Society (France)

Le vieil homme et la mer

Le 29 janvier dernier, Jean-luc Van Den Heede, 73 ans, a bouclé un tour du monde à la voile d’un autre temps: sans assistance, sans GPS, sans escale et avec un sextant à la main. Mais pourquoi?

- – MAXIME BRIGAND

Le 29 janvier dernier, Jean-luc Van Den Heede, 73 ans, a bouclé un tour du monde à la voile d’un autre temps. Sans assistance, sans GPS, sans escale et avec un sextant à la main.

Il paraît que Jean-luc Van Den Heede est “un homme à l’envers”. Du moins, c’est ce qu’en dit Hugues Aufray, son vieux pote, qui a un jour réfléchi à l’idée de faire le passage du cap Horn avec lui avant de se raviser, peu excité à l’idée de s’envoyer “quinze jours à vomir”. Van Den Heede ne se pose pas ce genre de question. Il résume son rapport à la navigation à “une histoire de mental”, et c’est tout. “Même si bon, là, je trouve que je suis un peu vieux, quand même, ajoute-t-il. J’ai moins de réflexes, je suis moins souple. Je pense que c’était mon dernier tour du monde. C’était mon sixième, c’est déjà pas mal.” Pour comprendre le poids de ce dernier tour de piste, il faut se dessiner la carcasse de 73 ans, à la barbe épaisse et au rire éclatant, puis l’imaginer à la poursuite d’un drôle de rêve, “une aventure à l’ancienne, un retour aux sources de la navigation telle qu’on la pratiquait il y a 50 ans avec des bateaux normaux, pas des bêtes de compétitio­n en carbone”. À savoir: la Golden Globe Race, une course en solo menée sur un vieux bateau de série, sans la moindre escale, où l’on fait le point avec un sextant pour se situer et où la technologi­e n’a pas sa place. “C’est le navigateur face à la nature et tu dois t’adapter, pas le choix.” C’était cette année la deuxième Golden Globe Race de l’histoire seulement, un remake de celle qui avait eu lieu en 1968. Van Den Heede a fait cela sur un navire appelé Matmut, un voilier de croisière de dix mètres, modèle Rustler 36, construit en Angleterre au début des années 90 et qu’il a racheté à un couple britanniqu­e avant de le retaper à sa sauce. En 1968, Sir Robin Knox-johnston avait terminé la course en 312 jours. Il avait été anobli. Cette année, Van Den Heede a mis 211 jours, 23 heures, 12 minutes et 19 secondes. Pourtant, il assure que “la notion de temps” ne comptait pas. Mais qu’était-il alors venu chercher?

“Dans ma tête, je venais faire une régate”, affirme-t-il. On se pince pour y croire, lui en remet une couche: “Honnêtemen­t, ça aurait pu durer quelques jours de plus, ça aurait été pareil, même si globalemen­t, on ne va pas se mentir, ce n’est pas le bateau le plus drôle à barrer.” Au début du mois de novembre, pris entre des vagues de onze mètres et des vents de 65 noeuds au large des côtes chiliennes, Jean-luc Van Den Heede a même pensé perdre son mât. Mais le vieux bateau a tenu le choc et le navigateur, qui était de la première édition du Vendée Globe en 1989, aussi. “La tête a été plus importante que les muscles”, glisse l’ancien prof de maths, engagé, depuis son arrivée aux Sablesd’olonne le 29 janvier dernier au matin, dans un marathon d’interviews –“Je n’ai pu manger qu’une fois chez moi, je n’ai pas eu le temps d’allumer la télé ni d’écouter la radio, je reçois 200 mails par jour, une centaine de SMS… Mon fils m’a même dit qu’un copain à lui m’avait vu à la télé au Mexique. C’est un peu dingue.” D’autant plus lorsqu’on sort de sept mois passés en solitaire, “comme un moine”, à noircir un cahier jaune de calculs

Télex. La version britanniqu­e de Marie Claire a été jugée “irresponsa­ble” par de nombreux médecins après que le magazine a expliqué à ses lectrices qu’un des moyens les plus efficaces pour avancer l’arrivée des règles était “l’insertion de persil dans le vagin”.

astronomiq­ues, à regarder de vieilles cartes maritimes trempées et raturées et à espérer que le soleil se pointe pour pouvoir estimer sa position. “Ce n’est pas comme quand tu appuies sur le bouton d’un GPS et que l’écran s’allume. Là, ce sont des calculs, et on peut douter de certains calculs…”

Cassoulet, croûtes de fromage et rock and roll

Cinquante ans plus tôt, dans une situation similaire, le navigateur français Bernard Moitessier avait, lui, décidé de se retirer de la première Golden Globe Race pour “sauver son âme”, et s’était arrêté en Polynésie. Pas Van Den Heede, qui s’est même mis à “rêver” de ces mecs qui l’inspiraien­t enfant, lorsqu’il s’imaginait simplement “faire un jour de la croisière” en lisant les récits d’alain Gerbault, de Marcel Bardiaux ou de Jacques-yves Le Toumelin. Dans sa cabine, le navigateur avait également apporté une quinzaine de bouquins. “J’ai lu du Stevenson, un livre sur l’histoire de La Pérouse mais aussi La Plénitude du vide, qui explique l’histoire des sciences à partir du vide, du rien, du zéro. C’était le bon moment pour le faire.” En plus de cela: deux ans de Canard enchaîné et quelques cassettes, pour pouvoir s’injecter du Johnny, du Brassens et du Mitchell. Ce qui nous ramène à Hugues Aufray, présent à l’arrivée, et à l’autre vie de Van Den Heede qui, à l’époque de la première Golden Globe Race en 1968, était encore à Paris pour ses études et avait le désir simple de “changer le monde”. Comment? “J’ai fait quelques défilés, j’avais des idéaux, j’ai été prof parce que je voulais faire un métier utile à la société. Je pensais que le plus beau métier du monde, c’était de transmettr­e son savoir, alors j’ai donné des cours en m’arrêtant par périodes pour faire quelques courses de bateau. Le problème, c’est que je n’aime pas trop la routine et prof, c’est quand même un peu toujours la même chose…”

L’autre vie, c’est alors la musique. “J’ai plus ou moins le même âge que Johnny, j’ai connu la naissance du rock, replace-t-il. Les gens savaient que je chantais à droite, à gauche. Un jour, un orchestre qui venait de perdre son chanteur m’a contacté, c’était un lundi. Le vendredi, j’étais sur scène avec les mecs, on a fait une soirée d’enfer dans un bar sur la plage des Sables-d’olonne. La police a fini par nous virer parce qu’on faisait trop de bruit.” Il y a douze ans, Jean-luc Van Den Heede, un type qui aime le cassoulet, les croûtes de fromage et qui a baptisé l’un de ses voiliers Eclipse –clin d’oeil à Pink Floyd–, a vu naître son groupe, Globalemen­t vôtre, et a commencé à enchaîner les concerts un peu partout. De la variété française chantée avec un costume blanc. L’anecdote n’est que l’énième bizarrerie d’un homme qui a, un jour de 2004, poussé le vice jusqu’à partir pour un tour du monde à l’envers, simplement pour l’amour de se fader les courants et d’affronter les vents. L’exploit l’a transformé en chevalier de la Légion d’honneur. “Je ne fais pas tout ça pour la gloire, ce n’est pas mon truc, confie-t-il. Moi, je veux juste m’échapper, et mes proches ne peuvent pas vraiment s’opposer à ce que j’ai envie de faire. En fait, ils m’ont toujours connu comme ça: sur la mer, avec ce que me propose la nature, à jouer avec la vitesse. C’est quand même l’essence de la navigation, non?” Peut-être est-ce surtout une autre histoire du temps et de la rébellion. C’est donc ça, un “homme à l’envers”.

“Je ne fais pas tout ça pour la gloire, ce n’est pas mon truc. Moi, je veux juste m’échapper”

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 ??  ?? …Télex. Malgré leur séparation, Angelina Jolie et Brad Pitt vont lancer ensemble un rosé premium “anticonfor­miste et décontract­é”. Malgré la mort de Michel Legrand, les deux concerts qu’il devait donner en avril au Grand Rex de Paris sont maintenus. Ils seront assurés par “des amis musiciens”.
…Télex. Malgré leur séparation, Angelina Jolie et Brad Pitt vont lancer ensemble un rosé premium “anticonfor­miste et décontract­é”. Malgré la mort de Michel Legrand, les deux concerts qu’il devait donner en avril au Grand Rex de Paris sont maintenus. Ils seront assurés par “des amis musiciens”.

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