Michael Jackson
En France aussi, les fans du “roi de la pop” sont en colère. Ils enragent contre la diffusion sur M6 du documentaire Leaving Neverland, qui dépeint leur idole en pédophile multirécidiviste, et ont milité pour en annuler la programmation.
En France, aussi, les fans de Michael Jackson sont en colère. Ils enragent contre la diffusion sur M6 du documentaire Leaving Neverland, qui dépeint leur idole en pédophile multirécidiviste, et ont milité pour en annuler la programmation. Mais qui sont-ils? Quels sont leurs réseaux? Et pourquoi sont-ils si puissants ici? Enquête.
Certaines madeleines de Proust peuvent s’acheter en grande surface et conserver leur savoureux parfum d’enfance. C’est au Prisunic de Lille, rue Gambetta, que Yann Kervarec tombe sur Black & White, un magazine entièrement dédié à Michael Jackson. Nous sommes en 1992 et quelques mois plus tôt, il a acheté l’album Dangerous à la Fnac de Rouen, où il passait des vacances chez son cousin. Deux instants fondateurs dans la vie du jeune homme, alors âgé de 16 ans. “Sur le moment, c’est un coup de foudre, se souvient-il aujourd’hui depuis son pavillon de Hallennes-lez-haubourdin, en banlieue lilloise. Une vraie claque. J’aime tout: la musique, le style, la voix, les visuels. Le talent de Michael est hypnotique.” Une fois inoculé le virus, Yann cherche à le partager. En 1996, il crée le site Mjfrance.com, une initiative originale pour l’époque, la France comptant alors moins d’un millier d’internautes. Mais Yann, étudiant, ne recule ni devant les factures “astronomiques” de France Télécom (500 francs par mois) ni devant la lenteur désespérante des connexions. Il poste des news, des interviews et des photos de l’artiste. “C’était le premier site en France ; avant, il n’y avait rien en ligne sur Michael.” Trois ans plus tard, Mjfrance.com atteint son rythme de croisière avec 4 000 visites par jour, ce qui permet à Yann de décrocher son premier boulot dans une agence web. Le site sert de vaisseau amiral à la communauté des fans du “roi de la pop”. En partenariat avec des associations, comme Les Chevaliers du Neverland ou Mjbackstage, il organise des soirées au cours desquelles les fans dansent, chantent et découvrent quelques avantpremières de leur idole, dont une version en espagnol de What More Can I Give. Climax des festivités, Michael Jackson leur envoie un fax de remerciements, avec une signature manuscrite, “I love you all”. Puis arrivent les ennuis judiciaires. Le chanteur est arrêté en 2005 pour agression sexuelle sur mineurs, après une première accusation en 1993. “Être fan de Michael devient alors un stigmate social, grimace Yann, désormais manager d’un incubateur de start-up. Des amis ou des proches se foutaient de ma gueule: ‘Alors, tu l’aimes toujours, ton pédophile?’” Depuis, la communauté est passée de la dévotion à la rébellion, avec la même ferveur.
“Drôle de coïncidence”
Depuis quelques semaines, le mécontentement frise même l’hystérie. En cause: Leaving Neverland, un documentaire qui donne la parole à deux victimes présumées de Michael Jackson, Wade Robson et James Safechuck. Projeté au festival de Sundance en janvier dernier, le film est passé aux États-unis sur la chaîne HBO le 4 mars, avant d’être diffusé sur M6 le 21 mars. Partout, il déclenche un tsunami de protestations. En France, une pétition a circulé pour exiger l’annulation de
la programmation. Et trois associations ont assigné Robson et Safechuck devant le tribunal d’instance d’orléans pour “atteinte à la mémoire d’un mort”. Sur les réseaux sociaux fleurissent des groupes de soutien, comme Mjfactuel, sur Facebook, qui compte 2 200 abonnés. Cette page de fact-checking prétend rétablir la vérité sur le chanteur et torpiller “les rumeurs et les affirmations choquantes” qui circulent sur lui. Parmi cette horde de mécontents, Lilian Carles. Ce Toulousain de 40 ans est l’un des cinq sosies français de Michael Jackson. Derrière le pseudonyme MJLIL, il se produit dans des campings, des salles des fêtes ou lors d’événements professionnels, comme le séminaire du Crédit mutuel de l’oise. Cette activité lui assure 75% de ses revenus. Le reste provient de son second métier, chauffeur de salle à Téléfoot, l’émission sportive dominicale de TF1. Pour lui, Michael Jackson est tout à la fois une idole, un gagne-pain et une cause: “Je me vois comme un activiste. Avec les réseaux sociaux, on peut avoir une influence sur le cours des choses. Il faut se bouger pour laver l’honneur de Michael, parce que lui n’est plus là pour le faire. J’aimerais bien que plus de célébrités nous soutiennent. Des Usher, des Diana Ross, ils sont où? Ils doivent beaucoup à Michael... Ils ferment leur gueule et c’est bien dommage.” La contre-attaque de fans consiste à discréditer le film en débusquant des informations compromettantes sur les personnes interviewées. Ce travail d’enquête est l’activité de François Guerrini. Passionné de Michael Jackson depuis 1980, ce fonctionnaire marseillais de 53 ans passe jusqu’à huit heures par jour sur Internet à dénicher des saloperies sur son pire ennemi: Wade Robson, l’un des deux accusateurs témoignant dans le documentaire. “Il faut savoir que ce monsieur a dans un premier temps juré sous serment ne pas avoir été victime d’attouchements sexuels, raconte-t-il. Il affirmait adorer Michael Jackson, jusqu’au jour où il a postulé pour devenir chorégraphe en chef d’un spectacle du Cirque du Soleil, à Las Vegas. Il n’a pas été pris. Depuis, comme par hasard, il déprime et se souvient subitement d’agressions sexuelles subies quand il était petit... Drôle de coïncidence... Il fait ça pour l’argent, bien entendu. Et comme par hasard, le film tombe pile dix ans après la mort de Michael.” François Guerrini consacre la plupart de ses week-ends et de ses journées de récup’ à ses recherches. Malgré un niveau d’anglais qu’il qualifie lui-même “d’un peu limité”, il réexamine toutes les procédures judiciaires impliquant “le roi de la pop”, relit les comptes rendus d’audience des procès de 1993 et 2005, à l’affût de la moindre incohérence dans le camp de l’accusation. Il poste ensuite ses découvertes sur le site Mjfrance.com, qui irrigue une flopée de comptes Facebook et Twitter. À mi-chemin entre le détective et le complotiste, François Guerrini veut rétablir certaines “vérités”: “Jackson était un type bizarre, alors la presse s’en
“JE ME VOIS COMME UN ACTIVISTE. IL FAUT SE BOUGER POUR LAVER L’HONNEUR DE MICHAEL, PARCE QUE LUI N’EST PLUS LA POUR LE FAIRE” Lilian Carles, fan et sosie officiel de Michael
est donnée à coeur joie: 99% de ce que les tabloïds publient est anti-jackson. Faut arrêter le lavage de cerveaux!” Le réalisateur du documentaire, Dan Reed, n’échappe pas à la vigilance du fin limier marseillais. François Gerrini a fouillé sa filmographie pour dénicher ce qu’il appelle des “bizarreries”. “Son précédent documentaire portait sur la pédophilie. Il a donc interviewé les plus grands spécialistes sur le sujet. Et là, pour Leaving Neverland, rien. Il n’interroge aucun expert.”
“Il m’avait donné un de ses sparadraps”
Face à un film qu’ils jugent malhonnête, les admirateurs de Jackson ripostent avec leur propre contre-enquête. Taj Jackson, le neveu de Michael et ancien chanteur au sein des 3T, va produire lui-même un documentaire pour donner la version de la famille Jackson, qui n’a pas voix au chapitre dans Leaving Neverland. Emma Lafontaine, étudiante en fac d’anglais à Paris, participe à cette guerre des docus. Elle paye pour laver l’honneur souillé de son chanteur adoré: “Je fais des dons à Taj Jackson. Il a lancé une cagnotte sur Internet pour récolter des fonds et moi, je donne entre 20 et 30 euros par mois. Il y a même une famille chinoise qui a fait un don de 3 000 euros.” Hermétique au doute –“Beaucoup de gens pensent que les fans ne sont pas objectifs parce qu’ils sont fans, mais j’ai l’impression que nous sommes plus objectifs que la plupart des journalistes”–, Emma a découvert Michael Jackson l’année de sa mort, en 2009. Elle avait alors 9 ans. Depuis, le “king of pop” ne la quitte plus, elle l’écoute tous les jours et en a fait une playlist sur Spotify. Métisse, originaire de la Réunion par sa mère, elle voit dans les chansons Man in the Mirror, We Are the World, They Don’t Care About Us un écho à son identité. Afro-américain devenu chirurgicalement blanc, Michael Jackson reste une boussole. C’est en tout cas ce que dit Barthélémy Weindoc Lala, étudiant en relations internationales, bénévole à SOS Racisme et fan de Michael avant tout. “Black or White, c’est LA chanson qui m’a beaucoup touché parce que, parfois, on a le sentiment que noir, c’est la mauvaise couleur, celle qu’il ne faudrait pas avoir. Cette chanson dit qu’on ne peut pas juger une personne sur sa couleur, mais sur ses actes. Lorsque je me sens mal, je réécoute Michael et je retrouve mes repères.” Plus largement, il existerait une relation spéciale de longue date entre l’idole et ses fans français. “Il avait une affinité et un intérêt pour la France, son histoire et son mode de vie. Michael Jackson voulait d’ailleurs vivre en France et cherchait à acheter un château près de Paris ou vers la Loire. Chez lui, en Californie, il organisait des soirées vin et fromage français. Aussi, il adorait venir à Paris, parce qu’il y a Disneyland. Tout cela faisait qu’il maintenait un contact particulier avec les fans français”, décrypte Isabelle Petitjean, qui a consacré sa thèse de musicologie au roi de la pop. Trait d’union entre l’univers perché et enfantin de la star et son public français, le magazine Black & White a soudé la communauté de fans. À l’origine pensé comme un fanzine, ce trimestriel exclusivement dédié à Jackson est devenu le titre de presse de référence sur la star, bénéficiant d’accès inédits aux coulisses des clips et publiant des photos exclusives. “On a tout de suite eu une approche professionnelle, avec des photos de qualité, des posters. Ça a très bien marché, on tirait à 100 000 exemplaires et on a lancé des versions en anglais, en allemand et en italien”, replace Laurent Hopman, cofondateur du titre. Black & White avait aussi traversé l’atlantique. Le graphiste du magazine, Christophe Boulmé, avait tapé dans l’oeil de Michael Jackson, qui l’avait embauché comme photographe et illustrateur. “Les relations étaient excellentes entre nous et Michael. Via le magazine, il envoyait des messages aux fans français. Un jour, en 2004, Laurent Hopman parlait par téléphone avec Michael Jackson. Il a demandé comment se portait le magazine. Laurent lui a annoncé qu’il allait fermer. Michael a été surpris et très déçu”, raconte Arnaud Bringer, l’un des journalistes.
Le roi de la pop a vendu en France près de douze millions de disques, et beaucoup de fans français ont agencé leur vie autour de lui. Comme Pascal Lorenzo. Aujourd’hui directeur d’un centre de loisirs, il a longtemps sacrifié ses vacances pour suivre Jackson. Il a patienté des heures devant le George V, le Plaza Athénée, à Disneyland Paris où le chanteur aimait s’offrir un petit tour de manège, ainsi que sur la Croisette à Cannes ou à Monaco. “On faisait n’importe quoi pour le voir, on suivait son van, on prenait les Champs-élysées à contresens, des potes sont montés à trois sur un scooter. À Monaco, je l’ai vu, il m’a donné un des sparadraps qu’il avait aux doigts. Ça peut sembler bête comme ça, mais pour un fan, c’est un truc de ouf!” Le soufflet de la passion n’est pas retombé avec le décès du chanteur. Pascal n’a pas attendu M6 pour regarder Leaving Neverland: “C’est vraiment de la merde, ce film, ça me dégoûte. Si j’ai les deux gars devant moi, je les démonte.” Ce qui pourra faire l’objet d’un nouveau documentaire à scandale.•tous