Une mère en quête de vérité
Un an après le meurtre de sa fille, conseillère municipale de Rio, au Brésil, Marinete da Silva, avocate spécialisée dans la défense des femmes et des familles, dénonce les entraves à l’enquête.
À Paris, un jardin porte désormais le nom de Marielle Franco, cette conseillère municipale de Rio assassinée en 2018 dans un Brésil qui allait bientôt donner le pouvoir à Jair Bolsonaro. Sa mère, Marinete da Silva, avocate spécialisée dans la défense des femmes et des familles, dénonce les entraves à l’enquête sur le meurtre de sa fille, devenue martyre des droits humains dans un pays toujours plus violent.
Les agressions d’activistes sont de plus en plus fréquentes au Brésil. En quoi le cas de Marielle est-il emblématique de ce monde militant aujourd’hui réprimé? La mort de Marielle ne doit pas seulement être un chiffre, mais un véritable emblème de ce qui se passe au Brésil. C’est un crime envers une parlementaire, une activiste féministe qui traitait, en tant que conseillère municipale, des dossiers parfois à contre-courant de ceux des autres élus. La bataille pour Marielle est emblématique car l’ironie du sort fait qu’elle n’a pas réussi à défendre sa vie alors qu’elle se battait pour celle des autres. Cette enquête reflète aussi la situation actuelle du pays: nous, les minorités, sommes en lutte contre des gens économiquement et politiquement très puissants.
Vous mettez l’accent sur le fait que votre fille a aussi été tuée car elle était une femme… Les femmes au Brésil sont constamment menacées. Le Brésil a le cinquième taux de féminicides le plus élevé au monde. Il faut protéger les femmes, mais le gouvernement de Jair Bolsonaro n’en a que faire. L’état et les principales sphères d’influence au Brésil n’agissent pas. C’est pour changer cela que dans nos actions en faveur des droits des femmes, nous mettons en avant la lutte de Marielle. Cette médiatisation mène chaque fois plus de femmes à être respectées. Le cas de ma fille est en train de devenir une référence dans les luttes de résistance des femmes. Vous vous êtes rendue à l’assemblée nationale et au Sénat, à Paris, pour parler du cas de Marielle. Interpeller la communauté internationale est-il primordial? Au Brésil, plein de gens ont adhéré à cette mobilisation. Mais il est fondamental que les organismes internationaux soient avec nous pour mettre la pression sur le gouvernement brésilien. Sur la scène internationale, il est plus facile d’exiger des avancées de la part du Brésil. Quand on voit que la pétition menée par Amnesty International pour que la vérité soit faite a réuni 800 000 signatures, et qu’elle a atterri sur la table du gouvernement, on sait qu’on est sur le bon chemin. Ensuite, il ne faut pas oublier que les crimes contre les droits humains et celui de Marielle existaient déjà avant Bolsonaro. J’insiste: ce meurtre n’est pas juste lié à lui, mais à la façon dont on traite les activistes au Brésil.
Justement, un an et demi après la mort de votre fille, où en est l’enquête? Nous savons maintenant que c’est un crime préparé, commandité, même si rien ne prouve encore que c’est un crime politique, ce que nous avons appris de manière officieuse. En mars, deux anciens policiers militaires ont été arrêtés. Ils ont finalement été auditionnés le 4 octobre pour savoir qui en est l’auteur intellectuel (depuis l’entretien, quatre autres personnes suspectées d’avoir dissimulé les armes utilisées à l’encontre de Marielle Franco et son chauffeur ont été arrêtées, ndlr). L’ancienne procureure de la République, Raquel Dodge, a dénoncé des interférences dans l’enquête et accuse aujourd’hui Domingos Brazão (homme d’affaires de 54 ans, ancien député de Rio de Janeiro et conseiller à la Cour des comptes de Rio, ndlr) d’être le commanditaire. Ce qui est avéré, c’est qu’il appartient à un groupe de miliciens dont font partie ces deux policiers. Il a un casier long comme le bras, a déjà été emprisonné pour détournement de fonds publics, mais il nie sa responsabilité dans toutes ces affaires. Surtout, ma fille était l’une de ses ennemies: lorsqu’il avait été nommé à la Cour des comptes de Rio, Marielle
s’y était opposée parce que Brazão avait déjà été mis en examen. Pour elle, c’était inconcevable. Donc il y a de forts soupçons sur lui.
L’enquête a été déplacée au niveau fédéral, chose que vous contestez… Oui. Nous aimerions que l’enquête reste dans le cadre juridique de Rio de Janeiro. Premièrement parce qu’au niveau fédéral, l’enquête devra repartir à zéro, or c’est un procès lourd, il y a 18 volumes de 9 000 pages de documents à relire. Et deuxièmement, qui sait dans quelles mains va atterrir l’enquête? Déjà que le nouveau procureur de la République nommé à la place de Raquel Dodge est Augusto Aras, un homme qui s’est engagé en faveur de Bolsonaro... Cet élément nous enlève l’espoir de connaître un jour l’identité du commanditaire.
“Il ne faut pas oublier que les crimes contre les droits humains et celui de Marielle existaient déjà avant Bolsonaro”