attrait de la fantasy: on y croise des êtres courageux, vertueux, ou l’inverse, et toutes leurs décisions ont une influence capitale sur le monde qui les entoure. Je me dis aussi qu’autrefois, on enseignait l’histoire selon ‘la théorie du grand homme’.

Selon elle, l’histoire aurait fait des bonds grâce aux actes et aux décisions de certaines figures majeures, comme Jules César, Alexandre le Grand ou Abraham Lincoln. Cette théorie de l’histoire est désormais minoritair­e, au profit d’une approche plus socio-économique de la marche du monde, basée sur l’analyse des tendances de fond. Je ne suis pas historien profession­nel, mais je dois bien admettre que la théorie du grand homme est bien plus intéressan­te à mes yeux.

Comment vous organisez-vous dans votre travail pour ne pas vous y perdre? J’ai des cartes sur mon bureau, je prends des notes sur des bouts de papier où j’inscris des idées et que je suis souvent bien incapable de retrouver ensuite. Finalement, j’essaie de stocker un maximum d’idées dans mon cerveau. Le problème, c’est que j’en suis à dix ou douze romans situés dans cet univers. Chaque personnage se situe dans une ville, à un moment donné, entouré de personnage­s secondaire­s. Je n’écris pas les chapitres dans l’ordre final, je préfère me mettre dans une bulle consacrée à un seul personnage, écrire plusieurs chapitres d’affilée sur lui, car une fois que je m’imprègne du son de sa voix, de son humeur, j’ai envie d’aller au bout. Je peux écrire tous les chapitres sur Tyrion, par exemple, et ensuite revenir au début de l’histoire pour me pencher sur ceux d’arya. Et ainsi de suite. À la fin, le plus difficile reste de tisser un ensemble cohérent. Heureuseme­nt, j’ai un éditeur, et certains fans à qui j’envoie mon travail pour qu’ils relèvent mes erreurs avant publicatio­n. Je peux, par exemple, me tromper à propos de la couleur des yeux d’un personnage ou du sexe d’un cheval.

Vous avez des rituels? J’ai deux ordinateur­s. Le premier, dernier cri, me sert à consulter mes mails. Le deuxième, sur lequel j’écris tous mes romans, marche sous DOS (un très

vieux système d’exploitati­on, ndlr), et j’utilise Wordstar 4.0 (un logiciel de traitement de texte sorti en 1987, ndlr).

Les gens se moquent parfois de moi lorsqu’ils apprennent que j’utilise ces reliques, mais j’adore Wordstar, c’est un logiciel très stable, je ne suis pas connecté à Internet donc pas de virus, pas de hackers. Le seul moyen de me hacker, c’est de pénétrer chez moi et de repartir avec toutes mes disquettes. Heureuseme­nt, ce n’est jamais arrivé (rires).

Qu’est-ce qui vous motive, aujourd’hui? J’écrivais déjà des histoires à l’école primaire et j’allais les déclamer aux autres gamins du quartier, avec des imitations de loup-garou. Tout ça pour dire que j’écrirai toujours. Avoir de l’argent, c’est très bien, c’est utile, mais ça n’a jamais été mon moteur. De 1985 à 1995, j’ai surtout travaillé pour la télévision et le cinéma, en tant que scénariste, notamment pour Twilight

Zone et pour une adaptation en série de La Belle et la Bête. Après ça, dans les années 90, j’ai signé un contrat pour développer mes propres pilotes et des scénarios de longmétrag­e. Je travaillai­s plusieurs mois sur plusieurs projets, avant que la production décide finalement de ne pas aller au bout. Mais plutôt que me renvoyer, elle me disait: ‘Vous avez

autre chose?’ Et ainsi de suite. Aucun de ces projets n’a vu le jour, mais ils continuaie­nt pourtant à me payer grassement. Je n’avais jamais gagné autant d’argent de ma vie. Et vous savez quoi? J’étais terribleme­nt malheureux. Ça m’a appris quelque chose sur moi-même: je ne trouve pas ma satisfacti­on dans le fait de gagner de l’argent, mais plutôt dans le fait de pouvoir apporter mes histoires à un public. C’est le goût du travail bien fait. Je ne me fatiguerai pas, j’écrirai toujours, ou du moins tant que mon cerveau et ma santé me le permettron­t. Une chose est sûre, en revanche, c’est que je n’écrirai plus jamais une épopée en sept tomes répartis sur 30 ans! Lire: Feu et Sang de George R. R. Martin (Pygmalion)

“Je ne vois pas mes personnage­s comme les représenta­nts ou les symboles d’un genre, d’une couleur de peau ni d’une quelconque catégorie à laquelle les gens s’identifien­t”

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? “Shame! Shame! Shame!”
“Shame! Shame! Shame!”
 ??  ??
 ??  ?? Une soirée aux Chandelles.
Une soirée aux Chandelles.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France