Society (France)

Bienvenue chez les salviniste­s

la défaite en crânant

- PHOTOS: JEAN-MARC CAIMI ET VALENTINA PICCINNI

À cause d’un coup de force mal calculé, Matteo Salvini a dû quitter le gouverneme­nt dont il était pourtant le ministre de l’intérieur et l’homme fort. Mais le leader de l’extrême droite italienne ne s’avoue pas vaincu. Au contraire, il promet sa revanche et compte ses troupes. Les photograph­es Jean-marc Caimi et Valentina Piccinni sont partis à la rencontre de ses fans irréductib­les.

Il a joué, il a perdu. À cause d’un coup de force mal calculé, Matteo Salvini, le leader de l’extrême droite italienne, a dû quitter le gouverneme­nt dont il était pourtant le ministre de l’intérieur et l’homme fort. En représaill­es, il compte ses troupes, et promet déjà sa revanche. Les photograph­es Jean‑marc Caimi et Valentina Piccinni l’ont suivi, et n’en sont pas revenus rassurés. IL

est rare qu’un homme politique au sommet de sa carrière (ou si près) envoie tout chambouler par orgueil, ou par gourmandis­e. C’est pourtant ce qu’a fait Matteo Salvini cet été. En plein mois d’août, le ministre de l’intérieur italien d’extrême droite a déposé une motion de défiance contre le gouverneme­nt dont il était l’homme fort. Motif invoqué: le refus par ses alliés du Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystèm­e) de soutenir le projet de ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin. Le 8 août, Salvini fanfaronna­it: “L’italie n’a pas besoin de gens qui disent toujours ‘non, non, non’ dès qu’on essaie de faire avancer les choses.” Le soir même, lors d’un meeting en plein air à Pescara, il appelait à un retour aux urnes et se déclarait candidat à la présidence du Conseil. Il a aussi dit: “J’ai besoin des pleins pouvoirs.” À ce moment précis, l’europe tremblait, persuadée que Salvini avait bien joué le coup et qu’il allait devenir Premier ministre. Son parti, la Ligue, avait frôlé les 35% aux élections européenne­s. Lui-même était alors crédité de 38% d’intentions de vote si le pays devait retourner aux urnes. Une seule chose pouvait empêcher la tenue d’élections anticipées: que ses adversaire­s parviennen­t à se mettre d’accord pour former un gouverneme­nt de coalition provisoire. Le scénario relevait de la science-fiction: tout oppose le Parti démocrate (PD, centre gauche) et le M5S. Le premier considère le second comme un parti de populistes amateurs indignes des plus hautes fonctions. Le second voit dans le premier l’incarnatio­n de tout ce qu’il rejette. Comme c’est la règle en matière de politique italienne, l’impensable est cependant survenu, et les ennemis d’hier ont accepté de travailler ensemble. Un front anti-salvini a alors vu le jour. Le 29 août, le président de la République, Sergio Mattarella, chargeait Giuseppe Conte de former un second gouverneme­nt. Matteo Salvini devenait un simple membre de l’opposition. “J’ai marqué un but contre mon camp”, a-t-il reconnu. Et il est rentré chez lui.

Mais en partant, Salvini a fait une promesse à ses troupes: “Je reviendrai.” Aussi, le Milanais décide-t-il de battre le fer pendant qu’il est chaud: il n’y aura pas de traversée du désert. Dès le 15 septembre, il organise un meeting qui se veut colossal à Pontida, afin de compter ses troupes et de galvaniser les siens. L’endroit n’est pas choisi au hasard: là, dans ce grand nulle part qu’est la plaine du Pô, entre Bergame et Lecco, se tiendrait un endroit sain, lieu de la première manifestat­ion d’une identité lombarde au xiie siècle. Près de 70 000 personnes assistent à la grand-messe qui doit marquer le début de la reconquête. “C’était un grand Woodstock, un mélange de plein de gens différents, observe le photograph­e Jean-marc Caimi, qui a couvert l’événement. Il y avait des anciens supporters, adeptes de l’autonomie des régions du Nord, et puis des plus jeunes, séduits par les slogans anti-immigrés ou anti-europe.” Selon lui, “les électeurs de Salvini sont plutôt humbles, viennent souvent de la campagne, sont des gens qui peuvent sembler très sympathiqu­es en discutant comme ça. Mais dès qu’on commence à parler politique, il y a une rupture énorme avec la bonhomie apparente: ce qu’ils disent sur les immigrés ou la religion est très extrême, parfois même insupporta­ble”. Comme d’habitude, ce jour-là, Salvini a passé du temps à faire des selfies, déambuler au milieu de la foule. “Il est vraiment vu comme un héros, constate Valentina Piccinni, coréalisat­rice du reportage. Les gens veulent le toucher, hurlent ‘une main me suffit’, ‘touche-moi la main’, lui donnent leurs enfants comme s’il pouvait les baptiser. Ils invoquent le sauveur, c’est une sorte de fétichisme.” Fort de la réussite de ce premier pari, Salvini a prévu de multiplier les meetings dans toute l’italie, postant à chaque fois des vidéos où on le voit submergé d’amour. Comme s’il représenta­it un Premier ministre concurrent de celui qui occupe le poste. À Pontida, au milieu de ce pique-nique géant, une autre chose a marqué et inquiété les deux photograph­es: le regard des plus jeunes. “Les jeunes du parti étaient un peu à l’écart, ils se cachaient des journalist­es ou des caméras, disentils. Ils ne veulent pas parler, mais dans leur regard, tu vois de la haine, et une envie folle de passer à l’action.”

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