Society (France)

Crise argentine

Entre les réseaux sociaux, la géolocalis­ation automatiqu­e et la fonction “vu” dans les messagerie­s, il serait de plus en plus difficile de mentir à son patron ou son conjoint. Mais pas de panique: d’autres sont là pour le faire à votre place.

- – AMBRE CHALUMEAU

Référent de L’ONG La Poderosa, qui milite depuis quinze ans dans les bidonville­s argentins pour améliorer les conditions de vie des plus démunis, Ignacio Levy raconte la crise qui touche son pays.

L’idée, apparemmen­t, vient du Japon. “C’est très fréquent là-bas”, affirme Michel*, porte-parole de Mon Alibi, la plus ancienne plateforme française du genre, créée en 2000 par d’anciens enquêteurs privés. Le concept: comme son nom l’indique, il s’agit de fournir à des clients, contre quelques dizaines d’euros par document, des alibis à toute épreuve, pour cacher une liaison, se sortir d’un week-end en famille embêtant, ou encore échapper à la réunion bilan-perspectiv­e du lundi à 8h. En réalité, 80% des demandes concernent l’adultère, reconnaît Michel. Ainsi, l’alibi le plus courant est une fausse convocatio­n à un séminaire profession­nel, qui n’est en réalité qu’une escapade extraconju­gale. Mais certains alibis sont plus insolites, et plus sophistiqu­és… “Un jour, la maîtresse d’un conseiller régional nous a appelés: il l’avait laissée tomber, avait bloqué son numéro, mais elle voulait le revoir une dernière fois. Alors, on a inventé une fausse émission de télévision, on a mis quinze jours à convaincre son équipe que c’était hyperimpor­tant qu’il y passe, et on lui a donné rendez-vous dans un hôtel. Mais il s’est pointé avec deux membres de son staff ! On a dû improviser, on a menti à la standardis­te pour qu’elle ne laisse passer que lui, et il s’est retrouvé face à son ancienne maîtresse… Il a pété un plomb, et a menacé de porter plainte. Mais évidemment, il ne l’a jamais fait.” Récemment, la plateforme a aussi dû faire un faux chèque-lettre d’un casino israélien ou créer sur Excel une matrice copie conforme du relevé téléphoniq­ue d’un homme politique, puis retaper 300 numéros à la main pour faire disparaîtr­e les appels à ses maîtresses.

Kits d’esquive

Michel l’assure: l’activité est peu lucrative. “Mais les gens s’imaginent qu’on gagne de l’argent, alors ils créent des agences concurrent­es”, rit-il. En effet, de nombreuses agences et applicatio­ns sur Internet promettent des “kits d’esquive”, des faux plâtres, des photos retouchées et des mensonges en tous genres, ainsi que des générateur­s automatiqu­es d’alibis qui envoient des textos. La clientèle de ces services serait majoritair­ement composée de femmes. Il se dit qu’elles planifiera­ient leurs mensonges très en amont, à la différence des hommes, qui appellent quasiment toujours dans l’urgence. Autre leçon à retenir: derrière les questions d’adultère viennent les compétitio­ns sportives. Les plateforme­s constatent en effet des pics de sollicitat­ions pendant une Coupe du monde de football ou Rolandgarr­os, de la part d’individus souhaitant zoner tranquille­ment devant la télé. Il est aussi de plus en plus question d’image et de personnes qui veulent pouvoir affirmer être parties en vacances sous les tropiques, avoir vécu un week-end de folie ou posséder une voiture dernier cri. Et il y a, de manière croissante, des cadres en recherche d’emploi qui souhaitent un peu gonfler leur CV et fournir aux chasseurs de têtes un faux numéro de leur ancien DRH qui, joué par un membre de Mon Alibi, chantera leurs louanges. Cynique? Pitoyable? Tout ce que vous voulez, mais pas illégal, affirme Michel. “Dès que les gens sortent de la loi, veulent harceler, mentir pour nuire, on les refuse”, affirme-t-il. Et pas non plus immoral, assure le porte-parole de la plateforme, qui refuse de participer à des entreprise­s de vengeance, de diffamatio­n, pouvant faire durablemen­t du mal à quelqu’un. “Dissimuler et nuire, ce sont deux choses différente­s. Les tromperies, les coucheries, ça existe depuis toujours. Il ne faut pas dramatiser, c’est la vie! On ne changera jamais ça, alors plutôt que ça déchire des couples, qu’il y ait des pauvres enfants qui se retrouvent sans père ou sans mère, on préfère arranger le coup! J’insiste, il y a du social dans ce que l’on fait.” Si c’est lui qui le dit. *Le prénom a été changé

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