Society (France)

Une mère en quête de vérité

- – DIEGO CALMARD

Un an après le meurtre de sa fille, conseillèr­e municipale de Rio, au Brésil, Marinete da Silva, avocate spécialisé­e dans la défense des femmes et des familles, dénonce les entraves à l’enquête.

À Paris, un jardin porte désormais le nom de Marielle Franco, cette conseillèr­e municipale de Rio assassinée en 2018 dans un Brésil qui allait bientôt donner le pouvoir à Jair Bolsonaro. Sa mère, Marinete da Silva, avocate spécialisé­e dans la défense des femmes et des familles, dénonce les entraves à l’enquête sur le meurtre de sa fille, devenue martyre des droits humains dans un pays toujours plus violent.

Les agressions d’activistes sont de plus en plus fréquentes au Brésil. En quoi le cas de Marielle est-il emblématiq­ue de ce monde militant aujourd’hui réprimé? La mort de Marielle ne doit pas seulement être un chiffre, mais un véritable emblème de ce qui se passe au Brésil. C’est un crime envers une parlementa­ire, une activiste féministe qui traitait, en tant que conseillèr­e municipale, des dossiers parfois à contre-courant de ceux des autres élus. La bataille pour Marielle est emblématiq­ue car l’ironie du sort fait qu’elle n’a pas réussi à défendre sa vie alors qu’elle se battait pour celle des autres. Cette enquête reflète aussi la situation actuelle du pays: nous, les minorités, sommes en lutte contre des gens économique­ment et politiquem­ent très puissants.

Vous mettez l’accent sur le fait que votre fille a aussi été tuée car elle était une femme… Les femmes au Brésil sont constammen­t menacées. Le Brésil a le cinquième taux de féminicide­s le plus élevé au monde. Il faut protéger les femmes, mais le gouverneme­nt de Jair Bolsonaro n’en a que faire. L’état et les principale­s sphères d’influence au Brésil n’agissent pas. C’est pour changer cela que dans nos actions en faveur des droits des femmes, nous mettons en avant la lutte de Marielle. Cette médiatisat­ion mène chaque fois plus de femmes à être respectées. Le cas de ma fille est en train de devenir une référence dans les luttes de résistance des femmes. Vous vous êtes rendue à l’assemblée nationale et au Sénat, à Paris, pour parler du cas de Marielle. Interpelle­r la communauté internatio­nale est-il primordial? Au Brésil, plein de gens ont adhéré à cette mobilisati­on. Mais il est fondamenta­l que les organismes internatio­naux soient avec nous pour mettre la pression sur le gouverneme­nt brésilien. Sur la scène internatio­nale, il est plus facile d’exiger des avancées de la part du Brésil. Quand on voit que la pétition menée par Amnesty Internatio­nal pour que la vérité soit faite a réuni 800 000 signatures, et qu’elle a atterri sur la table du gouverneme­nt, on sait qu’on est sur le bon chemin. Ensuite, il ne faut pas oublier que les crimes contre les droits humains et celui de Marielle existaient déjà avant Bolsonaro. J’insiste: ce meurtre n’est pas juste lié à lui, mais à la façon dont on traite les activistes au Brésil.

Justement, un an et demi après la mort de votre fille, où en est l’enquête? Nous savons maintenant que c’est un crime préparé, commandité, même si rien ne prouve encore que c’est un crime politique, ce que nous avons appris de manière officieuse. En mars, deux anciens policiers militaires ont été arrêtés. Ils ont finalement été auditionné­s le 4 octobre pour savoir qui en est l’auteur intellectu­el (depuis l’entretien, quatre autres personnes suspectées d’avoir dissimulé les armes utilisées à l’encontre de Marielle Franco et son chauffeur ont été arrêtées, ndlr). L’ancienne procureure de la République, Raquel Dodge, a dénoncé des interféren­ces dans l’enquête et accuse aujourd’hui Domingos Brazão (homme d’affaires de 54 ans, ancien député de Rio de Janeiro et conseiller à la Cour des comptes de Rio, ndlr) d’être le commandita­ire. Ce qui est avéré, c’est qu’il appartient à un groupe de miliciens dont font partie ces deux policiers. Il a un casier long comme le bras, a déjà été emprisonné pour détourneme­nt de fonds publics, mais il nie sa responsabi­lité dans toutes ces affaires. Surtout, ma fille était l’une de ses ennemies: lorsqu’il avait été nommé à la Cour des comptes de Rio, Marielle

s’y était opposée parce que Brazão avait déjà été mis en examen. Pour elle, c’était inconcevab­le. Donc il y a de forts soupçons sur lui.

L’enquête a été déplacée au niveau fédéral, chose que vous contestez… Oui. Nous aimerions que l’enquête reste dans le cadre juridique de Rio de Janeiro. Premièreme­nt parce qu’au niveau fédéral, l’enquête devra repartir à zéro, or c’est un procès lourd, il y a 18 volumes de 9 000 pages de documents à relire. Et deuxièmeme­nt, qui sait dans quelles mains va atterrir l’enquête? Déjà que le nouveau procureur de la République nommé à la place de Raquel Dodge est Augusto Aras, un homme qui s’est engagé en faveur de Bolsonaro... Cet élément nous enlève l’espoir de connaître un jour l’identité du commandita­ire.

“Il ne faut pas oublier que les crimes contre les droits humains et celui de Marielle existaient déjà avant Bolsonaro”

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