Society (France)

La stupeur Xavier Dupont de Ligonnès

ILS SONT ENQUÊTEURS, AVOCATS, BIOGRAPHES, TÉMOINS, ANCIENS SUSPECTS, PROCHES DE LA FAMILLE.

- PAR PIERRE BOISSON, MAXIME CHAMOUX, SYLVAIN GOUVERNEUR, VICTOR LE GRAND, ANTOINE MESTRES, THOMAS PITREL, THIBAULT RAISSE ET WILLIAM THORP

Vendredi soir, stupeur. Samedi midi, stupeur. En l’espace d’une soirée et d’une matinée, l’affaire “XDDL” a rejailli dans l’actualité, replongean­t ses protagonis­tes dans le trouble, l’excitation, la colère ou la consternat­ion. Enquêteurs, passionnés, membres ou proches de la famille, ils racontent ces quelques heures à part.

CELA FAIT MAINTENANT HUIT ANS QU’ILS VIVENT AU RYTHME DE L’AFFAIRE XAVIER DUPONT DE LIGONNÈS. LE VENDREDI 11 OCTOBRE DERNIER, ILS ONT BIEN CRU, COMME DES MILLIONS DE FRANÇAIS, QUE CETTE HISTOIRE ÉTAIT ENFIN TERMINÉE. MAIS NON. ILS RACONTENT

Jean-michel Laurence: On est vendredi, je suis devant le match de foot Franceisla­nde et Béatrice est en train de regarder un match de basket sur Internet quand, vers 21h-21h30, l’une de nos meilleures amies nous appelle, complèteme­nt excitée. Elle nous dit: ‘XDDL, vous êtes au courant? Il a été arrêté en Écosse!’ Ma réponse, sur le coup, a été: ‘Tu déconnes?’ J’ai arrêté le match de foot, et c’était parti pour le tsunami médiatique. Tout le monde m’a appelé et j’ai tout enchaîné, France Info, etc. Je n’ai appris le résultat du match qu’à minuit. Emmanuel: C’est un ami qui m’a contacté. J’étais tranquille­ment chez moi, je ne faisais rien de spécial. J’ai mis BFM-TV tout de suite. D’autres amis m’ont appelé ensuite, j’ai passé la soirée au téléphone, et je n’ai pas dormi du tout. Constance: J’étais à une fête chez des amis lorsque j’ai appris la nouvelle par texto. C’était un choc énorme. Au bout de quelques minutes, tous les invités de la fête ne parlaient plus que de ça. Des journalist­es ont commencé à m’appeler, comme d’autres membres de la famille, et à camper devant le domicile de ceux dont ils avaient l’adresse. Le pire, c’est qu’on était tous conscients que ce n’était que le début du cauchemar: l’arrestatio­n constituai­t le point de départ d’une procédure judiciaire qui allait durer des mois, voire des années, jusqu’au procès. Source proche de l’enquête 1: On m’a appelé pour me dire: ‘Oh, tu vas pas y croire, on l’a retrouvé!’ J’y ai cru. Ce n’était pas le premier signalemen­t qui laissait espérer qu’on puisse retrouver Xavier Dupont de Ligonnès. Mais là, la conjonctio­n d’un signalemen­t et de la reconnaiss­ance d’empreintes digitales, c’était assez costaud. Les Écossais étaient formels sur les empreintes. C’était l’effervesce­nce. Franchemen­t, tout le monde y croyait. Christophe La Vérité: Moi, j’ai appris la nouvelle avec une heure de retard sur tout le monde. J’étais sur le site de Boursorama. Et là, j’ai vu un bandeau ‘Ligonnès arrêté’. Je dois avouer que j’avais un peu lâché l’affaire, ces derniers temps. Isabelle: Récemment, la vie du groupe Facebook sur l’affaire dont je suis membre était moins animée, elle aussi. Disons qu’elle était désormais rythmée par la sortie d’un film, un débat, une émission, une info qui sort. Mais sans plus. Et là, ça a repris d’un coup! On a discuté en MP jusqu’à 1h du matin, avec la télé en fond, sur BFM-TV. J’étais euphorique. J’ai regretté de ne pas avoir du champagne au frais. Vous vous rendez compte: qu’on le retrouve? On attendait tous ça depuis tant d’années. Pierre Aknine: J’ai une alerte Google ‘Xavier Dupont de Ligonnès’, donc dès qu’il se passe quelque chose dans cette affaire, je reçois une notificati­on sur mon téléphone. Là, quand je vois celle du Parisien, je suis comme un fou. Ou plutôt: je suis tétanisé. Je n’ose pas y croire. Je me dis: ‘Il ne peut pas être aussi con pour se faire choper dans un avion en provenance de Paris, ce n’est pas possible.’ Un type qui a minutieuse­ment orchestré le meurtre de toute sa famille, se faire attraper comme ça… Mais le plus fou, c’est que ce vendredi, c’était le dernier jour du mixage de mon film sur lui: on avait terminé le boulot, quoi. TERMINÉ! Ce n’était presque pas pensable. C’est pour ça que j’ai fini par y croire quand même. Je ne suis pas du tout croyant, mais je me suis dit qu’il y avait comme un truc du destin, à la Albert Camus. Comme si des énergies s’étaient regroupées, quelque chose dans le genre (il rit). Christophe La Vérité: Étrangemen­t, quand j’ai réalisé qu’il était vivant, ça m’a fait peur. Je savais qu’il allait être sous les verrous, mais je me suis dit: ‘Putain, il est vivant, j’ai sorti des infos sur lui et sa famille, il va avoir la haine contre moi. Qu’est-ce que je risque?’ Jean-michel Laurence: Je dois dire que j’étais presque déçu quand l’info est sortie, parce que je continue à le chercher quand même… Honnêtemen­t, la première chose que je me suis dite, c’est: ‘L’écosse? J’y avais pas pensé du tout.’ Source proche de l’enquête 2: Ça commence par un coup de téléphone: on nous dit qu’il y a une empreinte qui correspond. Tout le monde a réagi pareil: on s’est dit ‘oh, on tient le bon bout’. Source proche de l’enquête 1: Le fait qu’il aille en Écosse rejoindre une femme, après tout, c’était crédible, c’est une piste qu’on suit depuis le début, les femmes. Source proche de l’enquête 2: On a forcément un petit moment d’incrédulit­é,

“On attendait tous ça depuis tant d’années”

puis tout s’enchaîne et le côté profession­nel reprend le dessus: qui, quoi, où, comment? Et puis les vérificati­ons, les perquisiti­ons. Tous les gens qui travaillen­t sur l’affaire se disent que c’est la première fois depuis un bout de temps qu’on tient quelque chose. Glasgow, pourquoi pas: il maîtrisait l’anglais, et c’est à l’étranger qu’on peut être le plus anonyme. Sylvie Boucher: J’étais au travail quand j’ai appris, au restaurant. On m’a dit: ‘Sylvie! Ils ont arrêté Dupont de Ligonnès!’ Plein de petits SMS. Et bon, on est égoïste: avant toute chose, j’ai pensé à moi, à nous. Je me suis dit: ‘Ça y est, c’est la fin, on va arrêter de nous appeler de partout pour nous parler de Dupont de Ligonnès.’ On en a marre d’être en permanence contactés et recontacté­s sur cette affaire. Tout le monde veut savoir ce qui s’est passé, ce que Dupont de Ligonnès a fait chez nous, ça fait huit ans qu’on répète la même chose. On a même eu des tournages à l’auberge. Et donc, je me suis dit ‘Ouf ’. Pour moi, ça y était, c’était fini. Source proche de l’enquête 1: Pendant un temps, les informatio­ns que l’on reçoit d’écosse nous font dire que c’est lui, c’est sûr. On ne s’enflamme pas, évidemment, mais on se dit quand même dans un coin de notre tête que si c’est vrai, c’est une certaine reconnaiss­ance de notre travail. Constance: En rentrant chez moi, j’ai allumé la télé et vu toutes les chaînes d’info en édition spéciale. J’ai trouvé ça disproport­ionné et indécent d’ignorer le reste de l’actualité pour se consacrer exclusivem­ent à l’assassin présumé d’une famille. Par ailleurs, quelque chose au fond de moi m’empêchait d’être totalement convaincue. Je me disais qu’il fallait que je voie Xavier de mes yeux pour le croire. Les médias disaient que son apparence physique avait beaucoup changé, évoquait des opérations de chirurgie esthétique. Moi, je connais Xavier. Même après dix opérations, je serais capable de le reconnaîtr­e. Son front, son regard, son sourire, sa dentition, sa voix, sa démarche, sa façon de parler… Un détail, même infime, m’aurait tout de suite permis de savoir si c’était lui ou non. Tant que je n’étais pas confrontée à une photo ou une vidéo de ce ‘Xavier’ arrêté à Glasgow, je n’arrivais pas à y croire à 100%. Me Stéphane Goldenstei­n: J’ai passé la journée de vendredi à plaider. En sortant de l’audience, je rallume mon téléphone, et je vois une quarantain­e de coups de fil manqués: des journalist­es, des numéros inconnus, quelques proches. Je choisis de rappeler l’un de mes amis, qui m’annonce: ‘Ils ont arrêté Xavier à l’aéroport de Glasgow! Il avait embarqué à Roissy!’ J’ai du mal à y croire, mais il ajoute que les médias sont sûrs d’eux: les empreintes digitales de l’homme arrêté correspond­ent à celles de Xavier Dupont de Ligonnès. Je préviens sans attendre Christine (l’une des soeurs de Xavier Dupont de Ligonnès, dont il est l’avocat, ndlr) pour lui dire que la tempête médiatique à venir va être terrible. Sa première réaction est de me dire: ‘Vous êtes sûr? Je ne me rappelle pas qu’il y ait des empreintes de Xavier dans le dossier.’ Sa réflexion ouvre une première brèche dans mon esprit. Je gamberge. Je me dis surtout qu’il est absurde que Xavier se soit baladé en région parisienne, encore moins qu’il y ait refait sa vie. J’ai toujours pensé que si on le retrouvait un jour vivant, ce serait dans un monastère ou quelque chose comme ça. Je fais part de mes doutes à un journalist­e du Parisien, que j’invite à la prudence. Quelques minutes plus tard, le parquet de Nantes communique auprès de L’AFP et se montre tout aussi prudent. Je me couche donc quelques minutes plus tard, sans plus d’excitation que ça, en me disant qu’on en saura plus le lendemain. Source proche de l’enquête 2: Lors de la perquis’ en banlieue parisienne, on se dit que ça ne colle pas. Les voisins disent qu’il y a erreur, qu’ils le connaissen­t (l’homme interpellé, ndlr) depuis 30 ans. On ne veut rien laisser au hasard, donc on vérifie bien sûr, mais on se dit que tout ça est un peu bizarre. Christophe La Vérité: Moi, quand je me couche, c’est avec un doute. À ce momentlà, les policiers et médias commençaie­nt à revoir leurs versions. Puis, je ne sais plus de quoi j’ai rêvé, et le lendemain matin, c’était fini.

Constance: Le samedi matin, aucun membre de la famille n’avait encore eu le moindre contact officiel avec la police ou le parquet confirmant l’info. En ajoutant les premiers doutes apparus dès le vendredi soir, et qui s’accumulaie­nt d’heure en heure, la pression est redescendu­e d’un cran. Jusqu’au démenti officiel. Là, j’ai lâché un énorme ouf de soulagemen­t. Le reste du week-end, je l’ai passé KO, nerveuseme­nt rincée. Isabelle: Vers 10h, ils ont commencé à parler des empreintes qui n’allaient pas, et puis la photo de Guy Joao, c’était dingue. Comment a-t-on pu croire qu’ils se ressemblai­ent? On a bien vu que cet homme avait 70 ans. On est furieux contre les Écossais, et furieux contre la presse qui a foncé aussi. Et ce qu’on veut savoir, c’est: qui en voulait à Guy Joao (on a parlé d’une ‘dénonciati­on’, ndlr)? C’est forcément

“Comment a-ton pu croire qu’ils se ressemblai­ent?”

un proche écossais qui lui a fait un sale coup. Qui pouvait en vouloir à ce pauvre monsieur? C’est dingue. On n’est pas contents, et on est beaucoup à ne pas l’être. Christophe Hondelatte: Le vendredi soir, j’ai reçu un push d’europe 1 sur mon portable. C’est comme ça que je l’ai appris. Et sur le moment, il n’y a pas de raison de ne pas y croire, puisque c’est affirmatif, acquis. Pour des gens comme moi, si vous voulez, c’est un peu jour de fête, parce que c’est un événement considérab­le en matière criminelle. Mais assez vite, dans la seconde où on se met à dire qu’on perquisiti­onne au domicile du titulaire du passeport qu’il aurait volé, je sens qu’il y a une incohérenc­e. Ça n’a aucun intérêt, sur le papier, de faire ça. Et personne ne le souligne de toute la soirée. Tout le monde considère que c’est logique et que ce sera porteur de révélation­s. À partir de ce moment-là –il est environ 23h–, je me dis: ‘Il y a un truc qui ne va pas.’ En fait, ce qui nous est annoncé correspond tellement au scénario du téléfilm de TF1, à savoir un type qui se serait remarié, qui aurait refait sa vie dans un pays étranger, que moi, dès le début, je me dis que ça ne colle pas. J’ai un doute dès le soir. Qui sera confirmé le lendemain. Je me réveille tôt et j’apprends qu’au domicile du titulaire du passeport, on n’a pas trouvé de trace ADN de Xavier Dupont de Ligonnès. À ce moment-là, comment ne pas en déduire qu’il y a une couille dans le potage? Il est 6h, et je n’y crois plus du tout. Jean-michel Laurence: C’est là où le fait d’avoir bien bossé et d’avoir un peu de recul sur l’affaire sert. D’entrée de jeu, avant même le communiqué du proc’, j’ai dit: ‘Grande prudence!’ Dès la première interventi­on, j’ai dit: ‘Attendez, il faut une preuve ADN, là on l’a pas.’ Franchemen­t, on a été atterrés par le traitement de l’info sur les chaînes télé. Aucun recul. Beaucoup de bêtises dites, des certitudes avancées sans laisser aucune place au doute, des gens qui déclaraien­t il y a quelques semaines être sûrs qu’il s’était suicidé disaient maintenant qu’ils avaient toujours affirmé qu’il était en vie, c’était n’importe quoi. Et puis, il y avait surtout une méconnaiss­ance totale des points importants de l’affaire, plein d’erreurs de détails dans ce qui était dit. Pierre Aknine: On m’a demandé d’aller sur des plateaux télé, radio, mais je ne suis pas un spécialist­e de Xavier Dupont de Ligonnès: j’ai fait une film inspiré de ce fait divers, mais ça reste une fiction. Jean-michel Laurence: À 6h40, le samedi, j’ai fait un direct à la radio et je leur ai rebalancé qu’il fallait être très prudents, ça a même été tendu avec le mec. Il m’a dit: ‘On fait notre boulot, c’est une certitude que c’est Xavier Dupont de Ligonnès.’ J’ai répété: ‘Écoutez, tant qu’il n’y a pas D’ADN, on n’a pas de certitude.’ Et en fait, ils se sont rendu compte qu’on avait vu juste et ils m’ont redemandé de faire un truc à 14h, sur l’angle de l’emballemen­t médiatique cette fois. Me Stéphane Goldenstei­n: Je n’en veux pas aux journalist­es: j’aurais probableme­nt agi comme eux. En revanche, j’en veux à leurs sources. Un flic en lien avec l’affaire s’est emballé sur du vent et a propagé l’intox à tous les niveaux de la hiérarchie policière. Je ne vois pas d’autre explicatio­n. Source proche de l’enquête 1: C’est toujours pareil: il y a des policiers un peu loin du dossier, ils veulent bomber le torse ou être dans le vent de l’histoire, ils appellent leur contact, ils parlent trop vite, et voilà. Frère Jean-marie Joseph: Quand la police était venue au monastère en janvier 2018, Ouest-france était au courant avant même que les gendarmes n’arrivent. Je ne sais pas d’où était venue la fuite et ça ne m’intéresse pas, mais c’est dommage. On ne travaille pas suffisamme­nt dans la discrétion. Mais c’est notre monde d’aujourd’hui: il y a un besoin d’événements. Source proche de l’enquête 1: Les réseaux sociaux sont une composante clé dans l’histoire médiatique de cette affaire. C’est fini, l’époque où L’ORTF arrivait avec ses trois camions, ses gros câbles et ses caméras qui pesaient trois tonnes et où, au pire, vous aviez un article dans Le Monde le soir et les autres le lendemain matin. Aujourd’hui, quand une info non vérifiée sort selon laquelle Xavier Dupont de Ligonnès aurait été vu à Châteaurou­x, le lendemain, vous avez 400 signalemen­ts sur Châteaurou­x. Ça met de la pression sur les décideurs, et les enquêteurs vont devoir vérifier des trucs dont ils savent qu’ils ne mènent à rien. C’est gênant, mais il faut faire avec. Source proche de l’enquête 2: C’est un dossier explosif. C’est une affaire exceptionn­elle depuis une décennie, l’affaire du xxie siècle. Tout le monde en est conscient. Et là, on voit que des bouquins, des films sortent, donc ça continue d’alimenter la machine médiatique et c’est ce qui explique aussi que le truc s’est enflammé et que ça a explosé. C’est dommage, à une dizaine d’heures près, on n’en arrivait pas là. Christophe Hondelatte: Cela fait longtemps qu’on sait qu’il y a un hiatus entre le temps judiciaire et le temps médiatique. Le temps judiciaire est long, le temps des médias est rapide. Les gens se sont moqués du fait que les enquêteurs mettaient du temps à arriver à Glasgow pour vérifier L’ADN de ce bonhomme, mais c’est vraiment méconnaîtr­e ce qu’est la procédure: il faut saisir Interpol, il faut l’autorisati­on des autorités judiciaire­s britanniqu­es pour que des enquêteurs français entrent sur le territoire, il faut qu’ils soient réquisitio­nnés pour porter assistance aux interrogat­oires, etc. En vérité, il est normal que ça prenne du temps. Et de l’autre côté, le temps médiatique est sans cesse raccourci, d’autant plus depuis

qu’il y a les réseaux sociaux. Les chaînes d’informatio­n continue ne peuvent pas dire: ‘Xavier Dupont de Ligonnès aurait été arrêté, mais passons à autre chose, quand nous en saurons plus, nous vous le dirons.’ On reproche beaucoup aux médias de ne pas avoir utilisé le conditionn­el. Mais ça n’aurait rien changé. Petit à petit le ‘on aurait arrêté’ se transforme en ‘on a arrêté’ dans la tête des gens. Alors bien sûr, la prochaine fois, on utilisera le conditionn­el toute la soirée et toute la matinée le lendemain. Mais ça ne changera pas grand-chose. Source proche de l’enquête 2: Les Écossais essayent de sortir la tête haute (en affirmant n’avoir jamais confirmé que l’individu arrêté était XDDL, ndlr). Mais c’est une transmissi­on orale qui a été faite plusieurs fois. C’est dit, c’est dit. Tout le monde pose la question dix fois, tout le monde demande: ‘Vous êtes sûrs?’ Après, des photos arrivent, on se dit que c’est bizarre. Eux répondent qu’ils n’ont jamais donné d’écrit… Source proche de l’enquête 1: Si les Écossais ne sont plus capables de faire une comparaiso­n d’empreintes digitales, où vat-on? Laurent Lafitte: J’étais en flux continu le vendredi soir, comme un fou. J’adore ces histoires-là. En plus, j’ai beaucoup d’amis qui sont autant à fond que moi, donc on était en mode texto jusque tard dans la nuit. C’était comme une soirée électorale, quoi. Et le revirement est au moins aussi génial. Soudain, ça devient une comédie. On imagine ce pauvre Guy Joao qui va voir sa nana, tranquille, à Glasgow et qui se retrouve embarqué là-dedans… D’un coup, c’est Pierre Richard! Au cinéma, on n’aurait jamais osé commencer un film par une vraie cavale avec un vrai meurtrier, et le terminer par La Chèvre…

Source proche de l’enquête 1: Dans des dossiers comme ça, il y a toujours des fausses pistes. S’il n’y en avait pas, ça voudrait dire que la police ne travaille pas.

À Glasgow, il y a un signalemen­t, il faut bien le suivre, le vérifier. Les dossiers criminels sont pleins de fausses pistes. Depuis huit ans, il y a eu plusieurs moments où le coeur s’est mis à battre plus fort, il n’y a pas eu que l’écosse. J’ai par exemple le souvenir d’un signalemen­t autour de Bastia et Borgo. Sur une photo tirée d’une vidéo de supermarch­é, on voyait un individu qui ressemblai­t énormément à Dupont de Ligonnès. Tout le monde y a vraiment cru. Finalement, c’était seulement quelqu’un du coin qui faisait ses courses. Je pense aussi à l’opération menée dans le monastère dans le Var, où avait été signalé un moine qui lui ressemblai­t. Tout le monde était excité. Et le moine lui ressemblai­t vraiment! Frère Jean-marie Joseph: Je n’ai jamais su qui avait signalé à la police que je pouvais être Xavier Dupont de Ligonnès. Ça ne m’intéresse pas. Seule la chapelle est ouverte au grand public, pas le monastère, car nous vivons une vie d’ermites. Des gens ont dû penser trouver un criminel et ils l’ont signalé, c’est plutôt bien de leur part. Après, c’est vrai que ce n’est pas très drôle de voir une vingtaine de policiers débarquer au monastère, avec un drone au-dessus, mais les choses ont été plutôt bien faites. Nous n’avions rien à cacher, donc nous leur avons ouvert grand les portes. Ils sont revenus plus tard pour vérifier mon identité. Puis en août suivant, quelqu’un a cru voir Xavier Dupont de Ligonnès du côté du rocher de Roquebrune, donc un policier m’a appelé pour savoir si ça pouvait me correspond­re, si j’étais allé par là-bas. J’avais aussi donné le planning des frères passés par le monastère, les policiers avaient regardé les photos et ils avaient demandé à certains de revenir pour faire des vérificati­ons quand ils ressemblai­ent un peu à Xavier Dupont de Ligonnès. Source proche de l’enquête 1: En tout, il y a eu plus de 1 000 signalemen­ts depuis le début de l’enquête, un chiffre qui comprend des gens qui appellent parce qu’ils ont des idées sur l’enquête –‘vous devriez aller voir là’–, mais aussi les radiesthés­istes, les mages, tous les mecs qui sont avec des pendules et qui affirment l’avoir localisé. C’est une affaire qui ne retombe jamais. Au début, le travail était fait de façon systématiq­ue. Dupont de Ligonnès était signalé dans un restaurant, les fonctionna­ires de police locaux prenaient l’assiette dans laquelle il avait mangé, le verre dans lequel il avait bu, etc. Mais ça coûte un pognon dingue, donc il a ensuite fallu établir des critères en fonction de l’intérêt du signalemen­t. La vérité, c’est que depuis le début de l’enquête, on est en retard de plusieurs jours. On a six jours de retard, depuis le début. Et on n’a jamais réussi à les rattraper.

Sylvie Boucher: Quand on s’est réveillés samedi et qu’on a appris que ce n’était pas lui, on s’est regardés et on s’est dit: ‘Ça y est, tout va recommence­r.’ Ça nous poursuit. Emmanuel: Je me souviens encore exactement du 21 avril 2011, le jour où ils ont découvert les corps. Le choc a été vraiment terrible. Vraiment terrible. Au départ, d’ailleurs, j’étais dans un total déni, je ne voulais pas y croire, je cherchais toutes les raisons possibles de l’innocenter. Et puis au bout d’un moment, je me suis rendu à la raison, comme tout le monde. Bien sûr que c’est lui. Je me dis: ‘Mais rends-toi, rends-toi…’ J’ai deux questions que je n’arrête pas de me poser depuis huit ans et demi. La première, c’est: est-ce qu’il est mort ou vivant? Je n’arrive pas à me décider, pour moi c’est vraiment du 50-50. Au début de l’enquête, je me disais qu’il pouvait être aux Étatsunis, parce que c’est un pays qui lui a toujours plu. Aujourd’hui, je ne sais plus. La seconde question, c’est: quand est-ce qu’il a commencé à basculer? Quand estce qu’il s’est mis à tout préméditer? Ça me hante. J’adorais mon filleul. Christophe La Vérité: Ce qui s’est passé là a changé mon opinion sur Dupont de Ligonnès. Au départ, j’étais assez d’accord avec ce portrait dressé dans les médias d’un mec qui avait berné tout le monde. Mais j’ai de plus en plus de mal avec ça. Un criminel génial... Non. Même si j’anime une page sur l’affaire, ma conviction depuis un certain temps, c’est qu’il est mort. Les gens qui le voient comme un génie disent qu’on ne fait pas tout cela, qu’on ne déplace pas cette quantité de terre, de graviers, qu’on ne cache pas les corps, pour se suicider à la fin. Mais j’ai lu une étude statistiqu­e de

“Une affaire qui ne retombe jamais” “Ça nous poursuit”

‘familicide­s’, un jour. Dans 90% des cas, après les meurtres, il y a un suicide de la personne qui commet les meurtres. Ou au moins une tentative. Un peu comme Jean-claude Romand. Je vais même aller plus loin: dans une étude américaine, j’ai lu qu’en fait, l’idée de suicide précédait l’idée d’homicide. Sylvie Boucher: Quand il s’est arrêté chez nous, il n’était pas en retrait. Il a parlé aux membres du personnel, il a parlé au sommelier, il aimait le vin, il avait l’air d’aimer la gastronomi­e en général, il s’exprimait dessus. Il a fini tous ses plats. Il avait un bon appétit, enfin pas l’appétit d’un homme qui a tué sa famille peu de temps avant, disons. On aurait eu du mal à croire qu’il était recherché. Et quand on a appris ensuite qui c’était, je pensais que l’affaire serait vite élucidée. Bon, ça fait huit ans et demi. Je me dis que s’il est en vie, il a dû bien rire de ce qui s’est passé cette semaine. Pierre Aknine: Je pense qu’il est vivant. Il est tout à fait possible, selon moi, qu’un homme croyant comme il était puisse avoir la sensation narcissiqu­e que sa famille sera mieux loin de lui, mieux dans l’au-delà, et que lui pourra recommence­r une autre vie sans elle. Sa vie est tellement un échec qu’il veut que sa cavale ou sa mort –dans le cas où il se serait suicidé– soit un succès. Et force est de constater que dans les deux cas, il a réussi son coup. On peut parler d’un chef-d’oeuvre. S’il est vivant, il doit jubiler, car il a quand même bien baisé tout le monde.

Me Stéphane Goldenstei­n: L’enseigneme­nt que je tire de cette histoire, c’est que l’affaire Dupont de Ligonnès est décidément hors normes en termes de résonance médiatique. Quant à Christine de Ligonnès, elle n’a pas été surprise de l’épilogue: ‘Je vous l’avais dit, m’a-t-elle confié. Depuis le début, tout le monde dit n’importe quoi dans cette histoire.’ Christophe Hondelatte: L’affaire Dupont de Ligonnès a cette particular­ité assez rare: c’est une histoire dont l’opinion s’empare. Or, l’opinion n’a rien à faire dans une enquête criminelle. Ce qui est important, c’est le réel. Les faits. Sauf que cette histoire a tellement frappé les esprits que chacun se l’est appropriée et se donne le droit d’avoir un avis. Encore hier, on me demandait sur Twitter: ‘Est-ce que vous pensez que néanmoins, il est en fuite et qu’il vit quelque part?’ Je refuse toujours de répondre à ce genre de questions. Source proche de l’enquête 2: Nous, on tourne la page, on passe à autre chose. On a toujours envie de clore un truc, de mettre un point final, mais pour autant, je n’ai vu personne se rouler par terre de déception. Source proche de l’enquête 1: Ce genre de dossier permet d’échafauder toutes les théories que vous voulez. Il y a de quoi écrire des livres et faire du cinéma pendant des années. On peut tout imaginer, on peut tout romancer. Laurent Lafitte: Cette histoire-là est particuliè­rement passionnan­te parce que c’est un peu comme celle de Jean-claude Romand: on n’est pas face à un pervers comme Lelandais. On sent quelqu’un qui a installé sa vie dans un mensonge et qui a trouvé comme solution d’éliminer les gens auxquels il a menti plutôt que de révéler la vérité. Ce qui est fascinant pour nous, c’est que ça part d’une vie normale ; ce n’est pas Francis Heaulme, qui rôde le long des voies ferrées. Là, ça aurait pu être notre voisin. Et du coup, on se demande si ça ne peut pas être nous. C’est ça qui crée ce lien d’intérêt fou. Et c’est pour ça qu’on a autant d’oeuvres de fiction inspirées par cette affaire. Si on faisait des films sur Francis Heaulme, ce serait une sorte de déambulati­on macabre sans grand intérêt. Là, il y a en plus la dimension famille catho archifranç­aise, beaucoup d’enfants... Et puis, il y a le mystère de la fuite. Christophe La Vérité: Le statut de cet homme dans la société française est étrange, quand même. Par exemple, j’ai une femme qui m’a dit récemment qu’elle aurait très bien pu l’héberger et le cacher. Elle n’a pas de gêne à dire cela. Elle m’a contacté par message privé. Parfois, j’ai aussi des messages de femmes qui croient que je suis Xavier Dupont de Ligonnès et qu’en me parlant, elles parlent à Xavier. Elles me font des déclaratio­ns –‘Je suis prête à te donner le pardon’–, elles me disent que je peux venir chez elles. C’est un mystère, pour moi. Emmanuel: Toute cette soirée de vendredi, je l’ai vécue comme un immense espoir. Un immense espoir et une immense déception. Je suis désolé pour ce pauvre homme (Guillaume Joao, ndlr). Vivre ça, surtout à son âge, c’est terrible. Mais moi, en tant que parrain de l’aîné des enfants, je voulais enfin connaître la vérité. On dit souvent que le temps fait son ouvrage, mais en fait, pas tant que ça. Depuis huit ans et demi, il ne se passe pas un jour sans que j’y pense. Alors je voulais pouvoir me dire ‘ça y est, on en a fini avec cet enfer’, tourner la page. J’ai vraiment cru qu’on allait mettre fin à tout ce chaos. Mais non. Je vais donc faire une croix sur cet espoir, faire comme s’il n’avait jamais existé.

“C’est une histoire dont l’opinion s’empare”

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À Nantes, devant l’ancienne maison de Xavier Dupont De Ligonnès, le 11 octobre dernier.
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Le 12 octobre, à Glasgow.
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Le 12 octobre, à Nantes.

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