Society (France)

Les plongeurs du Venezuela

- PAR BENJAMIN DELILLE, À CARACAS

À Caracas, des jeunes hommes à peine sortis de l’adolescenc­e plongent dans le Guaire pour remonter de la robinetter­ie, des bijoux, des douilles de pistolet, ou même de l’or. Pour survivre, surtout.

Au Venezuela, désormais, tous les moyens sont bons pour s’en sortir. Eux s’appellent “les mineurs”. Tous les jours, ces jeunes hommes à peine sortis de l’adolescenc­e plongent dans le Guaire pour drainer le fond de la rivière, avec l’espoir d’en remonter quelque chose de valeur: de la robinetter­ie, des bijoux, des douilles de pistolet ou même de l’or. Un métier qui attire de plus en plus de candidats, mais aussi de dangers.

Quand l’aube pointe à l’horizon, Josue, 19 ans, a déjà les pieds dans une eau si trouble qu’il ne distingue même plus ses mollets. “On nous appelle ‘les mineurs’”, s’amuse-t-il. Tous les jours, par groupes de quatre personnes ou plus, lui et les autres s’immergent dans le Guaire, la rivière qui traverse Caracas d’ouest en est, longé tout du long par une autoroute. Un cours d’eau sale, qui charrie toutes sortes de déchets, et dans lequel se déversent les égouts de la capitale. “Il y a de tout dans le Guaire!” s’exclame le jeune homme. Munis d’outils improvisés ou à mains nues, les mineurs drainent les fonds, font le tri entre les milliers de déchets et quelques trouvaille­s intéressan­tes. “On sort de l’or, de l’argent, du bronze ou du cuivre, explique Ensovio, un homme de 40 ans qui passe pour un grand-père tant les autres sont jeunes. Les gens perdent beaucoup de choses, des bijoux, des babioles. Soit ça passe par les égouts, soit c’est la pluie qui fait son travail, mais tout finit dans le Guaire.”

Avec leurs voisins, Josue et Ensovio sont les pionniers de ce “métier” qui n’a que cinq ans. “On fait ça parce que avec la crise, travailler ne rapporte plus rien”, justifie Ensovio. Environ huit Vénézuélie­ns sur dix touchent aujourd’hui le salaire minimum de 18 000 bolivars, à peine plus de quatre euros. Les mineurs, eux, peuvent empocher jusqu’à 25 000 bolivars pour un gramme d’or vendu au marché noir. Et ils assurent que leur butin hebdomadai­re tourne autour de trois ou quatre grammes. “En une semaine, je gagne cinq fois ce que ma mère touche chaque mois avec un ‘vrai’ travail”, confie Josue. Aujourd’hui, c’est lui qui paie les études de son petit frère et remplit le réfrigérat­eur familial. Non sans risques. “La première fois que tu vas dans

le Guaire, tu tombes malade, assure-t-il. Moi, je me suis coupé le pied, ça s’est infecté, j’ai failli le perdre. Mais à force, ton corps est immunisé.” L’autre danger, c’est de se faire emporter par le courant. “On a perdu deux gars à cause des crues”, explique Ensovio. Puis, il ajoute: “Le plus inquiétant, c’est la police, les militaires.” Depuis que l’activité est devenue lucrative, de nombreux officiers rôdent sur les berges. “Ils veulent nous voler notre butin parce que eux aussi crèvent de faim”, indique Josue. Il vient de purger sept mois de prison. La police l’a accusé d’avoir volé des câbles de cuivre dans la station de métro voisine. Ce jour-là, il avait récupéré deux boucles d’oreilles en or dans le Guaire, évidemment confisquée­s.

Depuis plusieurs mois, cette activité est devenue une véritable ruée vers l’or. Lorsqu’on suit le cours d’eau, on retrouve des groupes de mineurs partout. Au quartier de San Agustin del Sur, quelques jeunes vivent au bord de la rivière dans une tente de fortune. La plupart n’ont pas 20 ans, pas de famille, mais ils s’estiment chanceux. “On gagne plus d’argent qu’avant. Regardez, on a pu s’acheter des clopes, se réjouit l’un d’eux. Parfois, on récupère des trucs utiles, aussi. Il y a dix minutes, on a vu passer un cadavre, il avait encore toutes ses fringues. Un coup de chance!” À l’est de la capitale, au pied du bidonville de Petare, un certain nombre de ces chercheurs d’or squattent un immeuble en constructi­on. Ils ont improvisé des murs avec des vieux draps et des bouts de carton usés. Parmi eux, Oliver dit avoir 16 ans, mais il en fait deux de moins. Après la mort de son père, sa mère l’a abandonné. “Ici, on vit à notre manière, personne ne nous emmerde”, glisse timidement le jeune homme, le regard fuyant. Il a les cheveux blonds, les yeux verts, un sourire malicieux. “Tant que le pays continuera de couler, je bosserai dans le Guaire, conclut-il. Je ne vais pas crever de faim.”

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/ PHOTOS: ADRIEN VAUTIER (LE PICTORIUM)
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Alexander, alias Barlovento, 49 ans, cherche de l’or depuis presque huit ans. Il se présente comme le chef du secteur, du fait de son ancienneté.
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Les immeubles de la Mision Vivienda abritent de nombreux Vénézuélie­ns en situation précaire. Les locataires versent directemen­t le loyer à l’état, qui octroie les appartemen­ts.
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Une bande de jeunes chercheurs d’or vivant au bord de la rivière. Juste derrière eux, la grande voie express de la capitale.
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