Society (France)

Volodymyr Zelensky, acteur et candidat

- PAR THOMAS PITREL, À KIEV

Cet Ukrainien de 41 ans est comédien et joue le président de la République dans une série télé. Logiquemen­t, il est désormais candidat au poste suprême.

Alors que l’ukraine s’attendait à choisir entre le président sortant, Petro Porochenko, et l’éternelle revenante Ioulia Tymochenko, un troisième candidat a fait exploser la scène politique locale en prenant la tête des sondages en vue du premier tour de la présidenti­elle, qui aura lieu le 31 mars prochain. Volodymyr Zelensky, 41 ans, a deux particular­ités. La première: c’est un comédien sans aucune expérience en politique. La deuxième: il a créé une série télé dans laquelle il joue le rôle… du président de la République.

C’est une histoire des années 2010. Celle de Vasyl Petrovych Holoborodk­o, un professeur d’histoire dans un lycée ukrainien comme un autre qui, confronté à une énième entrave bureaucrat­ique à son travail, s’emporte sans savoir qu’il est filmé par le smartphone d’un de ses élèves. “Nous choisisson­s entre deux salauds, et c’est comme ça depuis 25 ans! Et rien ne changera cette fois non plus, parce que toi, mon père, moi, nous choisirons encore un salaud, lance-t-il à un collègue. Et ces salauds arrivent au pouvoir, et ils volent, volent, volent. Ces enculés ont des noms différents, mais ils agissent de la même façon! Et tout le monde s’en fout!” Mise en ligne, la vidéo fait le buzz, Holoborodk­o devient un héros populaire et, quelques semaines plus tard… est élu président de la République. Cette histoire est une fiction, bien sûr. Trop gros, trop beau pour être vrai. Il s’agit du pitch de Serviteur du peuple, une série humoristiq­ue dont le premier épisode a été diffusé en Ukraine le 16 octobre 2015. Un an et demi après la révolution Euromaïdan, qui a fait fuir le président pro-russe Viktor Ianoukovit­ch, alors que le pays tente d’entamer son renouvelle­ment démocratiq­ue tout en s’installant petit à petit dans un conflit larvé avec la Russie, en Crimée et dans le Donbass, l’oeuvre est une immense bouffée d’air frais. Elle raconte comment un homme du peuple peut faire plier la vieille garde politique corrompue. Et elle fait rire. Déjà une star de l’humour

en Ukraine et dans les pays russophone­s depuis la fin des années 1990, Volodymyr Zelensky, interprète du rôle principal et producteur de la série, renforce encore sa popularité. Le film tiré de la série cartonne en 2016, la saison 2 aussi, en 2017. Le tout est diffusé sur Netflix, et la boîte de production française Elephant Story se paie même les droits pour en faire un remake. Succès populaire, succès commercial. Et c’est tout?

Le 31 mars prochain, cinq ans après Maïdan et trois ans et demi après le premier épisode de Serviteur du peuple, aura lieu le premier tour de l’élection présidenti­elle en Ukraine, pays essentiel du jeu géopolitiq­ue moderne, tampon meurtri entre l’union européenne et la Russie. Comme d’habitude, les Ukrainiens s’attendaien­t à devoir choisir “entre deux salauds”: d’un côté le président sortant, Petro Porochenko ; de l’autre, l’ancienne Première ministre, Ioulia Tymochenko. Mais depuis quelques semaines, un troisième larron vient bousculer les pronostics, parmi les 39 candidats (!) en lice. À la mi-mars, les différents instituts de sondage du pays lui accordaien­t entre 23 et 28%, tandis que ses deux concurrent­s ne totalisaie­nt qu’entre 13 et 18%. Au second tour, il arriverait également devant n’importe quel adversaire. Ce trouble-fête, c’est Volodymyr Zelensky, à la tête d’un parti officielle­ment créé il y a tout juste un an et nommé… Serviteur du peuple. Cette fois-ci, c’est la réalité. Le président fictionnel s’apprêterai­t à devenir un véritable chef d’état. Était-ce un coup de billard à trois bandes? Une stratégie pensée depuis le départ pour faire élire le bouffon? Apparemmen­t, non. Installé dans un restaurant moderne du centre de Kiev, Stanislav Boklan, célèbre comédien de théâtre et interprète du Premier ministre corrompu dans la série de Zelensky, ne pense pas que son ami ait pu préméditer un tel coup: “Sur le tournage de la saison 2, nous passions notre temps ensemble sur la route. Nous faisions des blagues, nous parlions de nos familles, mais à aucun moment je ne l’ai entendu évoquer une quelconque ambition politique.” Tout porte donc plutôt à croire que cette histoire des années 2010 est une nouvelle folie sortie de la décennie de Donald Trump, Emmanuel Macron, Beppe Grillo, Jair Bolsonaro et Marjan Sarec, humoriste devenu Premier ministre de la Slovénie en août dernier. Selon Olexiy Haran, professeur de sciences politiques à l’académie Mohyla de Kiev, l’élection de Zelensky représente­rait pourtant une étape supplément­aire sur le chemin de la société du spectacle. “Tous les exemples précédents avaient déjà une expérience de la politique avant d’arriver au pouvoir, énonce-t-il. Macron était au gouverneme­nt, le Mouvement 5 étoiles existait depuis plusieurs années et Trump est passé par les primaires des Républicai­ns. Zelensky, lui, n’a jamais rien fait dans le domaine politique. Les gens le confondent juste avec son personnage dans la série.” Une confusion qui en dit long sur l’image qu’ont aujourd’hui les Ukrainiens de leurs représenta­nts politiques.

Le charme de l’antisystèm­e

Situés au coeur du quartier gouverneme­ntal de Kiev, les bureaux du Centre d’action anticorrup­tion (Antac) donnent directemen­t sur l’arrière-cour du palais présidenti­el. Régulièrem­ent, Victoria Savchuk, responsabl­e de la communicat­ion de L’ONG créée en 2012, voit donc le ballet des voitures officielle­s et des agents de sécurité dégager le passage pour Petro Porochenko, l’homme dans lequel l’ukraine de Maïdan avait placé tous ses espoirs. Savchuk est née deux ans après l’indépendan­ce de l’ukraine, et avait toutes les raisons de croire que son pays allait enfin être tiré des affres de la transition post-soviétique. Elle a vite déchanté. “Porochenko a passé son temps à résister à la création d’une cour de justice anticorrup­tion en disant: ‘L’ukraine, ce n’est pas l’ouganda’, soupire-t-elle. Nous avons dû le forcer, avec l’aide de partenaire­s internatio­naux.” En pleine campagne pour sa réélection, le président finit par annoncer que la cour en question prendra ses fonctions avant la fin 2019, mais il est un peu tard. Notamment après la révélation fin février par les journalist­es d’investigat­ion du réseau Nashi Groshi d’un trafic de matériel militaire acheté illégaleme­nt en Russie et revendu trois ou quatre fois plus cher à l’armée ukrainienn­e, impliquant Oleg Gladkovski, secrétaire adjoint du Conseil national de sécurité et de défense et proche de Porochenko. Alors que la guerre fait encore rage dans l’est de l’ukraine, l’acte est qualifié de “haute trahison” par Ioulia Tymochenko, cette dernière appelant au passage les députés

“MACRON ÉTAIT AU GOUVERNEME­NT, LE MOUVEMENT 5 ÉTOILES EXISTAIT DEPUIS LONGTEMPS ET TRUMP EST PASSÉ PAR LES PRIMAIRES. ZELENSKY, LUI, N’A JAMAIS RIEN FAIT. LES GENS LE CONFONDENT JUSTE AVEC SON PERSONNAGE DANS LA SÉRIE” Olexiy Haran, professeur de sciences politiques à l’académie Mohyla de Kiev

à entamer une procédure de destitutio­n du président. La candidate de l’union panukraini­enne Patrie n’est pourtant pas exempte de tout reproche non plus. Fin 2018, elle était accusée de s’être attaché les services d’une onéreuse agence de lobbying américaine sans l’inclure dans ses frais de campagne. “Et les journalist­es d’investigat­ion auraient beaucoup de choses à raconter sur l’époque où elle était à la tête du gouverneme­nt”, ajoute Victoria Savchuk. Volodymyr Zelensky a bien compris les avantages qu’il pouvait tirer d’une telle situation. Lorsque l’antac a soumis son agenda anticorrup­tion aux candidats à la présidenti­elle, il a été le premier à rencontrer ses membres et à s’engager à appliquer leurs revendicat­ions.

D’après Volodymyr Fesenko, directeur du centre d’études politiques Penta, à Kiev, “l’histoire politique récente du pays est faite d’espoirs et de déceptions. Les Ukrainiens ont toujours été considérés comme défiants à l’égard de leurs représenta­nts, mais ça n’a jamais été à un niveau aussi haut depuis l’indépendan­ce. Lorsqu’on demande aux électeurs potentiels de Zelensky pourquoi ils le choisissen­t, ils répondent tous la même chose: parce qu’il est en dehors du système”. Le comédien n’est pourtant pas la seule personne en Ukraine à être en dehors du “système”. Le pays a même longtemps cru que ce serait une autre célébrité qui endosserai­t le costume du candidat surprise. Fils d’un ancien ministre de l’éducation et chanteur d’okean Elzy (le grand groupe de rock ukrainien des années 1990-2000), Svyatoslav Vakarchuk tournait encore récemment autour des 10% dans les sondages. Brillant, engagé en politique depuis toujours, le rockeur avait le profil idéal. Mais, après des mois d’hésitation, il a fini par annoncer qu’il ne se présentera­it pas, et tenterait plutôt de changer son pays par d’autres biais. Une aubaine pour Zelensky qui, depuis le début de la rumeur Vakarchuk, s’amusait dans son émission et ses spectacles sur le mode du “si tu y vas, j’y vais aussi”. Mais ce n’est pas le seul coup de pouce du destin qu’a reçu Zelensky sur la route de la présidenti­elle. “Conscients que les gens étaient à la recherche de candidats ‘alternatif­s’, les analystes politiques de Porochenko ont commencé à tester la popularité de plusieurs personnali­tés, retrace Volodymyr Fesenko. Il y avait Vakarchuk, Ruslana (chanteuse, gagnante de l’eurovision 2004 et très engagée dans Euromaïdan, ndlr) et, donc, Zelensky.” D’après le chercheur, le but des équipes du président était de pousser ce que l’on appelle en Ukraine des “candidats techniques”, soit des candidats dont la présence n’a pour but que d’augmenter ou de diminuer les chances de victoire d’un autre. Exemple: la candidatur­e de Iouri V. Loutsenko, presque inconnu au bataillon, aurait été déposée pour semer la confusion chez les électeurs de Ioulia Tymochenko le jour du vote… Plus finement, un candidat issu de la société civile aurait pu servir de paratonner­re au vote contestata­ire. Sauf que depuis le mois de septembre, Zelensky ne cesse de grimper dans les sondages, et que luimême s’est pris au jeu. Le 31 décembre dernier, alors que les Ukrainiens attendaien­t le traditionn­el et toujours très suivi discours du président à minuit, le

comédien profitait de son émission sur la chaîne 1+1 pour annoncer officielle­ment sa candidatur­e, et faire trembler les élites. “Au départ, je crois qu’il ne visait qu’un peu de promo à peu de frais, et éventuelle­ment quelques sièges aux législativ­es de novembre prochain, estime Fesenko. Mais petit à petit, il a commencé à recruter des équipes, et son ambition a grandi en même temps que les intentions de vote.” En résumé, le monstre a grandi et il a échappé au contrôle de ses créateurs.

Une campagne gérée comme une télé-réalité

C’est une charmante maison à deux étages installée dans un quartier propret, avec toiture en tuiles et petit jardin parfaiteme­nt entretenu. L’intérieur, lui, ramène à l’esthétique start-up: murs blancs, meubles IKEA de la même couleur et parois en verre sur lesquelles sont inscrits au marqueur les résultats des derniers sondages, une liste de villes et de questions (“Quand a lieu l’élection?”, “Est-ce que les bénévoles sont payés?”), et un slogan: “Dégageons-les!” Dans l’open-space, une dizaine de jeunes gens pianotent sur des ordinateur­s habillés d’autocollan­ts “Ze! Komanda” (“l’équipe de Ze!”). Dans la salle de réunion, deux hommes fringants à l’allure importante sont installés de chaque côté d’une longue table. Dmytro Razoumkov, costume bleu pastel et chemise blanche, et Sergueï Babak, veston sombre sur cravate à pois violette et chemise rose pâle, sont respective­ment porte-parole et conseiller éducation de la campagne de Volodymyr Zelensky. Ils ont tous les deux rejoint le QG de campagne de la même façon: quelques rendez-vous avec des proches du futur candidat en septembre, puis un entretien de deux heures avec “Ze” en octobre. Si l’on en croit certains analystes politiques, les jeunes loups seraient l’archétype de ces spin doctors capables de travailler pour n’importe qui, pourvu qu’il paie bien. Ils ne s’en cachent d’ailleurs qu’à moitié. Dans les documents envoyés à la presse, Razoumkov est décrit comme un homme ayant occupé “des postes dirigeants dans les secteurs commercial et public, et dans des partis politiques” et ayant “travaillé pour des campagnes politiques depuis 2006”. Lui préfère évidemment expliquer que son choix lui a été dicté par l’inaction des représenta­nts politiques de son pays depuis cinq ans. “Après la révolution, on savait qu’il y aurait des réformes douloureus­es, que ce serait comme une opération chirurgica­le, avec de la souffrance au début, mais que le pays irait mieux ensuite, image-t-il. Sauf que la souffrance dure depuis cinq ans. Si l’ukraine était une patiente, elle serait déjà morte.” Pour le porte-parole de Zelensky, ce dernier ne peut pas être comparé à Trump ou Macron car, contrairem­ent à la France et aux États-unis, l’ukraine a “deux guerres à mener: celle à l’est et celle contre la corruption. Il en va donc de la survie du pays”. Il énumère les quatre principaux axes du programme dont il sait qu’il est souvent accusé de sonner creux: diplomatie, informatio­n, économie et armée. Pour défendre ses idées, l’équipe de Ze2019 utilise des méthodes peu orthodoxes. Pendant que Petro Porochenko et Ioulia Tymochenko en sont encore à recouvrir le pays d’affiches et à multiplier les meetings, Zelensky se concentre essentiell­ement sur les réseaux sociaux –Youtube, Facebook, Telegram–, où ses pages sont les plus suivies du pays. Via son site internet, il a aussi incité les citoyens à construire son programme participat­if, avant de carrément leur proposer de constituer leur gouverneme­nt rêvé. Mais le plus gros de sa campagne a surtout consisté à faire son travail. Ses émissions sur 1+1, ses tournées, mais aussi son dernier film, Moi, toi, lui, elle, encore dans les salles, qui a battu le record de recettes pour un film ukrainien depuis l’indépendan­ce avec 71 millions de hryvnias (2,3 millions d’euros) pour 800 000 spectateur­s. La saison 3 de Serviteur du peuple devrait aussi être diffusée juste avant la présidenti­elle, avec pour objectif de provoquer un nouveau bond dans les sondages. “Les équipes qui gèrent sa campagne sont celles de sa boîte de prod’. Ils organisent donc cela comme une téléréalit­é, analyse Volodymyr Fesenko. Par ailleurs, Zelensky n’émet que des émotions positives, alors que les autres candidats passent leur temps à se critiquer les uns les autres.” Comme Emmanuel Macron avant lui, Zelensky aurait donc découvert les vertus de la bienveilla­nce en politique.

Mais si le comédien ne fait pas une campagne “classique”, c’est peut-être aussi parce que cela mettrait en avant ses limites. “J’aime beaucoup la série Dr House, mais si j’avais un problème de santé, je ne ferais pas confiance à l’acteur qui l’interprète pour me soigner. C’est la même chose avec Zelensky”, résume Olexiy Haran. Après un pic fin février, l’écart entre Ze et le président sortant Porochenko a d’ailleurs semblé s’amenuiser au fil du mois de mars. Par ailleurs, l’électorat de Zelensky est constitué majoritair­ement de jeunes gens de la classe moyenne, une population réputée plus volatile et moins certaine de se déplacer le jour du scrutin que les fidèles des candidats habituels. L’humoriste pourrait aussi être victime d’une sorte “d’effet Coluche”. S’il est tentant de dire que l’on votera pour lui en amont, va-t-on pouvoir l’assumer le jour J, particuliè­rement dans un pays en guerre? “Volodymyr Zelensky est un bocal vide, juge Fesenko, qui ne va être rempli que par l’équipe qu’il aura constituée et par le contexte politique.” Puisqu’il ne pouvait pas s’inventer une carrure présidenti­elle en trois mois, le “bocal vide” multiplie les rendez-vous pour s’attirer tous les soutiens possibles. Y compris ceux issus du fameux système. En février, il a par exemple rencontré Oleksandr Danylyuk, ministre des Finances jusqu’à son renvoi en juin 2018 et ouvertemen­t libertarie­n. Surtout, comme tous les autres, Zelensky aurait en réalité un oligarque derrière lui. Il s’agirait d’ihor Kolomoïsky, propriétai­re de la chaîne 1+1, où le comédien à antenne

ouverte, et l’un des trois hommes les plus riches du pays. Depuis décembre 2016 et la nationalis­ation de Privatbank, plus grande banque d’ukraine, qui lui appartenai­t et dans laquelle avait été découvert un trou de 5,5 milliards de dollars, Kolomoïsky veut se venger du président Porochenko, à tel point qu’il soutient à la fois Volodymyr Zelensky et Ioulia Tymochenko. “Depuis octobre, je n’ai jamais vu Ihor Kolomoïsky, réplique Dmytro Razoumkov, le porteparol­e. Alors que j’ai très souvent vu Volodymyr Zelensky travailler sur la chaise où vous êtes assis.” Le processus de crédibilis­ation n’est pas aisé. Après l’annonce de sa candidatur­e, Ze a organisé une rencontre avec différents ambassadeu­rs de l’union européenne qui a, paraît-il, laissé ces derniers perplexes. “Ses rencontres avec des intellectu­els et des diplomates ont donné de mauvais résultats. Il est vu comme incompéten­t, ce qui est probableme­nt vrai”, sourit Mikhail Minakov, philosophe, historien et chercheur au Kennan Institute. Ses interviews politiques n’ont pas non plus convaincu le grand public. Tellement qu’il n’a pas l’air pressé d’organiser un débat télévisé pré-électoral face à ses concurrent­s, rompus à l’exercice. Autant que faire se peut, la discrétion est de mise.

“Je vais être président, mais ça ne m’inquiète pas”

Pour mettre le grappin sur Volodymyr Zelensky, il faut donc se rendre boulevard Lesi-ukrainki, près du centre de Kiev, puis dépasser deux barres d’immeubles grises et marcher sur des planches posées au milieu d’une grosse flaque de boue. La nuit tombe, un petit groupe tente de se réchauffer en soufflant de la buée dans ses mains devant un bâtiment délabré. Dans cet ancien hôpital militaire abandonné, se trouvent quelques colonnes romaines et trois hommes en toge, des chaussons d’hôpital protégeant leurs baskets. Ils attendent Volodymyr Zelensky pour enfin tourner la dernière scène de la troisième saison de Serviteur du peuple. Régulièrem­ent, dans la série, le président novice est en effet visité par des personnage­s historique­s, avec lesquels il échange sur des sujets existentie­ls. Cette fois, il s’agit de Platon, de Volodymyr 1er (grand prince de Kiev au tournant des premier et deuxième millénaire­s) et de Skovoroda (philosophe ukrainien du siècle). Costume bleu, cravate rouge, souliers vernis, Zelensky arrive. C’est un petit homme à la voix grave qui se glisse dans le personnage de Vasyl Holoborodk­o pour échanger dans la pénombre des lieux sur l’art de gouverner. La première scène dans la boîte, Zelensky se met à l’écart. “Mais mettez-lui un manteau!” gueule alors Aleksey Kiryushche­nko, le réalisateu­r, avant qu’une jeune fille n’accoure pour déposer un anorak militaire sur les épaules du personnage principal. Volodymyr Zelensky a le regard doux et l’air sincèremen­t gentil. Que fera-til, sans expérience politique, face à un Vladimir Poutine qui règne sur la Russie depuis bientôt 20 ans? “Personne n’a de vraie solution pour arrêter l’escalade russe, répond-il. Ce n’est qu’une question de volonté politique dans notre pays. Il faut continuer les négociatio­ns. Nous devons aussi nous appuyer sur nos alliés américains et britanniqu­es.” Que fera-t-il en priorité s’il est élu? Zelensky dit qu’il commencera par supprimer l’immunité parlementa­ire. Il développe son discours anti-élites, parle de corruption et martèle qu’il n’est pas l’homme de l’oligarque Kolomoïsky. “Je suis l’homme de mes parents, de ma femme et de mes enfants, c’est tout!” Entre chaque question, Ze est interrompu pour retourner sur le plateau. Dès que la caméra tourne, il est le président Holoborodk­o. Dès qu’elle se coupe, il redevient le candidat Zelensky. Il éclate de rire et nie quand on lui suggère qu’il pourrait avoir peur de devenir président pour de vrai. Parce qu’il pense qu’il ne le deviendra pas? “Non, je vais être président, mais ça ne m’inquiète pas”, juret-il. Alors que les autres acteurs tournent un passage dans lequel il n’intervient pas, Volodymyr Zelensky se réchauffe avec un thé dans la salle aménagée en régie. Il est seul dans un coin, les yeux dans le vide. Soudain, une grosse brique se détache du plafond et fracasse le sol, à deux mètres de lui et à quelques centimètre­s des écrans de contrôle. Zelensky sursaute, puis se marre. “Bienvenue en Ukraine”, sourit-il.•tous

“ON SAVAIT QUE LE PAYS AVAIT BESOIN DE RÉFORMES DOULOUREUS­ES. SAUF QUE LA SOUFFRANCE DURE DEPUIS CINQ ANS. SI L’UKRAINE ÉTAIT UNE PATIENTE, ELLE SERAIT DÉJÀ MORTE” Dmytro Razoumkov, conseiller de Zelensky

 ?? / PHOTOS: SERGEY KOROVAYNY POUR SOCIETY ??
/ PHOTOS: SERGEY KOROVAYNY POUR SOCIETY
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Dans les bureaux de l’équipe de Zelensky.
Dans les bureaux de l’équipe de Zelensky.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France